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Chapitre 2 : Recension des écrits

2.1 Appréhender le chez soi

2.1.2 Le chez soi comme espace de pouvoir

En réponse aux analyses contradictoires et ambigües à propos du chez soi, Blunt et Dowling (2005) ont proposé le modèle des « géographies critiques du chez soi » de façon à mieux en comprendre le caractère politique. Ce modèle invite à considérer trois grandes composantes du chez soi qui interagissent entre elles : les aspects à caractère matériel et imaginatif, les multiples niveaux du chez soi, ainsi que le lien entre le chez soi, le pouvoir et l’identité.

34 La réponse à la question « que signifie le chez soi ? » dépend de là où on se situe pour répondre, à partir de quelle échelle et depuis quelle position sociale nous parlons. Le chez soi appelle aux sens plus profonds d’un lieu nommé chez soi (a place called home) (Massey, 1994). Aussi, le terme « espace » renvoie, peut-être davantage que celui de « lieu », à la position d’une personne dans le monde30 et apparaît plus juste pour désigner le chez soi. Il

permet de garder en tête les fondements relationnels du chez soi et reconnaître que les relations interpersonnelles performées à l’intérieur du chez soi peuvent transposer celles caractérisant les mondes publics et politiques (Brickel, 2012). Pour Brickel (2012) le chez soi est considéré comme un lieu physique, où on réside le plus souvent, tout comme un espace symbolique et imaginatif d’appartenance. Il s’agit d’un espace doté de sens, siège de la personnalité peut-être, mais auquel les gens sont différemment positionnés et qu’ils expérimentent différemment selon leur âge, leur genre ou leur appartenance culturelle notamment.

Des auteur·e·s avancent par exemple que le chez soi représente la fusion de l’unité physique de la maison et de l’unité sociale du ménage; la première créant obstacle ou facilitant certains types de relations entre les personnes du ménage (Saunders et Williams, 1988). Le genre et l’âge pourraient alors être considérés comme des dimensions clés pour distinguer les différentes perceptions du chez soi au sein d’un même ménage, en fonction des pouvoirs exercés notamment, mais aussi des façons dont chaque membre investit les lieux de vie. Les hommes et les femmes par exemple ont une conception différente du chez soi, et ce, entre autres en raison de la division du travail et des stéréotypes de genre (Somerville, 1992; Saunders et Williams, 1988). Le travail domestique se trouvant sous-évalué, sous prétexte qu’il est effectué par « amour et don de soi » plutôt que pour une compensation matérielle, le chez soi est susceptible de représenter pour les femmes un lieu de travail non-rémunéré plutôt qu’un lieu de détente et de reconnaissance lorsqu’on le considère strictement comme le domicile. La diversité des significations du chez soi pour les hommes et les femmes faisant l’expérience d’un même lieu doit aussi être contextualisée au regard du problème social des violences faites aux femmes, dont les manifestations se produisent à l’intérieur des maisons, souvent au sein des foyers familiaux. Le champ des études féministes a permis de mettre en

35 évidence que la maison constitue pour plusieurs femmes le premier espace d’oppression dont elles font l’expérience (Mallet, 2004). C’est au sein-même de leurs foyers que les femmes sont le plus susceptibles d’être violentées (agressions sexuelles, violence conjugale, violence économique) ou exploitées (aide domestique sous-rémunérée ou exercée sous contraintes, aidante « naturelle », prostitution de survie ou à domicile). L’idée du chez soi comme refuge, soit un espace sécuritaire où le corps, l’esprit et les relations aux autres peuvent se détendre et où on peut exercer du contrôle ou son pouvoir d’agir, se trouve ainsi remise en question lorsqu’on considère la variable du genre. Si le chez soi peut être construit comme un espace politique radical en soi (Massey, 1994), il peut néanmoins être l’un des petits théâtres de processus politiques plus larges (Brickel, 2012).

L’importance du chez soi dans la vie des personnes et de groupes de personnes se révèlent clairement à travers le portrait dressé par les travaux consultés. Capable d’offrir protection et guidance, ce qui permet à fois de « se retrouver » et continuer d’avancer, il est présenté à la fois comme repaire et repère (Larocque, citée dans Zielinski, 2015). Le sentiment de sécurité qu’il crée est nourri par le fait de se retrouver dans un environnement connu, sur lequel on peut avoir une certaine maîtrise et entretenir des habitudes et, lorsqu’assimilé à l’habitation, ce sentiment repose sur la croyance que les murs protègent et qu’ils rendent moins vulnérables (Zielinski, 2015).

Ces fonctions du chez soi rejoignent celles que Marcus (1995, cité dans Oswald et Wahl, 2005) a aussi identifié : gagner du contrôle cognitif et comportemental sur un espace donné, manipuler l’espace (l’aménager, y intervenir, voire le décorer) de façon à retrouver ou créer des repères et susciter un sentiment de confort et de bien-être et enfin, percevoir à travers l’espace une continuité avec les personnes et les lieux significatifs du passé. Ceci rappelle les fonctions reconnues politiquement au Québec à propos du chez soi, qui démontrent elles aussi l’importance du chez soi. Dans un autre ordre d’idée, l’importance du chez soi se révèle aussi à travers les travaux portant sur sa destruction et son absence.

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