• Aucun résultat trouvé

Les fondements de la théorie des ressources épuisables

Chapitre I: Rente Minière et Théorie des Ressources Epuisables Introduction

6. La Théorie des Ressources Epuisables

6.2. Les fondements de la théorie des ressources épuisables

La détermination du juste prix d’une ressource épuisable repose, selon Hotelling, sur la valeur du stock de cette ressource en terre, de sa progression au cours du temps et du rythme d’extraction en fonction des structures de marché en vigueur : concurrence, monopole.

Un stock de ressources non renouvelables est, par nature, limité. L’extraction d’une quantité donnée de ressources au temps T diminue d’autant le stock et rend impossible, en théorie du moins, cette même extraction au temps T+1. Un accroissement des prix couplé aux capacités d’innovation de l’industrie permet, il est vrai, d’accéder à de nouvelles découvertes ; mais place, à terme, les producteurs dans une situation inconfortable : les gains qu’ils réalisent aujourd’hui par le biais d’une augmentation des prix risquent d’être annihilés demain avec l’épuisement accéléré des réserves. L’irréversibilité des ressources fossiles non reproductibles physiquement impose, par conséquent, aux propriétaires qui cherchent à optimiser14 leurs revenus (ou la rente liée à l’écart entre le prix de marché et le coût de production) de prendre en compte toute la trajectoire d’exploitation. Car il convient de faire remarquer ici que la rente minière est qualitativement différente de la rente foncière. Le concept de rente minière requiert un caractère dynamique en ce sens qu’il accorde une importance décisive à la dimension temporelle, alors que le concept de rente foncière est par définition statique, le facteur temps n’étant pas déterminant. De plus, l’extraction d’une

14L’optimum consistant à égaliser le revenu marginal au cout marginal conformément à la théorie néo classique n’opère plus dans ces conditions car cela omettrait le fait que la dernière unité exploitée, aujourd’hui pourrait rapporter un bénéfice net dans le futur qui est sacrifié si on l’extrait dans l’immédiat.

ressource minière conduit inévitablement dans le temps à son épuisement. Ce n’est pas le cas dans la production agricole du moment que l’exploitation du sol est un processus répétitif se poursuivant à l’ infini.

Cette spécificité de la rente minière explique alors pourquoi, au contraire de la rente foncière, elle se dissipe au fur et à mesure de la réduction des réserves, ce qui met les propriétaires de ressources devant un arbitrage : accélérer l’extraction dans l’immédiat , autrement dit substituer une vente présente à une vente ultérieure, ou à l’inverse conserver pour plus tard le revenu tiré de la ressource, ce qui revient à substituer une vente ultérieure à une vente présente.

La valeur d’extraction est égale au prix de vente diminué du coût d’extraction, alors que la valeur de non-extraction est constituée par le coût d’opportunité de l’épuisement de la ressource, qui pour la dernière unité produite doit égaler la valeur d’extraction. A l’évidence, tant que la valeur de l’extraction est supérieure au coût, l’exploitant préfère continuer à extraire; mais il gèlera la production au moment où le coût augmentera plus vite que la valeur unitaire d’extraction. Ce comportement rationnel du propriétaire d’une ressource non renouvelable lui permet de bénéficier d’une rente de rareté entrainant, selon Hotelling, le prix à croitre à un taux égal au taux d’actualisation au fur et à mesure que l’on s’approche de l’épuisement, la limite étant atteinte lorsque le prix de cette ressource coïncide avec le prix de son substitut. Il est possible, alors, d’en dégager le sentier optimal d’évolution du prix suivant la structure de marché prédominante :

- En situation de concurrence pure et parfaite, le prix de la ressource épuisable doit croitre au rythme du taux d’actualisation (ou taux d’intérêt réel).

- En situation de monopole, c’est la rente qui doit croitre au taux d’actualisation.

L’analyse de l’évolution du prix du pétrole semble conforter ce résultat. James Hamilton15 en fait brillamment la démonstration. Si l’on désigne par Rt la rente d’épuisabilité égale à l’écart entre le prix Pt et le coût marginal d’extraction Ct, soit

Rt= Pt– Ct, et si l’exploitant de la ressource extrait ce pétrole et place la rente au taux

d’intérêt i (égal au taux d’actualisation), son profit s’élèvera l’année suivante à Rt(1+i ).

Dans le cas où ce profit est, alors, supérieur à la rente qu’il pourrait prélever en repoussant l’extraction, c’est à dire quand Rt (1+i) > Rt+1, l’exploitant avantagera la

production immédiate à celle du futur, alors qu’il retarderait l’extraction dans la situation contraire.

En somme, l’optimum est atteint avec Rt(1+i) = Rt+1, soit :

(Pt+1) – (Ct+1) = (1+i) (Pt-Ct)

Autrement dit, la rente doit croitre à un taux égal au taux d’intérêt, ce qui parait cohérent avec le modèle de Hotelling.

Pour maximiser la rente tout au long du cycle d’extraction, les propriétaires doivent donc limiter l’offre de manière à ce que la hausse du prix induite réduise la consommation à l’approche de l’épuisement de la ressource et favorise, du coup,

15Hamilton. J (2008) «Understanding Crude Oil Prices », WP, Department of Economics, University of California, San Diego, May, 2008.

l’émergence de substituts. La transition énergétique serait ainsi assurée sans choc, ce qui fait dire à certains analystes que la théorie Hotellienne permet de gérer l’épuisement d’une ressource non renouvelable au mieux de l’intérêt collectif et de celui des exploitants. C’est d’ailleurs avec un certain succès que cette approche a été utilisée pour interpréter les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.

- Le premier peut s’apprécier comme le passage d’une situation où le cours du brut avoisinait son coût marginal (les prix et les coûts du pétrole fluctuaient dans une moyenne de 0,5 $ à 1, 5 $/bbl) à la prise en compte du caractère non-renouvelable de la ressource. Au début des années 70, en effet, la demande mondiale du pétrole progressait plus fortement que l’offre16 provoquant un déséquilibre qui, amplifié par des contraintes géopolitiques (guerre d’octobre 1973) a poussé les prix à la hausse. Cette augmentation correspond, en fait, à l’intégration de la rente de rareté au prix, le marché anticipant le déclin des réserves pétrolières17sur la période considérée. Les prix du brut auraient, donc, tendance à refléter sa rareté et non les coûts d’exploitation, ce qui semble concorder avec la règle de Hotelling.

- Lors du second choc pétrolier, les pays producteurs renforcent leur contrôle sur les ressources, ce qui peut s’interpréter comme une volonté d’imposition d’un pouvoir de monopole. La fixation de quotas de production par l’OPEP n’est, d’ailleurs, que l’expression d’une rente de monopole, les pays exportateurs cherchant par ce mécanisme à optimiser leurs revenus. Cela s’est traduit par un accroissement des prix se situant nettement au dessus des coûts de

production18, validant de nouveau l’approche Hotellienne. Cette dernière, faut-il le souligner, continue de représenter explicitement ou implicitement la référence pour de nombreux spécialistes en économie de l’énergie19. D’aucuns n’hésitent pas à l’appliquer pour analyser la situation actuelle du marché pétrolier.

- La volatilité des prix du brut, en particulier dans les phases décroissantes du cycle, obéit à une dynamique de court terme. Car dans le long terme, les cours du pétrole augmenteront inéluctablement, compte tenu de la déplétion des gisements et des préoccupations environnementales.

- Les principaux pays producteurs (les pays de l’OPEP essentiellement), détenant les plus grandes réserves, tentent de réguler l’offre en l’adaptant constamment à la demande. L’objectif visé à travers cette action est de stabiliser leurs recettes futures (la rente) c'est-à-dire préserver leurs intérêts à long terme.

Force est de constater, à partir de ces exemples, que le modèle de Hotelling, intégrant des hypothèses très restrictives20, offre les outils théoriques permettant d’appréhender certains aspects de la dynamique de l’industrie pétrolière internationale. Il en est ainsi de la notion de « Peak Oil ».

18A la fin des années 70, les coûts de production dans les pays du Golfe persique ne dépassaient guère les 2 $/bbl, alors que le prix du marché oscillait autour de 40 $ /bbl.

19ARTUS P. (2005) « Un Baril à 300$ » La Tribune, décembre 2005

20Existence d’un substitut abondant, absence d’incertitude sur la demande ultérieure, c‘est à dire sur la date à partir de laquelle les ressources seront épuisées, situation de concurrence pure et parfaite.