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Les processus de construction des représentations sociales

Chapitre 3 : Cadre conceptuel

3.4 Les processus de construction des représentations sociales

Deux processus principaux interviendraient dans la construction d’une représentation sociale : l’objectivation, ou le fait de rendre concret ce qui est abstrait; et l’ancrage, qui permet d’intégrer ces nouveaux objets à notre système de pensée ainsi qu’à nos conduites et pratiques.

L’objectivation est le processus par lequel un élément abstrait est transformé en images ayant du sens et qui se conçoivent clairement. Bonardi et Roussiau (2014) ont dressé

48 un portrait général de ce processus. L’objectivation s’effectue par sélection et décontextualisation : nous retenons certains éléments d’un objet, filtrant les informations s’y rapportant pour se le représenter. Le sujet organiserait ensuite les éléments retenus d’une façon cohérente et signifiante pour lui, élaborant un schéma figuratif lui permettant de simplifier l’objet et de le matérialiser. La troisième et dernière phase de l’objectivation consiste à « naturaliser » l’objet, c’est-à-dire se le représenter concrètement et le considérer comme une évidence objective.

Le deuxième processus fondamental à la construction des représentations sociales permet d’orienter nos conduites et rapports sociaux : « l’ancrage permet l’utilisation concrète et fonctionnelle de l’objet de la représentation sociale, qui est parallèlement filtré, décontextualisé, schématisé et naturalisé » (Seca, 2010). Notons que la relation entre l’objectivation et l’ancrage ne doit pas être perçue comme une chronologie, les deux processus se déroulant simultanément. L’élaboration des représentations sociales résultant du processus d’objectivation doit être contextualisée. La sélection des informations se rapportant à un objet est influencée par les systèmes de valeurs, les codes culturels ou l’idéologie du sujet (Seca, 2010). La construction des représentations sociales est ainsi fonction des rapports sociaux dans lesquels elles prennent forment et évoluent et elles influencent en retour nos différentes conduites et façons de faire l’application des représentations sociales dans notre vie quotidienne.

Plusieurs auteurs défendent l’idée que les représentations sociales s’organisent pour former un système de pensée nous permettant d’aborder la réalité. Or cette réalité serait vécue différemment selon le genre, la classe, l’appartenance culturelle d’un sujet, ainsi que selon le contexte historique et politique de la société dans laquelle la personne vit. Les représentations sociales se construisent par l’interaction entre les personnes et s’appuient sur le « bagage culturel » d’une personne (Bellavance, 2010). L’adhésion d’un sujet à un système de pensée symbolique, ou le processus de construction d’une représentation, est marquée par le positionnement occupé par le sujet dans la sphère sociale.

Concevoir les représentations sociales comme principes organisateurs du positionnement individuel se fonde sur le principe d’homologie structurelle présenté par Pierre Bourdieu (Campos et Lima, 2016). Suivant ce principe, il existerait une équivalence

49 formelle et fonctionnelle entre la position d’une personne ou d’un groupe dans une structure sociale et les structures cognitives. Le principe d’homologie structurelle induit aussi que toute forme de pensée sociale (social thinking) manifestée par une personne – parmi lesquelles les représentations sociales mais aussi les idéologies, les valeurs ou encore les religions - est corrélative des structures sociales au sein desquelles elles émergent. Les variations dans les représentations d’un objet donné seraient ainsi le fruit de ces différentes positions sociales, des différentes postures à partir desquelles un objet est appréhendé (Campos et Lima, 2016).

L’approche du positionnement social postule que les membres d’un groupe partagent un champ commun de savoir à propos des objets sociaux, que leurs jugements, leurs attitudes à l’égard de l’objet ou de certains de ses aspects peuvent être diversifiés, et enfin, que ces variations sont influencées par leur positionnement social particulier (Campos et Lima, 2016). La position sociale résulterait de la distribution historique du capital social, culturel, économique, de genre et symbolique. Ainsi, lorsque le contexte social se transforme, certaines informations de la réalité qui étaient auparavant cachées ou rendues invisibles apparaissent peu à peu comme des évidences et invitent à transformer nos opinions et attitudes à l’égard de l’objet et des divers aspects du contenu de sa représentation (Campos et Lima, 2016).

Situées à l’intersection du social et de l’individuel (Jodelet, 1989), les représentations sociales s’inscrivent ainsi dans un contexte social et historique donné et se transforment aussi aux rythmes des changements sociaux. En raison de ce mouvement et parce qu’elles se trouvent liées, imbriquées, les unes aux autres, elles sont difficilement saisissables. Quatre caractéristiques sont principalement retenues dans les écrits portant sur les représentations sociales. 1- Celles-ci font évidemment toujours référence à une relation entre un objet et un sujet ou un groupe social donné. 2- La reproduction des représentations sociales se fait de façon concrète, en assimilant certains objets à des schèmes cognitifs existants. 3- Les représentations ont aussi un caractère symbolique et signifiant, et sont porteuses de sens. 4- Elles ont enfin un caractère constructif, autonome et créatif, leur permettant de se transformer lentement sans pour ce faire que toutes les représentations individuelles doivent être

50 transformées. La représentation sociale est un symbole qui devrait être le reflet des rapports sociaux tout en contribuant à les former (Moscovici, 1961).

Les représentations sociales guident la définition que nous nous faisons de différents aspects de la réalité et leur importance se trouve sans cesse renouvelée dans la vie courante (Jodelet, 1989). Les représentations sociales ont des fonctions : de savoir; d’orientation; identitaire; et justificatrice.

La première permet de comprendre et expliquer la réalité, constituant une certaine forme de connaissance à propos d’un objet et de ceux y étant liés. Les représentations sociales interviendraient comme intermédiaire entre la connaissance et la structure de pensée d’une personne : elles sont façonnées par nos idées, attitudes et comportements, tout en façonnant ces derniers à leur tour. Certains avancent que tout apprentissage se fonde ainsi sur les représentations sociales. Ces dernières apparaissant alors comme des outils au service de la construction d’un système de pensée qui est aussi en perpétuel remodelage pour s’ajuster aux expériences vécues et aux nouveaux savoirs. Si l’activité cognitive est vue comme étant à la fois influencée par des aspects individuels et sociaux, c’est à ces derniers que revient le rôle central dans la théorie des représentations sociales développée par Moscovici (1961). Ce point de vue reconnaît la sphère sociale comme lieu de co-construction des connaissances rendu possible par les interactions entre les personnes. Laplantine (2003) ajoute qu’en plus d’être un savoir, la représentation est aussi une évaluation, agissant conséquemment comme un instrument d’action. Les représentations fondent nos jugements et attentes et guident nos interprétations et définitions de nos réalités. Les représentations sociales agissent comme guides des conduites et attitudes à privilégier, ayant ainsi une fonction d’orientation. Comme modalité de savoir social, elles agissent comme intermédiaires entre le sujet et l’objet (un phénomène social ou un groupe par exemple) et régulent conséquemment nos conduites sociales (Campos et Lima, 2016). La fonction identitaire fait référence à la nécessaire protection de la spécificité de son groupe, à une forme de cohésion sociale. Les représentations sociales permettraient de distinguer le groupe qui les produit d’autres groupes (Bonardi et Roussiau, 2014). Elles permettent enfin de justifier nos conduites une fois réalisées, en les recontextualisant.

51 Les représentations sociales se caractérisent par trois aspects présentés comme interdépendants soit, « la communication, la (re)construction (du réel) et la maîtrise (de l’environnement); en résumé, « les représentations sociales sculptent la pensée sociale, actualisent des connaissances spécifiques et, en assurant la communication entre les individus, orientent leurs conduites » (Bonardi et Roussiau, 2014, p.21). Ce faisant, nos représentations s’actualisent au quotidien, dans un travail de (re)construction nourri par nos expériences. Enfin, puisque globalement, l’ensemble des représentations sociales – savoirs de sens commun et pratiques - permettent de se situer socialement, de pouvoir interpréter le réel et orienter nos conduites, elles sont dites utiles à l’être humain car elles lui permettraient de « maîtriser son environnement ».