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Chapitre II Cadre conceptuel

2.1 Le stage international

2.1.2 Le choc culturel, la pratique interculturelle et la compétence culturelle

Dans le champ de l’intervention interculturelle, la culture est vue comme la diversité des visions du monde à travers les valeurs et croyances ; son étude peut contribuer à mettre en évidence les barrières et difficultés qui nuisent à la communication et à une intervention adaptée (Legault, 2000). « La culture est comme l’air qu’on respire… elle est comme notre ombre : courez après, elle vous fuit ; fuyez-la, elle vous rejoint » (Fronteau, 2000, p. 28).

La culture comporte une dimension cachée, mais non moins centrale dans l’expérience à l’étranger, tout comme dans les autres stages professionnels où le stagiaire s’insère dans une communauté de pratique. Geertz (1973) la définit ainsi :

Un ensemble de signes, de symboles et de représentations par lequel s’organise la perception du monde et qui constitue un univers de sens à travers lequel des individus dans des groupes ou des communautés interprètent les expériences et orientent leurs actions. (Geertz 1973, p. 75)

Cette définition met en contexte la façon dont l’immersion dans un monde de croyances a des effets constants à la fois sur la vision du monde et l’organisation des actions. Parmi les concepts entourant la confrontation à ces divers mondes de croyances, le phénomène du choc culturel s’exprime dans la rencontre de l’autre culture.

Notre problématique de recherche soulève plusieurs obstacles associés au choc culturel qui rendent difficiles les apprentissages liés à la pratique professionnelle lors du stage international. Notre questionnement porte plus précisément sur le passage entre la conscience culturelle qui s’éveille et l’actualisation en compétence professionnelle. Il vise une meilleure compréhension du processus à mettre en œuvre pour mieux cerner toute la complexité et la richesse de la pratique interculturelle. Ainsi, le phénomène du choc culturel et le propre des pratiques interculturelles nous permettront de comprendre

davantage la valeur de ce type de stage qui vise, entre autres, la valorisation de la diversité culturelle.

Dans les écrits touchant les projets à l’étranger, le phénomène du choc culturel est bien documenté et constitue un obstacle majeur à la réussite et à la pérennité de ces projets (Kealey, 2000). Cohen-Émerique (1984), psychologue experte en relations interculturelles, définit le choc culturel comme l’état de tension survenant lorsque deux personnes ou plus, de différentes cultures, découvrent et explorent l’étrangeté de leurs attitudes et comportements. Selon cette auteure, le choc culturel peut entraîner un stress d’acculturation lorsque l’individu évalue une situation comme étant menaçante pour son intégrité ou lorsque cette menace dépasse ses capacités de gestion de la situation. Le stress d’acculturation survient dans le contexte de répétition de stresseurs liés à la distance entre deux cultures qui exige de nombreux ajustements et qui a souvent comme conséquence une baisse d’estime et un sentiment d’inadaptitude (Cohen-Émerique, 1984). Du dépaysement amusant au départ naît un nouveau sentiment de malaise et d’incompréhension ; il s’agit de phases normales en vue d’une adaptation possible. L’individu façonne l’interprétation des situations au moyen des repères de sa propre culture et de là émergent des réactions non adaptées aux situations nouvelles. Ce stress d’acculturation confronte l’individu à un sentiment d’impuissance en le déstabilisant et cette désorientation peut engendrer des déséquilibres psychologiques ou physiologiques (Cohen-Émerique, 1984). Le croisement de valeurs très différentes peut engendrer plusieurs mécanismes de défense, dont l’adoption de comportements xénophobes, pour renforcer le modèle explicatif d’origine. Jacob (2001) mentionne d’ailleurs qu’au lieu de situer ces différences dans leur contexte, l’individu peut être porté à les isoler ou à en faire abstraction, voulant ainsi masquer les aspects qui le gênent et qui lui font peur (Jouthe, 1992). Cohen-Émerique (2011) précise que la négation des différences est une attitude fréquente chez les étudiants ayant peu d’expérience professionnelle, puisqu’ils privilégient une attitude humaniste pour se rapprocher de l’autre dans une idéologie égalitaire.

Selon cette auteure, l’étape de décentration devient alors préalable à la découverte du cadre de référence de l’autre culture, qui permet ensuite une réelle ouverture pour aller à la rencontre de l’autre. Cette étape de décentration permet « de prendre une distance par rapport à soi-même en tentant de mieux cerner ses cadres de référence, d’en prendre

conscience en tant qu’individu porteur d’une culture et de sous-cultures intégrées dans sa trajectoire personnelle » (Cohen-Émerique, 2000, p.175). Les objectifs de la décentration visent à apporter un éclairage sur les distorsions possibles dans la compréhension de l’autre et des affects suscités par le choc culturel ainsi que de repérer et analyser les zones sensibles qui sont activées par l’interaction avec l’étranger (incompréhension, malentendus). (Cohen-Émerique, 2011)

Fronteau (2000, p. 3) décrit le processus d’apprentissage en immersion culturelle comme un « passage d’un monde connu où je ne sais pas que je sais, à un monde inconnu et étrange où je sais que je ne sais pas ». Ce dernier a la conviction que malgré cette rupture, les obstacles amènent l’individu à développer ses forces grâce au mouvement compensatoire, en recherche constante d’équilibre. Il conclut en traitant de l’apport insoupçonné d’une énergie créatrice latente qui s’active dans ce processus d’adaptation.

Dans cette expérience du choc culturel, le processus d’apprentissage de l’étudiant en stage international semble ébranlé, mais ce choc peut être à deux tranchants dans le vécu du stagiaire. D’une part, il peut être perturbateur et exiger un encadrement particulier, tant sur le plan personnel que sur le plan pédagogique, pour que l’étudiant novice puisse arriver à décoder les situations. D’autre part, le dépassement de cet état génère une transformation personnelle liée à la conscience culturelle qui pourrait s’actualiser en compétence culturelle au moment de l’intervention. Fronteau (2000) précise comment le choc culturel crée une rupture qui appelle à la recherche de nouveaux repères pour sortir de la déstabilisation. Plusieurs auteurs du domaine interculturel, dont Bourque (1989), utilisent d’ailleurs les incidents critiques comme éléments porteurs de cette rupture de repères pour en exploiter l’analyse, qui devient très riche sur le plan de l’apprentissage personnel et professionnel.

Sur le plan personnel, l’étudiant expérimente lui-même le choc culturel et le processus exigeant d’adaptation qu’implique la vie quotidienne dans un pays étranger. Le stagiaire peut ainsi davantage saisir les nombreux impacts et subtilités vécus par les gens en situation d’immigration. Le contexte interculturel met aussi en lumière les croyances et les fondements sous-jacents aux opinions personnelles.

Sur le plan professionnel, l’apprentissage des complexités liées à la communication interculturelle amène l’étudiant à être plus conscient et plus sensible aux diverses visions du monde qu’implique l’intervention. Legault (2000) relate d’ailleurs la façon dont l’étude des valeurs appelle à saisir avec plus de profondeur la conception du monde derrière les modes de fonctionnement, donnant ainsi un autre sens aux problématiques vécues dans différentes cultures. De plus, comme nous l’avons mentionné (Mercure et al., 2010), l’étudiant peut observer les ressemblances et les différences professionnelles d’un pays à l’autre. Il est ainsi amené à cerner la spécificité de son milieu d’origine, à prendre conscience des facteurs culturels influençant l’organisation des services et à ancrer son identité professionnelle par l’adhésion aux valeurs universelles soutenant l’acte professionnel.

Le phénomène du choc culturel vécu par l’étudiant dans son contexte de stage à l’étranger peut être à la fois une source de déstabilisation et une occasion de développement des compétences professionnelles. Clanet (1990) exprime comment les approches interculturelles étudient les processus de rupture et de restructuration qui deviennent catalyseurs de prises de conscience. Ce processus implique la nécessité d’un passage à un nouvel univers de significations pour fonctionner dans un autre code culturel. Cette déstabilisation liée au phénomène du choc culturel est donc une occasion privilégiée de restructurer les schèmes de l’apprenant dans la profession.

Ainsi, le stage international pourrait devenir porteur de nouveaux apprentissages sur la connaissance de sa propre culture et sur des notions importantes de la pratique professionnelle. Legault (2000) explore d’ailleurs divers aspects entourant les pratiques interculturelles : les enjeux individuels et collectifs dans la demande d’aide, les stratégies culturelles selon les étapes de prise de contact, la définition du problème empreinte de la culture, les conditions de vie et les rapports sociaux du passé et de l’avenir pour une défense des droits, la remise en question de l’idéologie dominante, la notion de temps, etc.

Par ailleurs, dans les programmes en santé, le concept de compétence culturelle est utilisé pour préciser cette pratique interculturelle et est défini en englobant plusieurs concepts qui font appel à des savoirs spécifiques :

Un engagement à développer une conscience, des connaissances, des attitudes et ses habiletés nécessaires pour dispenser des soins qui tiennent compte du contexte culturel de la personne, la famille, la communauté. (Campinha Bacote, 1998)

Cette appellation permet de cibler plus facilement ce qui est recherché dans le stage international et amène ainsi plusieurs auteurs à écrire sur le sujet, tout en élaborant de nouvelles notions entourant la compétence culturelle, comme la conscience et l’humilité culturelles, auxquelles se greffent des compétences éthiques lors de situations de conflits de valeurs (Lazure, 2012).

Selon Lazure (2012), dans les écrits traitant des stages internationaux en sciences infirmières, la conscience culturelle se définit comme un éveil de conscience où l’étudiant développe une sensibilité aux diverses interactions interculturelles pouvant exister dans sa rencontre avec l’autre. Il examine ses croyances et ses préjugés envers les personnes d’origines ethniques et culturelles différentes. Il effectue une prise de conscience du rôle et de l’influence de ses valeurs et de ses croyances au regard de ses modes de pensée, ses attitudes et ses comportements, dont les valeurs qui sont à la base du soin.

En considération de ce qui vient d’être énoncé, l’expérience de stage à l’étranger pourrait donc permettre le développement de nouvelles connaissances et de nouvelles perspectives permettant d’adapter les actions professionnelles à la lumière de la culture de l’autre, à condition d’accompagner le stagiaire dans l’analyse des diverses dimensions de ces pratiques interculturelles.

2.1.3 Les assises de l’ethnométhodologie : observation de l’action et construction