• Aucun résultat trouvé

7.3 La normalisation à 100 ppm de Zr

7.3.3 Hétérogénéité chimique : quels processus ?

Les différences caractéristiques des deux groupes A(100) et B-J traduisent une histoire mag- matique différente. Ainsi, pour comprendre l’acquisition de la diversité géochimique et isotopique de ces deux groupes, nous avons testé plusieurs approches. Nous utilisons la représentation pré- cédente (fig. 7.5 et A.M.2), considérant donc des liquides n’ayant pas atteint des stades de différenciation avancés. Nous allons tester des processus basiques pouvant affecter les magmas durant les stades précoces de différenciation : AFC et mélange à deux pôles.

Dans la modélisation de ces deux types de processus, nous considérons un liquide d’entrée qui est un magma juvénile (pôle mantellique). Si ce magma évolue par AFC il est contaminé par un pôle contaminant solide. S’il est soumis à un processus de mélange, le magma est "contaminé" par un pôle liquide. Nous avons donc dû dans chacun de ces cas définir les pôles contaminants différents.

AFC Dans notre modélisation du processus d’AFC, nous considérons un liquide d’entrée qui est un magma juvénile (le pôle mantellique est une andésite d’arc classique (Kelemen et al., 2003). Ce magma évolue par cristallisation fractionnée en assimilant un pôle contaminant crustal (DePaolo, 1981). Le pôle crustal que nous avons utilisé est un échantillon de socle précambrien prélevé au coeur du batholite dans la concession de la mine Cerro-Verde. Ses caractéristiques géochimiques sont cohérentes avec les données de la littérature sur le socle d’Arequipa (Casquet et al., 2010; Loewy et al., 2004). Cette roche est caractéristique de la croûte moyenne donc pas directement représentative de la croûte profonde du massif d’Arequipa. Elle reste cependant notre meilleure approximation.

Les paramètres utilisés lors du calcul d’AFC sont présentés en Annexe (Table N.1). Nous avons considéré dans notre modèle un Dj global stable sur la série de cristallisation fractionnée considérée. Ainsi, la minéralogie des roches cumulatives est constante dans le temps, et est basée sur les observations des échantillons cumulatifs identifiés dans le batholite (Cpx + Plg + Amph + Bt + Ap + Mg). Même si le système naturel n’est pas aussi simple, ces considérations nous préviennent d’une définition trop aléatoire des paramètres minéralogiques.

Pour effectuer la modélisation des données, nous utilisons l’équation définie par DePaolo (1981). Nous avons testé la modélisation pour des valeurs de r variables, et avons retenu des valeurs comprises entre 0,06 (courbe violet foncé) et ±0,1 (courbe violet clair). Ces courbes sont représentées pour les éléments suivants : Nd, Sr, Zr et Th (fig. 7.6).

Les courbes d’AFC sont cohérentes avec les données du groupe B-J pour le Nd, le Sr et le Th, et pour des 0,06 < r < ± 0,1, une majorité des données est représentée. Dans le cas du Zr, la majorité des échantillons de notre jeu de données est située hors du domaine défini par la modélisation d’AFC. Pour que la modélisation d’AFC soit cohérente avec les données du groupe B, il faudrait que le r soit beaucoup plus élevé. L’obtention des signatures Ndi les plus crustales (0,51213 pour la qz-diorite 09SD27) correspond à des taux de cristallisation fractionnée très élevés (entre 85 et 90 %), ce qui parait incohérent à ce stade.

Pour le groupe A, les résultats de la modélisation sont contradictoires. Pour le Nd et le Th, quelques échantillons peuvent être expliqués par l’AFC avec un r=0,06 et les autres échantillons pourraient correspondre à des r <0,06. Pour le Zr, c’est le scénario inverse avec quelques échan- tillons correspondant à la courbe AFC r=0,1 et les autres échantillons qui correspondraient à des r > 0,1. Enfin pour le Sr, aucune des courbes d’AFC ne traverse le domaine défini par le groupe A.

Mélange à deux pôles Dans la modélisation du mélange nous utilisons le même liquide d’entrée (andésite d’arc primitive). Le liquide contaminant est issu de la fusion partielle d’une lithologie présente en base de croûte. Ainsi, nous avons deux possibilités : un liquide issu de la fusion partielle de basaltes sous-plaqués (métabasaltes) ou bien un liquide issu de la fusion partielle de roches d’origine crustale (granulites par exemple). Nous utiliserons comme liquide issu de de la fusion de métabasaltes une composition proche de celle de liquides adakitiques, en effet dans un contexte chaud, il est possible d’envisager la fusion partielle de métabasaltes dans le faciès à amphibole/grenat (Martin, 1999; Rapp et al., 1991). Pour le pôle liquide d’origine granulitique, nous utilisons une composition moyenne de granitoïde d’anatexie. Ces deux liquides représentent deux cas extrêmes, mais nous sommes conscients que la zone de base de croûte est en réalité plus complexe.

Les courbes de mélanges obtenues ne sont pas satisfaisantes pour expliquer la diversité des roches des groupes A, B-K et B-J. En effet, pour le Nd, Zr et Th, ces courbes ne recoupent aucun des domaines définis par ces groupes. Dans le cas du Zr, les courbes de mélange traversent les domaines des groupes A et B, mais n’en expliquent pas la variabilité en concentration.

Nous notons également que la courbe de mélange avec un pôle "adakitique" ne permet pas d’atteindre le domaine défini par l’ensemble des échantillons pour le Sr (à la fois en termes de composition isotopique et de concentrations). Pour les autres éléments, le mélange permet d’expliquer la composition isotopique du groupe A mais pas les concentrations Nd, Zr et Th.

Cependant pour atteindre les compositions isotopiques du groupe A, on doit considérer une contribution du pôle contaminant très élevée (>80%), voire considérer un pôle purement issu de la fusion partielle de roches métabasaltiques.

Synthèse La combinaison cristallisation/assimilation semble compatible, dans certains cas, avec l’hétérogénéité des compositions géochimiques du groupe B-J. Il faut cependant garder en mémoire que ce processus est consommateur de chaleur, et qu’il n’est donc viable que dans des environnements thermiques stables dans le temps (comme des grandes chambres magmatiques, DePaolo (1981); Taylor and Sheppard (1986)). Dans l’environnement géodynamique où nous nous trouvons, l’AFC est envisageable dans croûte inférieure, où les conditions thermiques sont favorables pour la maintenir. Nous avons montré que le paramètre géochimique prépondérant, lorsque l’on veut mettre en évidence ce processus, est la dérive systématique des compositions isotopiques vers le pôle contaminant au fur et à mesure que le liquide magmatique se différencie. En première approche, cela semble compatible avec les observations et modélisations présentées précédemment (fig. 7.6). Donc, le fait que le groupe B-J présente globalement des signatures en- richies implique que les liquides ont cristallisé/assimilé massivement. Cette hypothèse est alors incompatible avec leurs caractéristiques plus mafiques, en comparaison de l’ensemble de notre échantillonnage. De plus, des liquides différenciés ont une viscosité plus élevée, ce qui ne facilite pas leur mise en place dans la croûte supérieure (Glazner et al., 2004). Le processus d’AFC nous place donc devant un paradoxe : comment expliquer d’une part la présence de liquides peu évo- lués, avec des signatures enrichies (voir figs. 7.2 et 7.3, Sr vs Rb et Zr vs ∆Sr) mis en place dans la lithosphère supérieure et d’autre part des liquides évolués (cf. groupe A) avec des signatures plus juvéniles, localisés à un même niveau structural ? Cette question est d’autant plus impor- tante que d’un point de vue strictement mathématique, il est possible de contraindre une grande partie des compositions du groupe B-J (fig. 7.6) par un simple processus d’AFC. La modélisation est alors capable de décrire des compositions chimiques, de manière individuelle, en proposant un processus irréaliste lorsque l’ensemble d’un groupe d’échantillons (B-J) est considérée. Ainsi, contrairement à Boily et al. (1989), nous ne retenons pas l’hypothèse de l’AFC pour expliquer l’acquisition des signatures géochimiques et isotopiques des roches du batholite sud-péruvien. Le mélange à deux pôles permet d’expliquer l’acquisition de signatures isotopiques basses, sans pour autant qu’un taux de cristallisation élevé soit nécessaire. Cependant, nos résultats démontrent qu’un simple processus de mélange n’est pas suffisant pour expliquer l’hétérogénéité chimique rencontrée. Le choix des pôles contaminants est fondamental et à la lumière de nos essais, seuls des mélanges multi-pôles pourraient reproduire la disparité isotopique et élémentaire observée. Mais sont-ils réalistes ? Peut-on imaginer la co-existence de plusieurs contaminants isotopique- ment et chimiquement distincts et isolés dans la lithosphère inférieure ?

Après avoir défini un index de différentiation cohérent (∆Sr), nous avons modélisé deux processus d’hybridation des magmas en considérant plusieurs hypothèses sur les conditions de cristallisation et les signatures des contaminants. Il s’avère qu’aucun de ces deux processus n’est satisfaisant, en particulier quand l’ensemble des échantillons est considéré. Dans la section suivante, nous allons abandonner en partie l’approche empirique et tenter de contraindre plus précisément les paramètres clefs de ces processus : les coefficients de partage, les pourcentages

réels de cristallisation fractionnée et les phénomènes complexes d’hybridation/contaminations des liquides, en particulier dans les stades précoces de leur histoire magmatique.