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Des informations à propos du chez soi issues de savoirs expérientiels et d’une «

Chapitre 6 : Discussion

6.3 Des informations à propos du chez soi issues de savoirs expérientiels et d’une «

Appréhender la notion de chez soi appelle un ensemble de souvenirs quant à ses aspects affectifs, physiques ou encore temporels, ainsi qu’aux expériences évaluées positivement, et négativement. Tel que présenté précédemment, les représentations du chez soi peuvent être fondées sur des expériences personnelles et familiales vécues pendant l’enfance et à l’âge adulte (Therrien, 2009). Nos souvenirs influencent les représentations d’un chez soi idéal ou réel, lesquels peuvent ainsi être teintés d’une certaine forme de nostalgie (Porteous et Smith, 2001). Les informations partagées par les participant·e·s sur leurs expériences du chez soi font appel à leur mémoire d’évènements personnels, mais aussi communautaires et collectifs. Les informations qu’elles ont partagées à propos de leurs expériences du chez soi ont été acquises ou comprises par leurs expériences au sein de différents espaces relationnels : des relations à soi-même, au sein de la famille, de « sa » communauté, en relation aux autres communautés des Premières Nations ou encore plus largement à « la société ».

Leurs savoirs pratiques et leurs conceptions symboliques du chez soi relèvent à la fois d’expériences « positives » du chez soi et d’expériences « en négatif » de l’objet, soit de l’absence du chez soi. De plus, « la mémoire collective » liée aux transformations du chez soi pour les Premières Nations marque leurs représentations du chez soi, entendues comme une manière d’être en relation à son environnement. Ces transformations du chez soi ont par exemple été associées à la création des réserves, l’exploitation intensive des ressources en territoires, le système de pensionnats ou encore à celui de l’adoption au sein de familles allochtones; des attentats colonialistes ayant mené au bouleversement des valeurs, des façons de faire et des « états d’âme » des personnes et communautés des Premières Nations.

Cette perspective collective, faisant ici référence aux réalités des Premières Nations plus généralement, à l’histoire commune qu’elles partagent vis-à-vis la société coloniale et

128 ses institutions, a été adoptée à maintes reprises au fil des entretiens. La considération portée à ces transformations du chez soi révèle encore le caractère temporel du chez soi : que pouvait représenter le chez soi avant ces transformations et à l’égard des traces que ces façons d’être et d’habiter (ensemble) ont laissées? Où peut-on en percevoir aujourd’hui les continuités? Le concept du chez soi est culturellement et socialement ancré (Somerville, 1992), l’idéal qu’il contient est aussi teinté de l’imaginaire symbolique d’un groupe auquel on s’identifie et en dialogue avec celui de la culture dominante (Brickel, 2012). Il importe donc de reconnaître la valeur et l’importance de cette mémoire collective dans la construction du champ de représentation du chez soi tout autant que la situer dans ce qu’elle peut comporter d’idéal.

Rappelons que la notion du chez soi serait construite tant dans sa forme réelle qu’idéale (Sommerville, 1997) et que parler du chez soi pour soi-même contient presque toujours sa part d’une image valorisante de l’identité des personnes en faisant partie (Zielinski, 2015) ou encore de certaines parties de leur passé (Porteous et Smith, 2001). L’idéal du chez soi est marqué, à l’instar du champ de représentation dégagé à travers les propos recueillis, par l’identité culturelle. Toutes les personnes ayant participé aux entretiens individuels ont fait référence à leur appartenance culturelle en parlant d’elles-mêmes et de leurs conceptions du chez soi. On ne peut passer sous silence à quel point ces références ont pris une place importante, significative, dans les manières et les mots choisis pour se (re)présenter. Les participant·e·s ont nécessairement parlé de ce qu’ils et elles connaissaient de leur culture ou des cultures des Premières Nations plus largement, en mettant de l’avant ce qui leur semble perçu positivement.

Si l’identité culturelle apparaît si importante, on pourrait penser que les réserves soient encore plus susceptibles de constituer un lieu de choix où se construire un chez soi. Les conditions objectives dont ont fait mention certains participants à propos des réserves peuvent éclairer les raisons pour lesquelles les milieux urbains peuvent apparaître comme tout indiqués à certains temps de la vie pour construire son chez soi, pour se retrouver dans un milieu où les opportunités d’emploi, de formation ou même de divertissement apparaissent plus nettement. Les interprétations et comportements des participantes sont aussi influencés par les violences de toutes sortes présentes sur les réserves (entre autres milieux) : la violence conjugale ou familiale, la surconsommation d’alcool ou de drogues ou

129 encore le suicide. Les préjugés y sont aussi présents et véhiculés; par exemple, les expériences de certaines participantes revenant sur les réserves après un séjour en ville, qui ont senti ne plus faire tout à fait partie du « groupe », qui ont ressenti être jugées différentes.

Parallèlement, parmi les expériences associées au chez soi, plusieurs ont parlé des réserves, des espaces au sein desquels elles se savent chez elles, où elles se sentiront toujours chez elles, où certains codes quotidiens agissent comme marqueur géographique et symbolique: enlever les ceintures de sécurité, marcher dans la rue, entrer sans cogner. Les réserves ont été désignées (à juste titre) comme des espaces définis de l’extérieur, inadaptés aux pratiques coutumières des Premières Nations, conçues dans le but de les assimiler et les exclure du devenir et de la gouvernance des territoires, ainsi que de la définition des codes juridiques et sociaux ayant préséance sur les territoires nationaux sur lesquels elles habitent. Simultanément, les réserves sont désignées comme « les communautés », bien que l’idée de communauté soit loin d’être synonyme de réserve. Pour les participant·e·s rencontrés, les relations avec les membres de leurs familles et communauté habitant au sein de réserves étaient maintenues de diverses manières adaptées à la distance (réseaux sociaux, téléphone, visites ponctuelles, etc.). Elles se savent par ailleurs en mouvement sur les territoires, dont en milieux urbains, et reconnaissent les communautés qui se (re)créent aussi en ces lieux. Les réserves sont vues néanmoins comme des espaces de rassemblement pour les Premières Nations, utiles, nécessaires et pour plusieurs personnes, elles font partie des lieux d’où elles ont accès à cet espace désigné comme chez soi.

L’histoire des résidents vis-à-vis un lieu précis, significatif, qui a été jadis ou est actuellement source de bien-être et de pouvoir, a une influence sur le degré d’attachement et le sentiment d’y être chez soi (Porteous et Smith, 2001). Il semble en être de même pour les personnes rencontrées en ce qui concerne les réserves mais aussi les milieux urbains. « L’histoire des résidents » réfère ici à l’histoire de la présence des Premières Nations à Saguenay, à l’utilisation constante de certaines portions de territoires par des membres de leur famille ou par leurs ancêtres directs incluant ceux des milieux urbains actuels depuis des générations. Plusieurs personnes rencontrées ont référé à l’histoire de la présence constante des Premières Nations au Saguenay, avant l’arrivée d’Européens, au sein des paroisses établies sur les territoires de chasse, par le métissage, plus récemment, pour l’éducation aux

130 cycles supérieurs, ou depuis toujours, pour des raisons économiques, entendues au sens large. Ainsi, retenons que les propos des participant·e·s suggèrent qu’elles se savent chez elles sur le territoire actuel de Saguenay, au sens où les communautés des Premières Nations qui les ont précédées y ont toujours été.