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6.3 Caractéristiques géochimiques par période d’activité de l’arc

7.1.1 Les processus contrôlant la signature des magmas

Les résultats présentés dans la section précédente mettent en évidence la grande diversité géochimique et isotopique qui caractérise l’ensemble des roches constituant le batholite d’Are- quipa. Ce type d’observation est commun dans les grands massifs plutoniques, quel que soit leur contexte de mise en place. De nombreux travaux, analytiques ou de modélisation, se sont ainsi attelées à résoudre la question suivante : quels processus contrôlent la variabilité chimique dans les magmas d’arc ?

Les magmas acquièrent en premier lieu leurs signatures chimiques dans la zone où ils sont produits, puis leur composition est modifiée par les processus magmatiques qu’ils subissent lors de leur migration de la zone source vers leur lieu de mise en place. Globalement, ces processus appartiennent à deux grandes familles : la différenciation magmatique et l’interaction (contami- nation, mélange, assimilation) avec le milieu qu’ils traversent. Dans un contexte de subduction, il s’avère souvent complexe de remonter à la signature originelle des magmas, a fortiori pour des lithologies granitiques. Cependant, dans cet environnement géodynamique particulier, il est logique de considérer que la majeure partie de la variabilité chimique est acquise lors de la migration des liquides vers la surface. Dans le cas des travaux de géochimie sur les lithologies granitiques ou apparentées, les phénomènes invoqués pour expliquer la grande disparité des compositions chimiques rencontrées sont de l’ordre de trois (hormis la cristallisation fractionnée simple) : l’assimilation couplée à la cristallisation fractionnée (Allegre and Minster, 1978; Bowen, 1956; DePaolo, 1981; Taylor and Sheppard, 1986), le mélange liquide-liquide et la conservation d’assemblages péritectiques lors de l’évolution des magmas. Ces trois grandes hypothèses sont présentées ci-dessous.

1. Les processus impliquant un pôle contaminant. Ils correspondent soit à l’assimilation de la roche encaissante pendant la cristallisation fractionnée (AFC), et/ou les phénomènes infra et supracrustaux de mélanges de magmas.

Le processus d’AFC (Assimilation Fractional Cristallisation) a été particulièrement dé- veloppé par DePaolo (1981) au cours de son étude des caractéristiques isotopiques des granitoïdes d’arc de la marge nord Américaine, et est encore largement utilisé. Tel que décrit par DePaolo (1981), un magma mantellique peu différencié subit la cristallisation fractionnée et simultanément des lithologies contaminantes possèdant des caractéristiques crustales sont entièrement assimilées par le magma. La cristallisation fractionnée se déroule

selon le modèle des séries de cristallisation de Bowen, et la sédimentation des minéraux plus denses que le liquide rémanent entraîne la formation de cumulats mafiques. Avec ce processus d’AFC, les auteurs modélisent la dérive des caractéristiques isotopiques et géo- chimiques de l’ensemble d’une série magmatique, des termes les plus basiques aux termes les plus différenciés. Il s’agit donc d’un processus se déroulant à la fois en profondeur et dans la croûte supérieure, à proximité des niveaux de mise en place des intrusifs.

Le processus de mélange supracrustal entre deux magmas aux caractéristiques géochi- miques plus ou moins éloignées est également utilisé pour expliquer la variabilité observée dans les granitoïdes (Desouki et al., 1996; Frost and Mahood, 1987). Il existe en effet des affleurements attestant de ce processus où l’on observe la coexistence de magmas mafiques et felsiques. Les magmas mafiques apparaissent dans l’hôte felsique sous différentes formes (filons, enclaves, etc.). Cependant, les études géochimiques et isotopiques de ces objets montrent des compositions qui sont incohérentes avec un processus de mélange (Barba- rin, 1988). Ces considérations ont été considérablement débattues des dernières années (Fernandez and Barbarin, 1991; Metcalf et al., 1995; Poli et al., 1996), car les mélanges magmatiques ne sont pas des processus instantanés et les processus de différenciation peuvent être un vecteur puissant permettant l’homogénéisation des liquides magmatiques, au départ très différents.

Glazner (April, 2007) et Spera and Bohrson (2001) soulignent la non-viabilité thermique de tels systèmes (AFC et mélanges) dans les niveaux supracrustaux. En effet la consom- mation d’énergie nécessaire à l’assimilation de fragments allochtones solides, ou à l’homo- généisation de deux magmas de température différente entraîne un refroidissement rapide des magmas. Cette perte de chaleur se traduit par une augmentation de la viscosité des magmas qui entrave leur ascension jusqu’à la croûte supérieure.

En profondeur ("deep hot zones", Annen et al. 2006b), les systèmes de MASH décrits dans la partie introductive de ce manuscrit sont thermiquement viables. Durant le pro- cessus de "Melting Assimilation Storage and Hybridization", qui se déroule à la limite croûte-manteau (Annen et al., 2006b; Hildreth and Moorbath, 1988), les conditions thermo- mécaniques sont plus favorables à un mélange efficace de magmas d’origines différentes, la source de chaleur étant maintenue par l’afflux continu de matériel basaltique provenant du manteau sous-jacent.

2. Les processus de différenciation des magmas : cristallisation fractionnée, phénomènes de non dissolution de cristaux et assemblages péritectiques.

La différenciation magmatique est considérée comme le corollaire de la cristallisation frac- tionnée, cette dernière entraînant appauvrissement et enrichissement relatif en certains éléments dans un magma. Les variations géochimiques observées au sein des granitoïdes seraient alors dues aux minéraux cristallisés qui, du fait de leur isolement mécanique (sé- dimentation), ne sont pas en mesure de se rééquilibrer avec le liquide restant. Le modèle des grandes chambres magmatiques qui évolueraient par cristallisation fractionnée est dé- sormais désuet. Il a en effet été démontré que les batholites se construisent par le biais de nombreuses injections successives de magma (Coleman et al., 2004; Glazner et al., 2004; Leuthold et al., 2012; Saint-Blanquat et al., 2011), avec des mélanges entre injections très limités. Ainsi la cristallisation fractionnée à elle seule ne peut expliquer l’entière complexité

des magmas produits (Clemens et al., 2010).

La formation et l’entrainement de minéraux péritectiques lors de la fusion incongruente de la source serait pour certains auteurs (Clemens et al., 2010; Clemens and Stevens, 2012) la principale source de diversité des granitoïdes, après le contrôle exercé par la nature même du protolite des magmas. Ces minéraux péritectiques se formeraient lors de la fu- sion partielle de la source des magmas. La nature du protolithe et les différentes conditions de température, pression, etc., contrôleraient la formation de différents assemblages péri- tectiques ensuite entraînés dans les liquides formés. Ainsi les caractéristiques propres aux différents magmas seraient acquises dès leur premier stade de formation (fusion partielle de la source). Clemens and Stevens (2012) et Clemens et al. (2010) proposent ainsi que les principales caractéristiques géochimiques des granites de type S ou I soient au pre- mier ordre liées à la présence s’assemblages péritectiques, proposant même une origine crustale pour la majorité des liquides produits. Nous nous efforcerons de démontrer dans cette partie du manuscrit l’incohérence de cette approche dans un contexte de subduction stabilisée.

En résumé, la principale source de variation géochimique et isotopique dans les magmas serait liée à la nature de/des (la) source(s) des magmas et des processus se déroulant dans les "deep hot zones". L’évolution subséquente par différenciation simple n’exercerait qu’un contrôle secondaire. Cette hypothèse sera également discutée à la lumière de nos données sur le batholite. Au niveau de la croûte supérieure, la viscosité élevée des magmas et l’inefficacité des processus de diffusion constituent autant de barrières aux processus d’homogénéisation des signatures géochimiques, permettant de préserver en partie les hétérogénéités acquises antérieurement, dans les niveaux crustaux plus profonds.