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Les indicateurs d’une insertion professionnelle réussie 25

Chapitre I. Un tableau inachevé 3

1.3   Les indicateurs d’une insertion professionnelle réussie 25

Nous l’avons souligné précédemment, il est vain de vouloir déterminer stric- tement une période d’insertion professionnelle, quand bien même les multiples schématisations de ce processus nous éclairent sur son caractère progressif. Néanmoins, l’abandon de la perspective temporelle laisse entrevoir l’horizon d’une nouvelle forme d’appréciation du phénomène d’insertion, à savoir l’analyse de son degré d’avancement au regard d’un certain nombre d’indicateurs. L’examen de la littérature nous éclaire quant aux contours de l’hypothétique ba- romètre de l’insertion professionnelle qui pourrait voir le jour.

Si l’on se réfère aux travaux de Vonck (1988) et de Weva (1999), l’insertion professionnelle perdurerait jusqu’à l’adaptation de l’enseignant débutant à son environnement professionnel et à ses tâches quotidiennes ; en clair, jusqu’à ce qu’il fonctionne pleinement et efficacement dans le système scolaire. Abondant dans le sens des auteurs précités, Nault (2007) ajoute en citant Letven (1992) que le processus d’insertion ne peut être considéré comme achevé tant que le novice ne s’est pas détourné de la satisfaction de ses propres besoins – en d’autres termes, de sa « préoccupation de survie » (Füller, 1969) – pour s’intéresser à la problématique didactique et pédagogique de la gestion de l’enseignement et de ses effets sur les apprenants. Des années auparavant, Nault (1999) précisait quant à elle que la maîtrise effective des compétences professionnelles de l’enseignant et la confiance en cette maîtrise (ou sentiment d’efficacité personnelle) marquent le terme de l’insertion des débutants qui, toujours d’après elle, serait généralement atteint au moment de la nomination de l’enseignant dans un poste vacant, a priori garant de sa stabilité professionnelle.

D’un point de vue général, les travaux récents de Mukamurera (2011a) sem- bleraient indiquer que la majeure partie des novices en insertion jugent que leur entrée en carrière est un succès6. Pour être précis, parmi les 467 débutants interro-

gés, 74% la qualifient de la sorte. Toutefois, l’auteure précise que ce succès décla- ré, en grande partie basé aux dires des débutants sur le fait qu’ils disposent d’un emploi, est nuancé par l’entrée en ligne de compte d’autres variables comme le fait d’être en fonction dans un poste vacant (et non en tant qu’intérimaire/temporaire), le fait d’avoir sa propre classe toute l’année, le fait d’avoir un revenu permettant de se consacrer pleinement à l’enseignement, le fait

6 Ces enseignants sont entrés dans l’enseignement avant 1980 (28.60%), durant les années 80 (15.30%), du- rant les années 90 (41,70%) ou dans le courant des années 2000 (14,40%). Ils exercent dans le préscolaire (7,60%), le primaire (51,20%) ou dans l’enseignement secondaire (32,80%).

d’avoir des conditions de travail décentes, ou encore d’être bien positionné sur la liste des priorités d’emploi.

En adoptant un regard plus analytique, toujours en référence à l’enquête de Mukamurera (2011a), on peut avancer que les enseignants débutants recourent es- sentiellement à trois indicateurs pour déterminer si leur insertion professionnelle s’avère être une réussite ou un échec. A ces trois principaux indicateurs viennent s’adjoindre sept autres, qui permettent de donner du relief au panorama dessiné par l’auteure (tableau 3 ; N valide = 456). Le premier indicateur retenu par les en- seignants débutants interrogés dans le cadre de cette étude, indépendamment de leur année d’entrée en fonction, a trait à la maîtrise du travail (57.6%), c’est-à- dire à l’aptitude à prendre en charge les tâches et responsabilités incombant à l’enseignant dans l’exercice de sa profession. Cet indicateur renvoie à la dimen- sion « professionnalisation » du modèle de Mukamurera (Mukamurera et al., 2013). En deuxième position, on retrouve l’intégration à l’équipe-école (55.1%), que l’on associera à la dimension « socialisation organisationnelle » du modèle de l’auteure. Comme indiqué plus haut, cet indicateur lié au fait d’être accepté et re- connu dans la communauté scolaire, à la connaissance de la culture organisation- nelle de son école, à la possibilité d’exprimer ses idées et de peser dans les prises de décision ou encore à la participation à la vie scolaire revêtirait davantage d’importance pour les femmes que pour les hommes. Quant au troisième indica- teur principal d’insertion identifié par les enseignants débutants, il toucherait plus particulièrement à la reconnaissance dans le milieu du travail (53%) et donc à la valorisation des efforts accomplis par les débutants dans les domaines nombreux et variés qui balisent la tâche enseignante. Nous pourrions à ce titre, et du point de vue de l’intéressé, le rapporter à la dimension « personnelle et psychologique » du modèle de Mukamurera (ibid.). Les sept indicateurs restants sont la correspon- dance de la tâche de l’enseignant à la formation initiale, l’acquisition de la per- manence dans l’enseignement, l’obtention du poste régulier menant à cette per- manence, la régularité des contrats de travail (même si ceux-ci restent précaires), la position sur la liste de rappel ou de priorité d’emploi de l’enseignant, l’autonomie financière de la personne, ainsi que d’autres motifs (moins fréquents, et agrégés dans un indicateur unique).

A noter que cette liste nous rappelle, une fois de plus, le caractère multifa- cettes du processus d’insertion professionnelle.

Indicateurs 1er choix 2e choix 3e choix Global

1. Maîtrise du travail 25.4 19.7 12.5 57.6

2. Intégration à l’équipe-école 14.3 23.7 17.1 55.1

3. Reconnaissance dans le milieu du travail 15.8 18.0 19.3 53.1

4. Tâche liée à la formation 11.8 8.3 8.8 28.9

5. Acquisition de la permanence 9.4 5.5 11.2 26.1

6. Obtention du poste régulier menant à la permanence 9.4 7.7 7.5 24.6 7. Régularité des contrats même s’ils sont précaires 8.4 7.7 8.4 24.5 8. Position sur la liste de rappel ou de priorité d’emploi 2.2 3.1 3.5 8.8

9. Autonomie financière 0.9 2.0 3.7 5.7

10. Autres motifs 0.9 0.4 0.7 2.0

Tableau 3. Indicateurs d’une insertion réussie selon Mukamurera (2011a)

Cette analyse de Mukamurera (2011a) a été répliquée dans le contexte de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au travers d’un mémoire de Master en Sciences de l’éducation. A travers sa recherche, Petit (2013) a pu comparer la liste de l’auteure avec celle dressée à partir d’un échantillon de 86 enseignants débutants issus de Hautes Ecoles pédagogiques de notre système éducatif. Bien qu’elles aient été créées sur des bases légèrement différentes, synthétisons leurs points de convergences et de divergences (tableau 4). Il semblerait que les novices soient davantage préoccupés par leurs conditions d’emploi (dimension « emploi » du modèle de Mukamurera et al., 2013) et de travail (dimension « affectation et con- ditions de la tâche ») en Belgique francophone qu’au Québec. En effet, les indica- teurs « Maîtrise du travail » (dimension « professionnalité »), d’intégration à l’équipe-école (dimension « socialisation organisationnelle ») ou de reconnais- sance dans le milieu du travail (dimension « psychologique et personnelle ») n’arrivent pas aux trois premières places de la liste belge, comme c’est le cas dans la liste québecoise. Ceci dénote peut-être d’une lecture plus pragmatique de leur insertion par les débutants de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Lorsqu’on leur demande de classer les indicateurs d’insertions donnés selon l’importance qu’ils leur attribuent dans l’évaluation de la qualité de leur insertion professionnelle, les enseignants débutants belges citent ainsi cinq indicateurs factuels avant d’aborder des indicateurs plus subjectifs. Le fait qu’ils soient en cours d’insertion au mo- ment de l’enquête, au contraire des sujets de Mukamurera (2011a), joue certaine- ment à ce niveau. On observe en revanche une parfaite concordance entre les deux listes quant à l’indicateur « Acquisition de la permanence » (intitulé « No- mination » dans l’enquête belge), puisqu’il arrive dans les deux cas en cinquième

position. Dans une moindre mesure, la correspondance de la tâche à la formation est une préoccupation à la fois belge et québecoise. Trop souvent encore, les dé- butants sont affectés à des tâches, voire à des postes, sans lien direct avec leur di- plôme. Bien évidemment, cela impacte la perception qu’ils ont de maîtriser leur travail. Les dimensions de l’entrée en carrière révèlent à nouveau leurs inter- connexions.

Position Fédération Wallonie-Bruxelles (Petit, 2013)

Québec (Mukamurera, 2011a)

1 Tâche liée à la formation Maîtrise du travail

2 Position sur la liste de rappel Intégration à l’équipe-école

3 Obtention du poste régulier Reconnaissance dans le milieu du travail

4 Autonomie financière Tâche liée à la formation

5 Acquisition de la permanence Acquisition de la permanence

6 Maîtrise du travail Obtention du poste régulier

7 Intégration à l’équipe école Régularité des contrats (mêmes précaires) 8 Reconnaissance dans le milieu du travail Position sur la liste de rappel 9 Régularité des contrats (mêmes précaires) Autonomie financière

10 Autres motifs (plaisir d’enseigner) Autres motifs

Tableau 4. Indicateurs d’une insertion réussie : FWB vs Québec

Fort de l’ensemble des informations dont nous disposons à présent au sujet de l’entrée en carrière enseignante, nous pouvons nous risquer à une définition de l’insertion professionnelle. Dans le cadre de nos travaux, nous définissons l’insertion professionnelle des enseignants débutants comme un processus itératif et multidimensionnel, individuel et finalisé, au terme duquel un professeur fraî- chement diplômé de la formation initiale acquiert un statut objectif et subjectif d’enseignant stabilisé dans la profession.

Toutes les recrues de la formation initiale pédagogique n’auront cependant pas l’opportunité de mener ce processus à terme...

Rompre avec l’enseignement ?

Il est vraiment rare qu’on se quitte bien, car si on était bien, on ne se quitterait pas. Marcel Proust

Nos connaissances et nos représentations relatives à l’insertion profession- nelle en enseignement étant à présent plus justes et précises, nous pouvons posé- ment envisager d’approcher la problématique de l’abandon et de la rétention des enseignants débutants. Comme nous le découvrirons dans ce nouveau volet du premier chapitre de notre ouvrage, les questions liées à cette problématique sont cruciales. Comment pourrait-on en effet se contenter de conceptualiser l’insertion professionnelle sans s’interroger sur les origines du phénomène de décrochage qui frappe les professeurs débutants au cours de ce processus ? Si les causes de l’abandon et de son antithèse qu’est la persévérance professionnelle sont si impor- tantes, c’est que les enjeux auxquels elles s’associent sont multiples. Au niveau individuel, le décrochage peut avoir des conséquences non négligeables pour une personne ayant investi plusieurs années dans sa formation à l’enseignement. Au niveau systémique, le départ d’un nouveau professeur, tout comme sa mobilité professionnelle, coûte aux écoles sur plusieurs plans. Face à ces visions complé- mentaires du phénomène d’abandon de la profession, il semble tout à fait à propos de clarifier ses tenants et aboutissants à la lumière de l’état actuel de la recherche avant de tenter d’éclaircir certaines zones d’ombre qui peuvent encore obscurcir sa compréhension. A cette fin, nous consacrerons les prochaines pages à la défini- tion de l’abandon précoce de l’enseignement, à sa quantification, à l’estimation de son coût, ainsi qu’à la présentation des résultats de quelques-unes des études scientifiques les plus pertinentes visant à le décrire, l’interpréter et l’expliquer.

1.4 L’abandon des enseignants débutants