• Aucun résultat trouvé

ET PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1. Coordonner, coopérer, accompagner : une approche située

1.3 La coopération dans tous ses états

Nous avons souligné la convergence entre auteurs pour enrichir et préciser les différents niveaux de coopération que l’on peut définir à partir d’une analyse des activités mettant en rapport des professionnels d’horizons différents. L’impératif de combiner des pratiques verticales de coopération, plutôt réservées à la dimension gestionnaire, avec celles issues des terrains professionnels que nous dirons plus volontiers de proximité, est également apparu comme important. Dans son guide sur les coopérations dans le secteur médico-social, l’ANAP30 établit, à partir des retours d’expérience analysés, trois mobiles pour l’édification de coopérations entre

associations à travers l’outil des groupements de coopération sociale et médico-sociale. Il s’agit des « coopérations-parcours » qui se proposent de mieux structurer le parcours des usagers en mettant en place des dispositifs permettant aux personnes en situation de handicap de pouvoir faire face aux ruptures induites par les changements de leur situation. Les « coopérations- efficience » concernent plus particulièrement des pratiques de mutualisation d’équipements, d’outils de gestion, de mutualisation de postes. Enfin, les « coopérations-isolement » sont pensées pour répondre à des lacunes territoriales dans l’offre de service afin d’assurer une meilleure couverture des besoins des usagers. Dans un travail sur les dynamiques coopératives au sein de groupes projet, Sophie Dameron propose de distinguer deux formes de coopération aux objectifs et modalités apparemment contradictoires. La première, baptisée « coopération complémentaire » est une façon d’augmenter ses possibilités individuelles d’action. Fondée sur le donnant-donnant et le calcul stratégique, elle dure tant que les gains estimés excèdent les coûts. S’agissant des réalités médico-sociales, il est entendu que la notion d’individualité peut s’entendre au niveau d’entités telles que les associations gestionnaires ou les établissements et dispositifs, lorsque l’on songe notamment aux GCSMS. En première analyse, cette forme semble pouvoir s’appliquer assez facilement aux « coopération-mutualisation » et « efficience » dégagées par l’ANAP. Quant à la seconde forme nommée « coopération communautaire », elle serait plutôt réservée, toujours d’après Sophie Dameron, à des groupes restreints où des perceptions réciproques sont possibles. La volonté des participants d’être reconnus comme membres du groupe ou identifiés comme en partageant les buts est, dans ce cas, prépondérante par rapport à la mise en avant d’attributs propres à une professionnalité individuelle.

DIMENSION ET ATTRIBUTS DE LA COOPERATION (Dameron 2005, p. 108)

Dimensions Attributs

Coopération complémentaire Coopération communautaire Finalité Congruence des intérêts individuels Objectifs partagés Interdépendance Division du travail Appartenance au groupe

Engagement Engagements internes Interaction avec des groupes externes

Le tableau ci-dessus résume les caractéristiques dominantes de chacune des modalités de coopération. L’intérêt du travail de Sophie Dameron consiste à montrer que ces deux formes de coopération ne sont pas exclusives l’une de l’autre, elles entretiennent des rapports dialectiques de récursivité selon la temporalité des projets conduits. Ainsi ce travail de distinction peut devenir « un guide à l’analyse ex-post de l’action coopérative en concentrant la réflexion sur la nature des objectifs qui sous-tendent l’action, sur les modes d’interdépendance au sein de l’équipe et les formes prises par les engagements tant externes qu’internes » (Dameron, 2005, p.118).

Parvenus à cette étape nous avons progressé dans le dégagement d’une grille de lecture des réalités médico-sociales plus opérationnelle pour démêler l’enchevêtrement des niveaux dans lesquels évoluent familles et professionnels. Nous avons également tiré parti de notre option de ne pas séparer, en matière de coordination/coopération, le monde des valeurs de celui des instruments. En effet, une certaine tradition, consistant à valoriser les modes relationnels de régulation au détriment de la formalisation, tenue pour stérilisante, a longtemps eu pour conséquence de privilégier les formes oralisées de communication dans les interventions médico- sociales. Or, notamment lorsque les parcours des jeunes sont amenés à se diversifier sous forme de projets ou « contrats », les formes orales de transmission atteignent leurs limites. Plus généralement, il convient de prendre en compte le fait que « les règles et conventions permettent la coordination et la coopération. Mais au-delà elles permettent des économies cognitives […] Un individu qui suit des règles bénéficie de l’expérience et des connaissances de nombreux individus accumulées et résumées dans les règles » (Reynaud et Richebé, 2007, p.9).

Un second point se dessine nettement dans les rapports entre coordination et coopération. Si la coopération peut se décliner sous des formes diverses de collaboration depuis une simple division du travail jusqu’à l’élaboration d’objectifs de travail partagés, la coordination peut, quant à elle, se passer de partage de représentations. En effet, lorsqu’elle n’est le résultat que d’une injonction à s’informer mutuellement dans le cadre d’équipe de suivi de scolarisation ou une réunion de « synthèse » dans un ESMS par exemple, aucune coopération n’est requise. Nous sommes alors dans un mode de coordination mécaniste au sens de Mintzberg, reposant sur une standardisation des tâches : en l’occurrence, fournir une évaluation par domaine de spécialité des capacités des jeunes. Si donc certaines formes de coordination peuvent se passer d’échanges coopératifs, l’inverse n’est pas vrai car toute forme de coopération appelle, qu’elle soit formalisée ou non, une modalité de coordination elle-même plus ou moins formalisée.

Un dernier aspect reste à examiner dans la mesure où nos investigations s’entendent sous le régime général de l’accompagnement, lequel est devenu la thématique dominante du travail social et médico-social depuis la fin des années 199031. Nous ne nous livrerons pas ici à une analyse de la notion d’accompagnement qui a fait l’objet de nombreuses contributions dans divers domaines des sciences sociales. Concernant les secteurs du handicap, il convient de signaler la contribution décisive de (Stiker, Puig et Huet, 2009) notamment dans la tentative de typologie du chapitre trois. Les auteurs se livrent à une description détaillée de toutes les formes d’accompagnement potentiellement rencontrées dans les pratiques professionnelles plurisectorielles. Leur examen aboutit sur le dégagement d’une figure qui, à leur sens, est la meilleure, celle de l’accompagnement interstitiel où : « les professionnels partagent leur compétences dans cette zone identifiée tout en conservant une partie de leur action inscrite dans une logique spécifique. Il n’y a donc pas de mélange des genres comme dans le modèle « englobant » » (p. 58)

31 A noter la première apparition du terme dans les annexes XXIV à propos de la sortie des jeunes des établissements et de l’obligation de suite sur trois années. Article 8 du décret n° 89-798 du 27 octobre 1989 remplaçant l’annexe XXIV au

Schéma de l’accompagnement interstitiel (Stiker et al., p. 58)

Dans ce schéma, la personne en situation de handicap conserve une forme de contrôle relatif de l’accompagnement dont elle bénéficie et peut ainsi en influer les formes et le contenu. Le type d’accompagnement pratiqué influe donc nécessairement sur les modalités de coordination et de coopération. Il existe ainsi une relation transductive entre ces trois termes au sens où la modification d’un des termes entraîne automatiquement une modification de ses relations aux autres. A l’heure de la mise en place d’un droit à une réponse accompagnée (rapport Piveteau, 2014), nul doute que la réflexion sur les formes d’articulation entre accompagnement- coordination-coopération doit faire l’objet d’une réflexion minutieuse.