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Chapitre II Cadre conceptuel

2.2 Démarche d’accompagnement pédagogique

2.2.3 Les incidents critiques

Dans une démarche de développement professionnel, certains moments clefs seraient particulièrement générateurs d’apprentissage. Dans le domaine de l’éducation, Clarke (1995) souligne que le niveau de réflexion est lié au contraste existant entre ce qui était prévu et ce qui est arrivé. Ainsi, les incidents critiques seraient davantage privilégiés en tant que moments de transformation particuliers dans le processus d’apprentissage.

Dans le domaine de l’interculturel, les auteurs insistent tout autant sur cette conception de moments de transformation particuliers, où le choc culturel devient générateur d’une remise en question de sa vision du monde (Cohen-Émerique, 1984 ; Clanet, 1990).

Dans un récent article consacré à l’utilisation des incidents critiques en contexte de recherche et de supervision, Leclerc, Bourassa et Filtreau (2010) reprennent cette idée que « les situations déstabilisantes sont plus propices à l’engagement des sujets dans une pratique réflexive » (p. 17), parce que le réel résiste à leurs efforts de compréhension et les confronte à leur impuissance face aux stratégies choisies. Cette tension émotive appelle donc à une recherche active de solution.

L’incident critique est défini comme « toute activité humaine observable et suffisamment complète en elle-même pour qu’on puisse en tirer des inductions et des prévisions sur l’individu qui agit » (Leclerc et al., 2010, p. 15). Son intérêt est double du fait qu’il soit issu d’une expérience vécue et que « l’analyse d’un seul incident critique peut donner accès à une compréhension d’un large éventail de situations professionnelles similaires » (p. 18).

Puisque cet exercice d’analyse est ancré dans la pratique et l’expérience, il appelle à une réflexion dans l’action mobilisatrice de nouveaux apprentissages, par la mise en lien avec des modèles et notions théoriques et par un élargissement du registre de stratégies. Selon ces auteurs, l’analyse d’incidents critiques pourrait permettre une transformation des positionnements individuels et collectifs parce que les étudiants sont confrontés au regard de leurs collègues. En misant ainsi sur les savoirs d’expérience, la démarche permettrait le développement des capacités réflexives favorisant l’apprentissage et le changement :

Puisque c’est dans leurs rapports aux autres que les professionnels se révèlent et se positionnent, l’analyse de ces rapports offre des possibilités singulières de réflexion et de changement. (Leclerc et al., 2010, p. 18)

Principalement utilisée dans les domaines de l’accompagnement des intervenants sociaux et des infirmières ainsi que dans la formation à l’interculturel, cette démarche vise l’explicitation, l’analyse critique et la transformation des pratiques professionnelles. Le but de cette méthode d’analyse par incidents critiques est de :

mieux comprendre et considérer différents construits psychosociaux contenus dans l’expérience subjective et intersubjective des acteurs ; tenir compte de la complexité de la pratique et de représentations partagées d’une réalité (Leclerc et al., 2010, p. 15).

Leclerc et al. (2010) proposent une méthode en quatre étapes, dont l’alternance entre des étapes de travail individuel et des séances de groupe qui permettent une réflexion plus approfondie et plus nuancée. Voici les quatre étapes proposées : 1) Préparation individuelle du récit ; 2) Séance initiale de travail en groupe ; 3) Incubation individuelle et 4) Retour distancié en groupe (p. 20).

Partant de la narration de l’acteur, la première étape permet au stagiaire de donner une première interprétation de l’expérience, souvent intuitive et spontanée, mais qui permet de préciser la séquence interactive des faits ainsi que des effets de ses actions sur les autres et sur le contexte. Ensuite, une séance de groupe est divisée en trois parties. Grâce au questionnement du groupe, il est possible d’aller plus loin dans la compréhension des intentions et intérêts de l’acteur, en cernant mieux les émotions et valeurs sous-jacentes à l’incident, ce qui amène des pistes permettant d’approfondir l’agir professionnel. Le premier principe de cette première partie de la séance de groupe est de se centrer uniquement sur le vécu de l’expérience en posant des questions à l’acteur pour l’aider à poursuivre sa narration de l’expérience et à en savoir plus, par exemple : « Qu’est-ce que tu voulais faire à ce moment-là ? » (Leclerc et al., 2010, p. 24). Ce n’est qu’à la deuxième partie de la séance que la rétroaction convergente et divergente commence, cherchant à mettre en relief la complexité de la situation et certaines contradictions qui peuvent se manifester dans le discours de l’acteur. Durant la troisième partie, une synthèse des points de convergence est faite et l’acteur est invité à un temps d’incubation individuel. Ce temps individuel est la troisième étape : l’acteur s’applique à dégager les enjeux entourant l’incident, les marges de manœuvre possibles et les modèles théoriques impliqués dans la réflexion. À la quatrième et dernière étape, la deuxième séance de groupe permet à l’acteur de faire état de l’évolution de sa réflexion en indiquant divers éléments à soumettre à la discussion. Le dialogue est alors ouvert, non pas uniquement sur l’événement, mais aussi sur les interprétations et les situations semblables dans la pratique. Ce retour réflexif fait dans une perspective plus large apporte un soutien empathique des pairs en vue de reconstruire le sens de l’expérience et de consolider ou nuancer certaines interprétations. Il appelle aussi à

ouvrir sur d’autres stratégies non envisagées jusque là, par exemple : « Que se passerait- il si… ? Qu’est-ce qui vous empêche de…? » (Leclerc et al., 2010, p. 26). Il favorise ainsi le travail en collectivité pour une compréhension plus large et plus profonde, représentative de la complexité de la pratique professionnelle.

Ces choix, apparemment individuels, font écho à une négociation permanente entre les partenaires de l’interaction pour orienter leur avenir commun. (Leclerc et al., 2010, p. 27)

Le travail d’analyse d’incidents critiques permet au stagiaire d’être en lien avec la pratique, d’expliquer ce qu’il voit et ce qu’il fait tout en ayant l’apport du groupe, qui apporte une vision collective des situations. L’espace réflexif créé favorise l’émergence des schèmes qui sous-tendent l’action et, par ce repérage, le travail d’explicitation amène une réflexion plus approfondie sur l’expérience. Ce processus amène à saisir la complexité de l’exercice professionnel et à développer des habiletés d’analyse impliquant une argumentation structurée où la grille de lecture de l’étudiant doit être explicitée. Ce soutien permet aussi de dénouer la situation problème en étant bien ancré dans le contexte de la pratique professionnelle et en créant un sentiment de confiance, important dans un processus d’apprentissage. Cette démarche favorisant la construction des savoirs par l’analyse de situations vécues sur le terrain permet aussi de poser un regard critique sur ses actions et d’apprendre à décoder le fonctionnement de la communauté de pratique dans laquelle se déroule le stage.

Dans la présente section, l’exploration des diverses modalités pédagogiques propices à accompagner l’expérience du stage international a permis d’aborder : 1) les multiples aspects de la pratique interculturelle ; 2) l’importance de mobiliser les concepts théoriques et 3) le travail consistant à réfléchir aux problématiques et enjeux présents dans la pratique professionnelle. Tel que le mentionne notre problématique de recherche, cet espace réflexif créé par une démarche d’accompagnement pédagogique peut soutenir l’explicitation des apprentissages professionnels recherchés dans une expérience de stage international.