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3. L’enseignement des personnes présentant une déficience intellectuelle modérée à sévère

3.2. Les lacunes de l’enseignement littéracique

La description de la littératie donnée par PISA (chapitre 2.1.) est critiquée par Keefe et Copeland (2011) du fait qu’elle mène à l’exclusion et l’enfermement de cette population dans la catégorie péjorative des illettrés. Pourtant Duchesne, Rouette, Rocque et Langevin (2002, d’après l’étude de Duchesne, 1993) signalent qu’environ 90% de personnes déficientes intellectuelles « possèdent théoriquement la capacité d’accéder au monde de l’alphabétisme » (p. 13). Cela indique que les difficultés que ces personnes ont dans ce domaine n’est pas la seule et unique raison de leur manque de savoirs. L’organisation du système scolaire joue évidement un rôle majeur, ce que mettent en avant Hessels et Hessels-Schlatter dans l’interview accordé au magazine universitaire Campus (Monnet, 2011). Ils donnent un exemple concret du dénigrement trop fréquent des capacités des élèves genevois en soulignant que

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en Angleterre, où ces personnes sont intégrées d’office à l’école régulière, 25% d’entre elles sont susceptibles d’atteindre un niveau de lecture équivalent à celui d’un élève de 6e primaire, tandis que la moitié parvient à un niveau de 2e à 3e primaire. On en est encore loin à Genève, où de tels cas se comptent encore sur les doigts de la main (p. 7).

Elle est donc là, la question de l’intégration des personnes présentant une déficience intellectuelle dans des classes régulières. Ce contexte joue un rôle important dans le processus d’apprentissage du fait qu’il influence favorablement leurs performances. Plusieurs études soutiennent ces propos. Par exemple Laws, Berne et Buckley (2000) ont comparé les résultats des enfants atteints de syndrome de Down qui apprenaient dans deux milieux distincts : ordinaire et spécialisé. Ils ont observé que les enfants faisant partie d’un groupe scolarisé dans le milieu ordinaire, ont obtenu de meilleurs résultats que ceux issus des classes spécialisées et ceci dans les domaines du langage tels que le vocabulaire ou encore la compréhension de la grammaire. Une autre étude, plus récente, faite par Dessemontet, Bless et Morin (2012) a mené au même constat. Ces auteurs ont démontré un progrès significatif des compétences littéraciques chez les enfants âgés de 7-8 ans présentant une déficience intellectuelle (QI : 43-75). Leurs résultats ont montré que le niveau de leur compétences en littératie du groupe d’enfants intégrés dans des écoles ordinaires à légèrement augmenté en les comparant à celui des élèves issus des écoles spéciales.

Les raisons de la négligence dans le domaine de l’enseignement littéracique peuvent être multiples. Browder et al. (2009) en énumèrent les trois causes probables de l’exclusion des personnes présentant une déficience intellectuelle importante de cette activité.

Premièrement, il s’agirait d’un préjugé quant à leur incapacité d’acquérir les connaissances dans ce domaine. Deuxièmement, un manque d’instruction « peut laisser supposer qu’ils peuvent seulement acquérir certain vocabulaire fonctionnel par opposition au décodage »10 (p. 270). Et finalement, il serait question des déficits du langage et de la communication qui les empêcheraient d’y parvenir.

En effet, ces hypothèses semblent être confirmées. Par exemple Katims (2000a) mentionne qu’un nombre important d’éducateurs les voit incapables d’apprendre à lire.

Kliewer, Bliklen et Kasa-Hendrickson (2006) parlent de la marginalisation des personnes présentant une déficience intellectuelle due aux expériences littéraciques limitées voire inexistantes. La justification d’une enseignante citée dans cet article, en est l’illustration.

10 Traduction par l’auteur

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Partie d’un établissement ordinaire pour intégrer une structure spécialisée, elle compare le travail dans ces deux milieux :

In first grade here [in the city’s school system] there is so much pressure to teach reading. It’s make or break. You have so many people watching, and the pressure is intense. Here [at the segregated special education school] there’s no teaching reading.

I don’t have to worry about it. My kids aren’t readers and they never will be (p. 171).

Tout au long de cet article, ces auteurs décrivent la lecture comme une compétence

« invisible », ce qui démontre les lacunes de l’éducation pour tous. Par ailleurs, le niveau d’instruction littéracique, s’il a lieu, est faible et souvent inadapté (Downing, 2005). Elle souligne que dans le cas des personnes présentant une déficience intellectuelle significative, il n’y a pas d’attente particulière liée à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture car tout simplement les objectifs à atteindre ne sont pas définis. En outre, elle pointe le caractère limité et très fonctionnel de ces apprentissages. Pourtant ces personnes ne vont pas acquérir les compétences en littératie elles-mêmes :

they will not acquire literacy skills (and other academic skills) if we do not expect them to or provide them with opportunities to do so. If we perceive them to be incapable of learning, then they may easily meet that expectation (p. 8).

Les tentatives de l’enseignement systématique de la littératie (de la lecture, de l’écriture, de l’orthographe) aux personnes présentant une déficience intellectuelle sont un phénomène relativement récent (Katims, 2000a). Cela sous-entend que nous avons donc porté très peu d’attention voire pas du tout à l’utilité d’une telle instruction. La recherche de Ruppar (2014) nous apporte justement des informations à ce sujet. Elle a analysé les pratiques littéraciques déjà mises en place par les enseignants travaillant avec des personnes présentant une déficience intellectuelle importante. Les quatre éléments de ce processus ont été explorés dans le contexte scolaire des adolescents présentant un retard de développement sévère et de leurs enseignants. Il s’agit seulement des activités que les enseignants ont choisi de partager avec la chercheuse. Les axes sur lesquels cette auteure s’est focalisée concernent : (1) le contexte de l’enseignement : « i.e., features of the setting where literacy was taught » (2) le sujet de l’enseignement : « i.e., what was taught », (3) le matériel, et (4) les tâches consacrées à la littératie : « i.e., what the student did to engage in the activity » (p. 5). Les données récoltées n’ont mis en évidence que les activités littéraciques étroitement construites autour de l’enseignement de la littératie. Celles-ci avaient peu de lien avec le curriculum général, ou amélioraient peu des compétences en communication. Si elles avaient lieu, elles étaient

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déconnectées du contexte de ces adolescents. Quant aux outils, juste une feuille de brouillon a été utilisée.

Ce manque de méthodologie peut être en lien avec un nombre limité d’études menées dans ce domaine. Browder et al. (2006) ont passé en revue les 128 études qui traitaient de l’enseignement de la lecture aux personnes présentant une déficience intellectuelle modérée, sévère ou encore atteintes d’un trouble du spectre autistique. Ils ont pris en compte, entre autre, les thèmes vus comme la base de l’enseignement. Dans le graphique ci-dessous (Figure 4), nous pouvons voir la répartition de ces travaux en fonction de la thématique abordée (Browder et al. 2006, p. 397). Il nous indique que la grande majorité d’entre eux se focalise sur la reconnaissance des mots isolés (sight words) et ceci seulement dans le cas de l’enseignement aux personnes présentant une déficience intellectuelle modérée (moderate MR). Cependant, le nombre d’études axées sur la conscience phonologique est insignifiant pour la population présentant une déficience modérée et inexistant pour les deux autres groupes (severe MR et other).

Figure 4: Reading components targeted in reviewed studies

Il est également important de souligner ici, que les composantes de la littératie abordées dans ces recherches font partie du modèle conceptualisé par Southwest Educational Development Laboratory (Figure 2), celui de Burgoyne et al. (2012 ; Figure 3) ainsi que le modèle de la

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littératie élaboré par Browder et al. (2009 ; Figure 6). Les analyser séparément en s’appuyant sur les recherches scientifiques semble alors fondamental. C’est pourquoi nous allons leur consacrer le chapitre 4, ce qui permettra de mieux comprendre la complexité de l’enseignement de la lecture aux personnes présentant une déficience intellectuelle modérée à sévère.

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