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1.3 La construction des batholites

1.3.2 Les questions scientifiques

1.3.2.1 Origine et évolution des magmas

Comme longuement évoqué précédemment, les questions relatives à la différenciation des magmas basiques aboutissant à la mise en place de larges volumes siliceux font toujours débat. La composition globalement granodioritique des batholites implique la cristallisation de près de 60% du volume magmatique primaire initial, volume dont on ne trouve pas d’évidences dans la croûte supérieure (cf. 1.2.3).

1.3.2.2 Transport des magmas

Après leur genèse, les magmas migrent à travers la croûte sur de grandes distances verticales (jusqu’à plusieurs dizaines de km) avant de former des plutons ou de s’épancher en surface. La progression vers la surface des magmas siliceux a longtemps été vue comme la remontée de masses globulaires de la taille d’un pluton, par flottabilité. Ce modèle diapirique explique mal les figures observées dans les roches encaissantes (applatissement et/ou plissement au contact des intrusifs) et n’est pas viable thermiquement (Clemens and Mawer, 1992; Petford et al., 1993; Saint-Blanquat et al., 2006, 2001). D’autre part, peu de structures diapiriques ont été mises en évidence sur le terrain, une confusion ayant été faite entre les structures liées au gonflement sur place d’une intrusion ("ballooning") et les structures liées au déplacement vertical d’un diapir (Saint-Blanquat et al., 2001).

Un magma siliceux plus chaud et moins dense que son encaissant présente une réelle force ascensionnelle. Si la rigidité de la croûte s’oppose à la montée d’un diapir, sa fragilité, c’est-à-dire sa facilité à se fracturer, permet aux magmas de progresser jusqu’à leurs sites de mise en place via un réseau de discontinuités. Ainsi, le transport du magma le long de zones décrochantes ductiles ou fragiles, ou au sein de filons par remplissage de fractures en tension, s’impose comme l’alternative la plus simple au mécanisme par diapirisme (Clemens and Mawer, 1992; Petford et al., 1993). Une illustration de ce mécanisme est proposé en figure 1.11. La forte abondance de dykes dans la croûte permet de défendre dette hypothèse.

L’acceptation du fait que le transport des magmas "granitiques" n’est pas contrôlé unique- ment par la différence de densité entre l’encaissant et le magma permet d’explorer de nouveaux modèles de mise en place des plutons. On passe d’un transfert exclusivement vertical à un sys- tème contrôlé par les hétérogénéités crustales qui rendent possible un transfert dans des filons horizontaux (sills).

Figure 1.11 – Transport du magma granitique à la lumière du profil rhéologique de la croûte. a. Contrainte différentielle

maximum, σcrit=(σ13)crit, que peut supporter le milieu rocheux. Au niveau des portions rectilignes de cette courbe

(trait plein : en compression ; tirets : en régime extensif), le milieu se fracture au-delà de σcrit(loi de Byerlee 116). Dans les

portions courbes, il se déforme plastiquement au-delà de σcrit(loi de Kuznir and Park 1986) b. Faible transport vertical,

en croûte ductile, d’un volume de magma. c. et d. Fracturation de la croûte fragile, transport filonien et mise en place du magma à la faveur d’une discontinuité. Extrait de Nédélec and Bouchez (2011).

1.3.2.3 Géométrie et construction des intrusions

L’intrusion de la croûte supérieure par de très gros volumes intrusifs, plusieurs milliers de km3 (Bachman and Dungan, 2002; Crisp, 1984; Smith, 1979), pose le problème de la création de l’espace nécessaire à la mise en place des plutons, et donc des batholites ("room problem", Read 1948). Dès le début du XIXème siècle, Clos (1923) observe que de nombreux batholites se présentent sous forme de laccolites principalement alimentés par des veines depuis lesquelles ils se répandent latéralement. Pourtant, malgré des évidences de terrain, une partie de la commu- nauté scientifique a persisté dans le modèle de diapirs (Bateman, 1984; Braunstein and O’Brien, 1968; England, 1990; Paterson and Vernon, 1995; Sweeney, 1975). Dans la continuité d’une re- montée par diapirisme, les plutons ont longtemps été représentés comme des objets arrondis ou des bulles dont les racines s’étendaient dans la croûte jusqu’à des profondeurs indéterminées.

Les géologues se sont longtemps heurtés au fait que la déformation observée autour des plu- tons dans l’auréole de contact n’était pas suffisante pour expliquer le volume total du pluton (e.g. Paterson et al. 1991). La solution du problème de place est venue de la prise en compte de la déformation totale enregistrée par les roches encaissantes, y compris le déplacement, qui n’est pas enregistré par la déformation interne ("strain") (Cruden, 1998; Tikoff et al., 1999). Des modèles récents montrent que les magmas se mettent en place essentiellement en déplaçant leur encaissant, soit latéralement (Tikoff et al., 1999), soit vers le haut ("roof uplift") ou le bas ("floor depression"), (cf. fig. 1.13, Cruden 1998; Saint-Blanquat et al. 2006, 2001). Le phénomène de "stoping"10 en vogue dans les années 1970 (Myers, 1975) existe localement mais n’est pas significatif en terme de volume mis en place (Glazner and Bartley, 2006).

10. Le toit de l’encaissant est peu à peu arraché et se noie dans le grand réservoir magmatique pour faire place aux intrusifs.

Figure 1.12 – Epaisseur vs. allongement horizontal de plutons et laccolites granitiques. Au sein de chaque groupe une

droite de régression défini une loi de puissance avec un exposant de 0,6 ± 0,1 pour les plutons et 0,88 ±0,1 pour les laccolites. La ligne a=1 défini le rapport critique au delà duquel (a>1) la croissance verticale de l’intrusion prédomine sur l’allongement horizontal (a<1). D’après (Petford et al., 2000).

Plus récemment, la géométrie en 3D des corps intrusifs a été étudiée par McCaffrey and Petford (1997), via l’observation géologique et géophysique de 156 corps intrusifs. Il en ressort une relation statistique de type loi de puissance entre la longueur et l’épaisseur des intrusions, et ce indépendamment de la taille de l’intrusion. Dans la croûte continentale, les intrusions sont donc essentiellement tabulaires avec des dimensions caractérisées par la loi suivante :

t = 0, 12.I0,88 (1.1)

où t est l’épaisseur et I est la dimension horizontale la plus grande. Ainsi, un batholite de 50 km de long a "statistiquement" une épaisseur d’environ 4 km.

Cette relation simple permet une évaluation des volumes d’intrusifs dans les batholites. Les observations faites de l’épaisseur et allongement horizontal maximal sur des intrusions (fig. 1.12) permet de déterminer deux ensembles : plutons et laccolites. Les valeurs de "a" restent inférieures à la valeur 1 dans les deux populations. Ainsi, l’extension horizontale des corps intrusifs pré- domine toujours sur l’extension verticale. La forme générale des intrusions est donc tabulaire. La différence entre les deux populations est imputable aux limites mécaniques des phénomènes contrôlant la mise en place des intrusifs au sein de l’encaissant (roof-uplift et floor-depression, Petford et al. 2000). Une autre possibilité est que les laccolites sont plus petits et qu’ils repré- sentent un stade moins avancé (Cruden and Mc Caffrey, 2001).

Une combinaison d’études géophysiques, géologiques et géochronologiques permet de décrire la structure tabulaire des intrusifs comme celle d’un mille feuilles. Une illustration est fournie par Leuthold et al. (2012) qui décrit l’évolution du système intrusif du Torres del Paine (Chili) comme l’accrétion de couches granitiques successives sur une échelle de temps de 121 ka (cf. fig. 1.14). Cette structure est acquise au cours du temps par l’injection épisodique et l’accrétion de feuillets de magmas. Le mécanisme d’accommodation principal est le déplacement des terrains

Figure 1.13 – Illustration des différents modes d’emplacement de granites. Dans la partie gauche de chaque schéma,

l’espace pour le granite (en pointillés) est créé dans l’unité intrudée par le jeu de failles, tandis que le même espace est créé par déformation ductile dans la partie droite de chaque schéma. D’après (Cruden, 1998).

encaissants, le plus souvent vers le haut dans la croûte supérieure. Le mode d’accrétion (volume et fréquence des injections, i.e les flux magmatiques) a une importance considérable sur l’his- toire thermique des plutons. Un pluton est ainsi un lieu d’assemblage et non pas d’évolution chimique des magmas, sinon en faible proportion. L’une des conséquences principales est que la différenciation magmatique est essentiellement acquise à la source.

1.3.2.4 Les échelles de temps A l’échelle d’un pluton

L’idée de la construction des plutons de manière discontinue est une idée ancienne, évoquée par Pitcher and Berger (1972); Wiebe (1988); Wiebe and Collins (1998). Des travaux récents ont montré qu’un pluton d’apparence homogène peut en fait être mis en place de manière discon- tinue, par de multiples injections, ou par accrétion latérale ou verticale (Coleman et al., 2004; Matzel et al., 2006; Michel et al., 2008; Saint-Blanquat et al., 2006, 2001, 2011). Le calcul du taux de construction d’un pluton peut être analysé à plusieurs échelles : le "taux de construc- tion moyen" est calculé à partir du rapport entre le volume et la durée totale de construction du pluton ; le "taux de construction instantané" correspond au taux de magma mis en jeu lors d’une seule injection (Leuthold et al., 2012; Saint-Blanquat et al., 2011). La figure 1.16.a met en évidence que le taux de construction moyen ne traduit pas une mise en place continue, et que la construction d’un pluton résulte d’une accumulation successive d’injections dont le volume varie d’un corps à l’autre.

A partir d’une compilation de la relation entre le temps de construction et le volume pour différents plutons dans différents contextes géodynamiques, on observe que plus un pluton est gros, plus il a mis de temps à se construire (fig. 1.15). Ainsi il n’existe pas de documentation sur de larges plutons mis en place rapidement ou de petits plutons mis en place lentement. Ainsi, quel que soit le contexte géodynamique ou la composition chimique, le mécanisme de construction des plutons sous la forme d’injections successives semble être la même.

La taille de chaque pluton est liée à une cyclicité de temps donnée, et chaque couplage taille/échelle de temps est liée à un processus spécifique. Dans les petits plutons, on peut ob- server le processus incrémental de construction, c’est-à-dire l’assemblage d’injections successives

Figure 1.14 – Evolution schématique du complexe intrusif du Torres del Paine dans le temps, sur la base de données

géochronologiques. Les couches granitiques successives s’accrètent par le bas sur une échelle de temps de 121 ka. Un complexe de sills mafiques se met ensuite en place sous le complexe, mais par accrétion supérieure sur une échelle de temps de 41 ka. Le stade 4 représente exclusivement le complexe mafique. Figure extraite de Leuthold et al. (2012).

Figure 1.15 – Compilation des données disponibles sur la durée et les taux de construction des plutons. Voir Saint-Blanquat

(a) (b)

Figure 1.16 – Mesures structurales. (a) Représentation graphique du processus de construction d’un pluton par incréments

successifs. En haut : mécanisme incrémental de construction d’un pluton. En bas : différentes histoires intrusives pour un même volume d’intrusif. Figure extraite Saint-Blanquat et al. (2011). (b) Variation du taux de flux apparent pour le Coast Moutains batholith, Sierra Nevada batholith versus âges de cristallisation. Les carrés verts indiquent les périodes de silence magmatique dans la partie centrale de l’arc Andin. Figure extraite DeCelles et al. (2009).

(fig. 1.14). Dans les plutons de plus grande taille, ce processus incrémental n’est plus observable en raison de la maturation thermique, et la cyclicité qui consiste en des cycles d’injection à dif- férentes échelles de temps est liée à la composition et au régime thermique dans la région source. La dynamique de construction des plutons est un marqueur direct des processus lithosphériques et magmatiques profonds.

A l’échelle des batholites

Les batholites mis en place dans la croûte supérieure représentent l’enregistrement géolo- gique de l’activité d’un arc durant des dizaines de milliers voire de millions d’années. Leur construction est épisodique, dominée par des cycles de durée variable selon les régions. DeCelles et al. (2009) a identifié ces cycles dans les cordillères nord-américaines de la Sierra Nevada et des Coast Moutains (fig. 1.16.b). Leur période varie entre 20 et 70 Ma, et résulterait de la répétition d’un cycle d’évolution du système de cordillère orogénique.