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38 Suivi projet, scolarité

4. Des professionnels s’interrogent collectivement : analyse des focus

4.2 Le contenu thématique des échanges

Notre guide d’entretien comportait quatre principaux domaines d’interrogation : les modalités de l’articulation avec les autres secteurs d’intervention, le degré de formalisation des pratiques collaboratives, les outils et les savoirs sur lesquels repose la coopération, la spécificité du territoire en matière de coordination. D’un point de vue thématique nous pouvons noter l’absence de référence à la dimension territoriale autre que d’un point de vue administratif et gestionnaire. Le territoire apparaît soit en rapport avec le niveau des équipements, soit en termes de frontière administrative départementale des MDPH. Classiquement la relative pénurie apparaît comme un facteur d’incitation à la coopération avec les professionnels libéraux ou les services spécialisés. Quand elle est présente, la composante sociale des interventions (ASE) semble faire l’objet de réserves de la part des professionnels médico-sociaux. Sont évoquées des questions de secret professionnel et de manque d’information sur les situations. D’ailleurs, cette difficulté a fait l’objet d’un traitement spécifique rapporté dans le focus 3. L’assistante sociale fait état d’une démarche concertée initiée par l’ensemble des assistantes sociales exerçant dans les structures médico- sociales du département pour unifier leurs pratiques et améliorer le suivi et la transmission des

informations entre professionnelles.

« Ce secret professionnel est très lourd [il s’agit du secret évoqué par l’ASE], parce qu’ici on est au secret partagé. Bien entendu il y a des informations qui ne sont pas utiles donc on ne dit rien. Ce n’est pas la peine de le dire » (assistante sociale, F.3)

Nous pouvons ainsi constater qu’en matière d’intervention médico-sociale et de coordination avec les autres secteurs autour de situations d’accompagnement, le territoire n’a pas d’existence propre autre que la surface délimitée par les collaborations induites par le projet du jeune. On peut donc à cet égard parler d’une géographie des projets qui seule détermine les ressources qui vont être mobilisées, qu’il s’agisse de l’Education Nationale, de pôles de ressources spécialisées pour l’autisme, ou de professionnels libéraux en cas de besoin. Le facteur qui apparaît déterminant en matière de coopération est la nécessité de construire des réponses adaptées à des parcours de jeunes pour des raisons circonstancielles de situation d’attente ou d’absence de réponse. Il y a deux façons de répondre à des « trous » dans les interventions, soit le recours à des ressources externes, soit une adaptation des modalités intra-service ou structure, voire une combinaison des deux. Un élément facilitateur de ces adaptations, souligné par une responsable d’établissement, est la technique gestionnaire du contrat d’objectif et de moyen qui ouvre une marge de manœuvre aux établissements et services dans l’aménagement de réponses combinant internat, semi- internat, SESSAD, à l’instar des dispositifs ITEP. Ici, la souplesse gestionnaire intervient comme stimulant l’adaptation des réponses.

« Déjà avec l’ITEP, le SESSAD déficient intellectuel, on a une entente. Après on l’a vu avec d’autres, où certains défendent leur projet pour les enfants. Je trouve que depuis le CPOM, je l’entends moins […] depuis que je suis ici, on est toujours en sureffectif, alors parfois je me fais un peu taper sur les doigts par le comité d’établissement. Et c’est vrai que je joue sur les temps partagés. Sauf que quand un temps partagé c’est une heure par semaine, dans la balance du partage ce n’est pas très […] Le principal est que tous les enfants soient pris en charge » (directrice d’établissement, F.3) 

Globalement, qu’il s’agisse d’adaptions concrètes au niveau de l’harmonisation des pratiques ou d’adaptations dans la construction et l’agencement des réponses, la petitesse du réseau, l’horizontalité entre les professionnels est également rapportée comme favorisant les coordinations.

« Nous, ce qui peut être aidant, c’est que l’on a une proximité : non pas géographique, mais des personnes. Il n’y a pas de hiérarchie. Tout ne doit pas forcément passer par moi pour contacter les partenaires. Les éducateurs sont référents. Souvent, plus on est grand, plus il y a des strates et plus c’est lourd. Et plus on s’y perd et on n’avance pas. C’est favorisant, c’est mon avis, on est tout petit. Il y a un réseau qui s’est installé comme ça. » (responsable d’établissement F.3)

4.2.1 Se coordonner et coopérer, des logiques entrecroisées

Notons d’emblée qu’il n’y a pas de vocabulaire stabilisé parmi les professionnels, le terme de coordination est plus fréquemment employé avec une valence informationnelle c’est-à-dire la

nécessité d’échanger des informations pour la bonne marche des interventions. Cependant, sur bien des aspects, les professionnels expriment le fait qu’il s’agit là d’un minimum qui ne répond pas à la question de savoir sur quels éléments porte cette coordination. Selon l’expérience des équipes, on voit apparaître une notion de progression. La coordination est d’abord un état de fait une nécessité générée par les interventions croisées de plusieurs professionnels de champs différents impliqués dans les parcours des jeunes. Il arrive que l’abondance d’interventions complique la coordination à l’extrême :

« Moi j’avais l’exemple d’une petite prise en charge par trois orthophonistes différents. Elle est prise en charge en ergo, en psychomotricité avec moi. Elle est intégrée quelque fois en école primaire quand elle n’a pas de rendez-vous. C’est hallucinant, qu’une petite ait un emploi du temps aussi chargé. On parlait de harcèlement, et la charge de fatigue est énorme. Et la coordination est très compliquée. » (psychomotricienne, F.1)

En dehors de ces cas exceptionnels, la coordination est d’abord présentée sous une forme juxtapositive :

« C’est à dire que la coordination, bon là ça s’est amélioré, mais au début en tout cas les réunions de coordination c’était vraiment… on venait prestation après prestation et qui fait ça, qui fait ça, qui fait ça… mais il y avait moins d’échanges, il y avait moins de souplesse, de dialogue, parce que c’était « bon bah pour ce jeune là on s’est mis d’accord on va faire ça, ça, ça » (neuropsychologue, F.4)

Elle peut aussi recouvrir des aspects plus concrets et porter sur des objectifs circonscrits. On voit assez nettement se dessiner une déclinaison de la coordination qui débouche sur la nécessité de disposer d’un socle, lequel correspond à l’installation de pratiques de coopération. Bien que la teneur des propos sur la coordination soit nettement orientée positivement, il n’en demeure pas moins que certaines difficultés sont rapportées par les professionnels. Ce sont naturellement les difficultés objectives de coordination des emplois du temps, de l’évolutivité des besoins des jeunes, de conflit de temporalités notamment en cas d’urgence, qui sont les premières mentionnées. La notion d’urgence est en effet propre à chaque domaine. Elle est par exemple différente entre un service de placement de l’ASE et le travail éducatif d’un SESSAD. Dans le registre des difficultés de la coordination, les raisons matérielles et organisationnelles effectivement parfois importantes sont avancées. Cependant, à côté de ces raisons « traditionnelles », il nous paraît intéressant de noter l’apparition de nouveaux registres concernant notamment les lacunes en termes de langage commun. Là où l’on avait plutôt l’habitude de recueillir des discours sur l’importance de la diversité, sur l’intérêt des approches pluridisciplinaires, on voit poindre un besoin d’harmonisation des cadres d’interprétation des situations. Il peut s’agir par exemple d’un défaut de cadrage initial, comme l’absence de diagnostique, c’est-à-dire le maintien dans une situation où le handicap n’est pas clairement circonscrit. Or il se trouve que c’est fréquemment le cas pour les publics ITEP par exemple. Dans d’autres cas, la multiplicité des langages professionnels est considérée comme faisant obstacle à l’action.

praticiens, quand je vois un neurologue, pour un même enfant, il ne va pas avoir la même vision. Donc t’es obligé d’absorber ça et de faire un mix. Un généraliste va avoir aussi sa propre vision. Et ils auront tous un peu raison. Mais ça veut bien dire qu’il y a des choses à écarter pour améliorer la prise en charge de l’enfant. Ça, ça ferait partie des partenariats à développer, dans les outils à mettre en place pour moi » (infirmière, F.1)

Dans les deux cas, les difficultés qui portent sur des questions d’harmonisation apparaissent plus fréquemment. Sans doute est-ce le signe d’une élévation du niveau d’exigence de la part des professionnels dans le degré de coordination. En tout état de cause on note que ces questions sont appréhendées comme une forme d’apprentissage collectif. « Dès que l’on admet que la coordination résulte d’un ajustement, il convient de s’interroger sur ce mécanisme d’ajustement et non de le postuler. En particulier, l’apprentissage peut certes porter sur les actions à mettre en œuvre ou sur les décisions à prendre pour atteindre un état souhaité, mais il peut aussi concerner la définition de l’objectif à atteindre en admettant que les agents ne partagent pas les mêmes représentations de leur environnement. » (Dibiaggio, 1999, p.112).

4.3 Le noyau dur de la coopération : produire des savoirs en commun sur les