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Les interactions verbales : adresses, modalisations

38 Suivi projet, scolarité

4. Des professionnels s’interrogent collectivement : analyse des focus

4.1. Les interactions verbales : adresses, modalisations

La manière dont les spécialistes s’adressent les uns aux autres, la manière dont ils se positionnent laisse percevoir quelque chose de leur conduite dans la coordination. L’analyse des interactions, in situ, dans le discours, est un premier niveau d’indication. Globalement, étant donné la constitution méthodologique des focus groups, la teneur est avant tout positive et les propos sont orientés vers un approfondissement des requis pour une coordination efficiente.

«  Tu m’arrêtes si je me trompe, parce que c’est quand même toi qui centralises beaucoup  »

spécialiste, l’objectif est de rester dans son rôle, dans sa fonction sans empiéter sur celui ou celle des autres dans une forme de régulation positive. « En tant que kiné, en tous cas, et nos objectifs

sont faits… » (kinésithérapeute F.4). Il y a affirmation de son identité professionnelle qui va dans

le même sens que la remarque précédente : il s’agit d’affirmer non pas une identité, mais un périmètre d’action, d’activité en fonction également des autres. Ici on peut percevoir comment ce professionnel a intégré le fait qu’il est dans une équipe et que sa place est donc relative et fonction des autres. Cette remarque peut paraître anodine, mais cette conduite « auto-régulée » est à la fois un analyseur et un facilitateur de la coordination.

L’Adjoint de Lycée professionnel, qui renvoie à un fort positionnement « Éducation nationale », emploie plutôt le « nous », ou l’impersonnel collectif « on a l’habitude », « on innove », « on met en place», « pour nous », etc. C’est une forme d’explication de l’action du lycée professionnel qui est partie prenante de la coordination: « on a été très bien accompagné, et je ne dis pas ça parce que vous êtes là. » (adjoint de lycée professionnel, F.4) 

Nous avons là une forme de reconnaissance affichée entre les professionnels, forme de respect des territoires professionnels de chacun. Celle-ci passe par la mise en place d’une contractualisation dont l’expertise des différents professionnels est l’enjeu : « en contrepartie les PEP nous mettaient aussi à disposition des professionnels, des thérapeutes, qui puissent suivre D » (adjoint de lycée professionnel, F.4). L’emploi du pronom « nous » évoque un territoire professionnel partagé :

« Pour nous [...] il a vraiment fallu que tout le monde s’adapte et se mette au boulot pour réussir à monter un projet et apporter des solutions qui puissent aussi être concrètes et réalistes pour les gens qui travaillent sur le terrain » (monitrice-éducatrice, F.4)

Une autre distinction apparaît cependant entre les « experts » : ceux qui sont « sur le terrain » et ceux qui apparemment n’y sont pas. En la circonstance, il faut traduire « terrain » par contact direct avec le jeune et certains autres intervenants de son environnement scolaire. Pour appréhender le travail des professionnels, la seule spécialité ne suffit pas, le type d’action et le degré de proximité sont également à prendre en compte, le réflexe spontané étant souvent de confondre proximité avec concret et éloignement avec abstrait ou démarche théorique.

Cette dominante des marqueurs d’appartenance à une entité collective n’exclut pas les différenciations, voire l’affirmation de spécificités de positionnement. Par exemple dans le

focus group 4, l’enjeu consiste à préciser le diagnostique par l’une ou l’autre des spécialités et les

experts se « disputent » le juste diagnostique. La concurrence des diagnostiques se profile par la surenchère de précisions sur le cas particulier :

Neuropsychologue : « Pardon peut-être pourrait-on préciser que dans ce cas le handicap est plutôt

invisible, c’est-à-dire que ce n’est pas le handicap moteur a priori qui… ». Ergothérapeute : « il a les deux ! ». Neuropsychologue : « mais c’est peut-être plus le handicap invisible qui était difficile pour les enseignants […] si je peux ajouter sur sa déficience… » (F.4)

On perçoit également que le travail d’ajustement des visions sur la situation se fait par l’apport de chacun au collectif : « si je peux me permettre » (ergothérapeute, F4). On voit s’exprimer

la conscience d’apporter quelque chose dans l’arène collective sans en demander vraiment l’autorisation, il y a une mise en scène discursive de l’autorisation à … Il s’agit d’un marqueur de l’individu spécialisé et de son rapport au collectif ou à l’action commune. Autre exemple d’affichage du territoire professionnel : « mais en tant qu’enseignante » (F.4).

Enfin, on peut également pointer une affirmation franche d’une identité professionnelle y compris dans un univers tout entier orienté vers la collaboration active à la scolarisation.

« On est complètement en contradiction avec ce que le commun des mortels va pouvoir attendre d’un éducateur, c›est-à-dire redresser la barre. Et parfois il faut être clair là-dessus, il y a des gens de la vie scolaire qui pensent que l’on va re-punir un élève qui l’a déjà été. Alors que c’est tout le contraire, on va mettre des mots, tenter de comprendre, c’est un étayage que l’on va permettre. Et du coup, on n’arrive pas du tout parfois à ça. Je parlais du commun des mortels parce qu’il y a une représentation de l’éducatif. On doit être au clair sur le rôle et la fonction de chacun. » (éducateur spécialisé, F.4)

Ce rappel de la spécificité d’une démarche éducative, en forme de protestation, indique combien il convient, pour ce professionnel, d’être vigilant pour ne pas tomber dans une uniformisation diluée des pratiques. En même temps, la question sous-jacente est celle de la place d’un savoir spécialisé qui se distinguerait du savoir profane du « commun des mortels ».

Au final les différences qui apparaissent dans la structuration des échanges entre professionnels sont un reflet de leur expérience commune de situation de coordination. Les groupes 2 et 4 s’appuient visiblement sur une pratique de la coordination relativement réfléchie tandis que les deux autres groupes rapportent des situations extraites de leur activité au gré des échanges. Pour autant, ce sont des thématiques analogues qui sont mobilisées, seul varie le fond commun des situations de référence et ces dernières sont plus nombreuses pour les groupes 2 et 4.