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Hésitant courant

III. Partie empirique

8. Les résultats

8.1. Focus group 1

Dans ce sous-chapitre entièrement consacré au premier focus group, chacune de six catégories formulées est analysée séparément. En nous basant sur les descriptions des participants, nous commençons par présenter des données liées à l’organisation de l’enseignement littéracique et l’évaluation faite avant de débuter l’apprentissage. Ensuite, nous verrons comment les logopédistes définissent les prérequis nécessaires pour pouvoir entrer dans la lecture. En outre, l’importance accordée au matériel, où on trouve aussi des outils technologiques, fait l’objet des deux chapitres suivants. Enfin, nous rassemblons les avis formulés par les participants au sujet de leurs besoins dans le domaine de l’enseignement littéracique.

8.1.1. L’organisation de l’enseignement de la littératie

Comme l’indique l’intitulé de ce chapitre, le sujet qui y est abordé concerne les aspects organisationnels de l’enseignement de la littératie dans trois structures spécialisées.

C’est un élément intéressant qui permettra de visualiser cet apprentissage de manière globale.

Il s’agit plus précisément des éléments liés à l’instruction - en groupe et en individuel, et le temps des séquences qui lui est consacré.

Ainsi ce focus group a mis en lumière des pratiques plutôt collectives qu’individuelles de l’enseignement donné. Toutefois, les trois professionnelles considèrent, que l’enseignement des notions littéraciques en groupe ne devrait pas se faire de manière

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exclusive mais en association avec des séances individuelles sur quoi les logopédistes ont beaucoup insisté. Elles l’expliquent par une grande hétérogénéité des personnes présentant une déficience intellectuelle importante. Il en résulte une grande variabilité des performances des personnes présentant le diagnostic, ce qui est en lien avec un réel besoin de bien déterminer les compétences et les lacunes de chacun pour mieux cibler l’apprentissage. Il nous a semblé que cet état de choses complexifie la tâche de nos participants.

Les participants argumentent la nécessité de mener des séances individuelles et présentent les avantages qui en découlent. Même si l’enseignement en groupe est évoqué, c’est sur l’enseignement individuel que nous obtiendrons des informations plus précises.

Ainsi, il est souligné que recevoir une personne seule permet de la faire évoluer plus facilement en adaptant et ciblant l’enseignement. Or, selon nos logopédistes, ce n’est pas possible en groupe.

Nous avons également obtenu des informations sur le temps consacré à ces séances organisées de manière hebdomadaire pour chacune de logopédistes. Il varie légèrement d’une structure à l’autre et est souvent attribué au niveau des capacités de la personne. Par exemple la logopédiste C, qui travaille avec des adultes, prévoit les séances individuelles de 45 mn chacune. La logopédiste B les adapte en fonction de l’organisation de l’établissement : ses séances individuelles, peuvent durer soit 30 mn soit une heure. Par ailleurs, la logopédiste qui travaille avec des enfants/adolescents (A) témoigne que les séances durent généralement 30 mn, mais peuvent parfois être prolongées jusqu’à 45 mn, ce qui dépend entièrement de l’enfant.

Toutefois, toutes les trois reconnaissent que la durée d’une séance individuelle n’est pas entièrement consacrée à l’enseignement de la lecture. Parfois il s’agit de 10 mn, parfois de 15 mn (A). Par ailleurs, la logopédiste C souligne, qu’elle essaie de travailler la lecture régulièrement, à chaque séance, mais admet aussi que celle-ci ne lui est jamais consacrée entièrement.

Au niveau des renseignements liés aux groupes, nous recueillons très peu de données.

C’est seulement leur structure qui est évoquée. Pour la plupart, il s’agit d’un petit nombre de participants, à savoir deux à trois personnes par professionnel. Dans le cas d’un groupe de quatre apprenants, deux employés sont présents.

8.1.2. L’évaluation avant de rentrer dans la lecture

L’évaluation des compétences d’une personne a été abordée par les professionnelles participant à ce premier focus group. Nous avons décidé de mettre ce point en évidence pour

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deux raisons. Premièrement, l’évaluation préalable rend la formulation des objectifs individualisés axés sur la littératie, plus facile. Deuxièmement, elle permet de prévoir les étapes de cet apprentissage pour atteindre les buts définis.

A ce sujet, les informations relevées lors du focus group indiquent, que les logopédistes essayent de s’organiser de façon à rencontrer les nouveaux arrivants individuellement, lors d’un stage. Durant ce moment, elles tentent d’estimer les acquis d’un apprenti-lecteur par le biais de quelques épreuves, comme par exemple la vérification de la connaissance des lettres. Egalement, elles soulignent l’importance de l’observation qui les renseigne sur le comportement de la personne et ses réactions face aux éléments liés à la lecture. Il s’agit par exemple des objets, comme des livres ou encore des attitudes aux signes représentant des lettres montrées à l’aide d’une méthode phonétique de la lecture de Borel-Maisonny16. Tout élément qui permet de déterminer ce que l’individu sait faire et s’il montre un quelconque intérêt pour les objets présentés dans cet environnement, leur est utile. Dans le cas des personnes adultes, la logopédiste C souligne, que leur demander s’ils savent lire peut-être aussi une source de renseignements. Ces indications sont utilisées par les professionnels pour planifier leur démarche pédagogique. En revanche la logopédiste qui travaille avec des enfants/adolescents nous indique qu’elle se base sur les renseignements des éducatrices qui réalisent le travail au niveau cognitif avec eux. Elle se base donc sur les observations de ses collègues pour prendre ensuite le relais plus ciblé sur l’enseignement de la lecture.

8.1.3. Les habilites nécessaires dans l’enseignement de la littératie.

Selon les participants de notre focus group, les personnes devraient avoir certaines compétences pour pouvoir accéder à la lecture. Elles ont été mentionnées durant l’échange et sont ainsi considérées comme importantes par nos professionnelles. Il s’agit principalement de la capacité de verbaliser, d’articuler pour pouvoir entrer dans la lecture. Le fait que la personne ne parle pas et donc ne verbalise pas, est problématique pour les logopédistes.

Pour y faire face, elles soulignent le rôle des techniques permettant de s’exprimer pour ceux qui n’oralisent pas. C’est à cette occasion que la connaissance du Makaton17 et du

16 Une méthode de lecture phonétique et gestuelle crée par Susanne Borel-Maisonny

17Makaton – c’est une approche d’une communication multimodale qui intègre la parole, les signes issus de la Langue des Signes Française, les pictogrammes Makaton ainsi que le langage écrit. D’après Montoya et Bodart (2009), les pictogrammes par exemple permettent la « compréhension du symbolisme, segmentation des mots, sens de la lecture et discrimination visuelle » (p. 19-20).

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PECS18 est évoquée. Ces deux approches facilitent la communication et donc remplacent ou complètent la parole. Autant le PECS est connu des logopédistes et communément utilisé dans les structures, ce n’est pas le cas du Makaton. Seulement une de nos professionnelles le connaît et l’utilise.

L’organisation des tâches liées à la lecture qui n’exigent pas l’oralisation semble être un vrai défi. Une des logopédistes souligne qu’elle n’a pas de solution pour que la personne lui dise des mots de manière autonome. C’est pourquoi elle a recours aux images enrichies des mots écrits mais ne recourt à aucun moyen pour savoir si l’élève écoute et comprend ce vocabulaire. Ajoutons ici les propos de la logopédiste travaillant avec les personnes adultes.

D’après elle, être en mesure de verbaliser est indispensable – pouvoir répéter le son et de le reconnaître fait partie des habilités sans lesquelles cette activité lui semble impossible à réaliser.

Un autre point à mentionner ici est l’attitude de l’apprenti face à la littératie. Celle-ci est vue comme importante du fait qu’elle renseigne les logopédistes quant au degré d’intérêt que la personne montre à l’égard d’objets qui l’entourent, comme par exemple un livre posé sur la table.

8.1.4. La reconnaissance globale des mots – un passage indispensable

La reconnaissance globale des mots occupe dans le travail de nos trois logopédistes une place importante. Toutes soulignent qu’elles sont à l’étape de la lecture des mots entiers avec leurs élèves. Dans la démarche employée, elles se basent sur le vocabulaire connu de la personne. Celui-ci fait partie de leur agenda ou de leur planning présentés à l’aide des images (PECS). Comme le souligne la logopédiste A, le but est d’utiliser des choses très concrètes. Il s’agit donc d’après elle, de faire des liens, de travailler avec les mots qui ont une signification pour chacun d’entre eux, notamment à partir des histoires construites à l’aide de PECS ou encore, comme il était mentionné, du vocabulaire issu de leur agenda, ou planning que chacun possède. En parallèle, cette professionnelle mentionne l’utilisation des lettres magnétiques avec lesquelles elle forme des mots entiers connus de l’enfant, comme « maman » par exemple.

18Il s’agit du système de communication par échange d’images qui était mis en place pour les enfants qui ne communiquent pas verbalement. PECS est un sigle de « Picture Exchange Communication Système ». Il permet d’entrer dans « l’univers de la lecture » à l’aide des pictogrammes. Cela est fait par une association d’une image avec un mot (Tanski, 2012). « L'enfant peut ainsi se créer une représentation mentale du mot, un référent visuel » (p. 13).

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Evidemment cette démarche demande de la part des professionnelles un travail supplémentaire visant à créer le matériel nécessaire. Ce sujet ressort fréquemment dans les données obtenues. Toutes les logopédistes le soulignent. C’est pourquoi nous l’avons traité séparément dans une catégorie distincte, consacrée au matériel adapté.

8.1.5. Le souci d’un matériel adapté

Le focus group a mis en évidence la difficulté à trouver le matériel adapté lié à l’enseignement de la lecture aux personnes prenant part aux séances de logopédie. Ceci est tout particulièrement problématique dans le cas des adolescents et des adultes présentant une déficience intellectuelle modérée à sévère. Ressenti comme une contrainte, surtout dans le monde mentionné de ces personnes, le manque de matériel adapté, est un fait.

Cet état de choses amène les professionnelles à inventer des livres qui, non seulement permettent de mettre en place un enseignement progressif de la lecture plus personnalisé, mais qui visent également l’intérêt de la personne. Dans ce cas-là, l’utilisation du support correspondant à l’âge a une grande importance : on n’utilise pas des livres d’enfants pour les adolescents et les adultes. Afin de remplir ces conditions, la logopédiste C utilise un programme d’enseignement de la lecture intitulé « Super Gafi » (Bentolila, Rémond, Rousseau, & Descouens, 2003). Les deux autres participantes du focus group (A et B), ne le connaissant pas, ont noté cette référence. D’après elle, cette méthode présente de nombreux avantages. D’abord il s’agit d’un outil qui est destiné à une personne débutante qui entre dans la lecture. Ensuite, les adultes la trouvent intéressante et marrante. Elle plait car elle n’est pas enfantine. Enfin, elle est bien pensée, son contenu est bien structuré et progressif.

Les données issues du focus group ont mis en évidence un autre point en lien avec l’instruction littéracique, à savoir la création de divers supports qui s’avèrent indispensables, comme les mots-étiquettes, les photos, les pictogrammes avec les mots au-dessous.

Egalement, la logopédiste B nous a décrit un exemple d’aménagement de l’environnement pour intégrer les éléments de la littératie dans le quotidien des adolescents avec qui elle travaille. Elle a créé, avec l’aide d’une stagiaire, des repas menus imagiers, renouvelés quotidiennement visant à intégrer l’écrit.

Dans le même sens, le travail d’adaptation du support littéracique déjà existant est fréquemment mentionné par nos logopédistes. Il s’agit par exemple d’arriver à simplifier certaines images pour diminuer le nombre des intrants visuels qui risquerait d’être trop distrayant et par là entraver l’apprentissage. En outre, il est question de les adapter pour un lecteur qui débute l’enseignement. C’est une problématique qui concerne toutes les

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populations de personnes avec lesquelles travaillent nos logopédistes : des enfants, des adolescents et des adultes.

8.1.6. Le rôle des outils technologiques

Le focus group a mis en évidence l’intérêt que les logopédistes accordent aux outils technologiques. Principalement, elles ont évoqué le rôle des tablettes numériques, tactiles, qui ont remplacé le clavier d’ordinateur. Leur utilisation a pris une place importante dans l’enseignement des personnes présentant une déficience intellectuelle modérée à sévère avec qui travaillent nos participants.

Dans le domaine de la lecture, elles ont mis en avant des jeux ciblant la reconnaissance des lettres ou encore la construction des mots et des petites phrases. Pour écrire des textes, la logopédiste C utilise une application permettant aux adultes de créer eux-mêmes leurs petites productions, ce qui, comme elle le souligne, donne du plaisir aux apprenants. Elle a mentionné le nom du site internet19 dans lequel il est possible de trouver ce type d’outils.

Cependant, les logopédistes nous ont expliqué que les applications utilisées pour ce type de support dans le domaine de la lecture-écriture, devraient être explorées plus amplement – elles débutent dans cette matière.

Les données relevées lors de ce premier focus group en lien avec une tablette numérique indiquent, que ce support suscite l’intérêt des personnes présentant une déficience intellectuelle importante. Premièrement, la tablette permet, selon la logopédiste C, de voir plus rapidement le texte écrit, ce qui n’est pas le cas lors d’une écriture « à la main ». Celle-ci est souvent très difficile, voire impossible à déchiffrer. Deuxièmement, le texte écrit à l’aide d’une tablette est facile à imprimer, ce qui est aussi motivant pour la personne. Enfin, d’après nos participants (B et C) son utilisation est valorisante surtout dans les débuts de l’instruction littéracique.

8.1.7. Quelles sont les demandes des professionnels enseignant la littératie ? La langue française est vue comme une langue complexe, à la prononciation non standardisée et à l’écriture pleine de difficultés20. Les professionnelles participant au focus group semblent confirmer ces propos. En outre, elles voient l’enseignement de la lecture en tant qu’un processus non seulement échelonné dans le temps mais aussi gradué. Tenant

19 http://www.informatique-education.fr/fr/

20 Voir l’explication donnée par Drouard (2008).

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compte de leur avis et des besoins en matière de l’enseignement littéracique des personnes présentant une déficience intellectuelle importante, nous les avons regroupés dans ce chapitre.

En premier lieu, il s’agirait de prendre en compte la planification des étapes initiales d’apprentissage de la lecture, de façon à ne pas mettre les apprentis-lecteurs trop rapidement face à des choses trop compliquées pour eux et de cette façon de ne pas les décourager. Les logopédistes présentes, soulignent les lacunes dans la méthodologie. Ainsi, l’enseignement des sons qu’elles qualifient de complexes, comme par exemple « ou » où « ch » leur posent une difficulté. La même problématique concerne les syllabes qui contiennent ces sons. C’est pourquoi ces professionnelles souhaiteraient savoir comment procéder pour les expliquer aux personnes présentant un déficit cognitif. Par ailleurs, elles trouvent utile d’avoir une liste des

« mots simples » tels que « papa » par exemple à leur disposition, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Dans le même but, la demande d’un imagier des mots a été formulée. Elle était argumentée par un constant besoin d’adapter et de créer le matériel d’apprentissage de la lecture prenant en compte les mots entiers. C’est pourquoi un stock d’images avec des mots écrits qui leur correspondent, écrits avec une police différente, aurait été utile aux logopédistes. Dans ce type de tâches d’association, le jeu de loto a été mentionné.

Un autre point en lien avec l’apprentissage des mots entiers concerne le langage sms21 que les logopédistes ont évoqué. Une vraie demande pour écrire des sms ou encore de courts e-mails, semble provenir des apprentis-lecteurs eux-mêmes. Les professionnelles souhaitent tout simplement profiter de leur intérêt et ainsi leur faciliter l’accès à l’écrit. Les propositions de textes prévus à cet effet, auraient été alors une aide pour elles.

Le focus group a mis en évidence également la nécessité d’avoir accès au matériel reproductible. Celui-ci s’abime très vite et devient ensuite inutilisable. Ce que souligne surtout la logopédiste A travaillant avec les enfants. Elle souhaiterait avoir à disposition un matériel qu’il lui serait possible de renouveler.

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