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Les fondements de l’intervention publique

L’agriculture, un secteur particulier à l’OMC

A. Les fondements de l’intervention publique

La prise en compte des Considérations Autres que d’Ordre Commercial et la reconnaissance subséquente de la multifonctionnalité sont désormais acquis. Il importe cependant, pour que cette reconnaissance ne reste pas une simple affirmation, d’en discuter les fondements. Plusieurs études – notamment celles de l’OCDE – ont été consacrées à la question. Elles permettent d’établir les justifications de la multifonctionnalité.

Il est important d’indiquer à titre préliminaire que l’application de la notion de multifonctionnalité de l’agriculture pose débats en certains de ses aspects. Rappelons d’abord que la multifonctionnalité n’a pas reçu de définition acceptée de tous. En particulier, bien que les acteurs du système commercial multilatéral reconnaissent les CAOC, l’Accord sur l’agriculture

« ne donne pas une définition précise de ce qu’il convient d’inclure dans les considérations autres que commerciales, pas plus qu’il n’existe une définition unanimement acceptée de ce que recouvre le concept de multifonctionnalité. En pratique, les deux termes peuvent être largement considérés comme des synonymes et bien qu’il n’y ait pas consensus sur leur contenu, tous les pays, leurs pouvoirs publics, leurs agriculteurs, leurs citoyens, etc. sont d’accord pour reconnaître que les agriculteurs produisent, en plus de biens marchands alimentaires et non alimentaires, d’autres biens et d’autres services »679.

Plutôt qu’une définition, la doctrine économique se contente bien souvent d’indiquer les éléments essentiels de la multifonctionnalité qui sont

« i) l’existence de produits multiples, de base et autres, qui sont conjointement produits par l’agriculture ; et ii) le fait que certains produits autres présentent les caractéristiques d’externalités ou de biens d’intérêt public, le résultat étant que les

679 GUYOMARD (H.), « Soutien, fonctions non marchandes et multifonctionnalité de l’agriculture », http://www.ifri.org/files/DM/livre_soutien_chap2_Guyomard.pdf, 13 décembre 2003.

marchés de ces biens n’existent pas ou fonctionnent mal »680. En complément à ces éléments, certains auteurs ajoutent que la multifonctionnalité a pour objectif

« la réduction des externalités négatives (environnement, sécurité alimentaire), l’accroissement des externalités positives (emploi, qualité, paysage) et des formes de diversification de l’activité dans les domaines intra et extra-agricoles (développement rural) »681. Indiquons également que le principe des externalités positives ou négatives est admis par l’Accord sur l’agriculture du Cycle d’Uruguay. Ainsi, deux externalités positives de l’agriculture sont spécifiquement mentionnées682 dans l’Accord. La première est le rôle environnemental de l’agriculture. Sur ce point, l’Accord dispose que « le droit à bénéficier de ces versements sera déterminé dans le cadre d'un programme public clairement défini de protection de l'environnement ou de conservation et dépendra de l'observation de conditions spécifiques prévues par ce programme public, y compris les conditions liées aux méthodes de production ou aux intrants »683. La seconde est le rôle de l’agriculture en matière d’aménagement et d’occupation du territoire. Sur ce second point, le point 13 de l’Annexe 2 de l’Accord sur l’agriculture dispose que « le droit à bénéficier de ces versements sera limité aux producteurs des régions défavorisées.

Chaque région de ce type doit être une zone géographique précise d'un seul tenant ayant une identité économique et administrative définissable, considérée comme défavorisée sur la base de critères neutres et objectifs clairement énoncés dans la législation ou la réglementation et indiquant que les difficultés de la région sont imputables à des circonstances qui ne sont pas uniquement passagères ».

La prise en compte des régions défavorisées présente une grande importance pour certains Membres. Ces pays militent pour la défense de

« l'équilibre de leurs territoires, le développement économique et social des régions rurales et attachent une valeur particulière à la défense du paysage et à la qualité des aliments »684. Cette approche donne à la multifonctionnalité une autre dimension. En particulier, elle permet de se rendre compte que le développement auquel il est fait référence dans la discussion du concept de la multifonctionnalité va plus loin que le développement des pays pauvres. Le développement tel que défendu par certains Membres comme le Japon, la Norvège et l’Union européenne correspond certes à celui des PED, mais prend surtout en compte le développement des régions défavorisées des pays riches.

C’est dans ce sens que ces pays prônent la multifonctionnalité de l’agriculture.

680 OCDE, Multifonctionnalité : élaboration d’un cadre analytique, OCDE 2001, p. 13.

681 PERRAUD (D.), « Les ambiguïtés de la multifonctionnalité de l’agriculture », Actes du congrès de la société française d’économie rurale, mars 2002, p. 280.

682 BODIGUEL (L.), « Multifonctionnalité de l’agriculture et territoire. Territoire, un contexte juridique en construction », Actes du congrès de la société française d’économie rurale, mars 2002, p. 376.

683 Accord sur l’agriculture, Annexe 2, point 12. a).

684 BONNAL (Ph.), LOSCH (B.), et BAINVILLE (S.), « Points de repères sur la multifonctionnalité de l'agriculture : les dimensions nationales et internationales du débat », Actes de séminaire, 21-24 novembre 2000, Bouillante, Guadeloupe, p. 33.

Section 1 : Le concept de la multifonctionnalité de l’agriculture : éléments de définition

Ils soutiennent que « l'absence d'intervention publique sur le marché conduirait à la concentration automatique de la production agricole dans les zones bénéficiant des meilleurs avantages comparatifs avec comme conséquences pression sur les ressources naturelles d'un côté, chute et précarité des revenus, abandon des terres agricoles et exode rural de l'autre »685.

Ceci étant, pour qu’il y ait multifonctionnalité, il faut qu’il existe une jointure entre un produit de base (produit agricole en l’espèce) et un autre produit (externalité), dont la production ne peut se dissocier. Les externalités négatives sont le plus souvent corrigées par le jeu normal des règles du marché. Dans bien des cas malheureusement, le marché est défaillant.

L’application à l’agriculture des éléments essentiels de la multifonctionnalité se heurte parfois à la difficulté liée à la nature-même de l’externalité. Comment en effet corriger les externalités négatives par les règles du marché dans l’hypothèse d’un bien non-marchand ?

La notion de bien non-marchand est également discutée. Quels sont en effet les biens qui peuvent être considérés comme des biens non-marchands ? Il n’y a pas de consensus sur cette notion. On relèvera à titre indicatif que

« pour le Japon, la Corée ou encore la Norvège, dont l’alimentation dépend largement des importations, la sécurité alimentaire est considérée comme un bien public. Pour ces pays, il est inconcevable de rendre l’alimentation de leur population totalement dépendante des variations de prix sur le marché international, de cataclysmes climatiques ou de pressions politiques ou économiques »686. Ceci étant, il importe de dire qu’il ne faut pas confondre « sécurité alimentaire » et « produits agricoles ». La première est sans doute un bien non-marchand tandis que les seconds sont des biens marchands qui sont nécessaires à la réalisation de la sécurité alimentaire. Tout le débat porte justement sur comment mettre en place une règlementation du commerce des produits agricoles qui permette d’atteindre la sécurité alimentaire et d’autres objectifs non-marchands.

Pour revenir aux difficultés relatives à la correction par le marché des externalités négatives, prenons les exemples suivants :

- l’optimisation des gains conduit les agriculteurs à recourir aux pesticides qui, bien que pouvant accroître la production, peuvent dégrader les sols et polluer les nappes phréatiques ;

- la culture de certaines plantes permet de lutter contre la sécheresse dans les régions sahéliennes, même si, par ailleurs, ces cultures ne sont pas rentables.

Pour résumer la situation, l’on peut reconnaître avec ULMANN que

« l’entretien et la gestion de l’espace ont eu tendance à être négligés au fur et à mesure

685 Idem.

686 BONNAL (Ph.), LOSCH (B.), et BAINVILLE (S.), op. cit., p. 33.

que les exploitations grandissaient et que la main d’œuvre diminuait. La mécanisation des tâches a entraîné la suppression des haies, des arbres, l’aplanissement des talus, les zones humides ont été drainées, les parcelles non mécanisables abandonnées. Il en résulte une détérioration du paysage, la suppression d’abris pour la faune et d’obstacles au vent et au ruissellement. Sans compter les pollutions liées à la concentration excessive des animaux, aux produits phytosanitaires ou fertilisants répandus sur les cultures, les risques de perte de biodiversité liés à la sélection des animaux ou végétaux sur les seuls critères de la productivité ou du gaspillage d’eau »687.

La protection de l’environnement, de la santé et la préservation des ressources naturelles sont des objectifs a priori non-économiques. Les agriculteurs n’ont bien souvent aucun avantage financier immédiat à s’y intéresser. Par conséquent, « si des pratiques culturales plus respectueuses de l'environnement imposent des coûts additionnels ou des pertes de revenu aux agriculteurs, alors la société doit compenser ces derniers à hauteur des coûts ou des pertes »688. Tel est le fondement-même de la justification de l’intervention étatique. Cette justification est au centre d’un débat entre économistes. Des réticences existent, mais il est constamment admis que les défaillances du marché sont nombreuses et « l'État doit y remédier, non seulement en fournissant le cadre réglementaire et institutionnel complexe […] sans lequel aucune économie de marché ne peut fonctionner efficacement, mais aussi en reconnaissant les contraintes et les fonctions multiples attachées à l'activité agricole. La politique agricole doit être conçue dans la perspective d'intégrer au mieux les objectifs économiques pour un secteur productif privé dans lequel les signaux du marché ne peuvent pas être ignorés et les objectifs d'aménagement du territoire, de gestion de l'espace, de protection de la nature, de maintien de la biodiversité, etc., effets externes et biens publics spontanément pas ou mal valorisés par le marché »689.

Dans le même sens, il est admis en France « qu'il est légitime de rétribuer l'agriculture pour les services non marchands qu'elle rend à [la] société, qu'ils soient de nature environnementale, paysagère, sociale ou culturelle »690.

La reconnaissance du concept de la multifonctionnalité est confrontée à la difficulté de sa justification économique et à son acceptabilité691 par certains acteurs du système commercial multilatéral. De fait, elle soulève une

687 ULMANN (L.), «La prime à l’herbe, une aide à l’agriculture multifonctionnelle ? », Actes du congrès de la société française d’économie rurale, mars 2002, p. 338.

688 GUYOMARD (H.), « La multifonctionnalité de l'agriculture : éléments d'analyse de la position française dans la perspective des prochaines négociations agricoles multilatérales à l'Organisation mondiale du commerce », Note rédigée pour le Cabinet du Ministère de l'agriculture et de la pêche, 1er avril 2001, p. 21.

689 GUYOMARD (H.), op. cit., 23.

690 Ibid., p. 8.

691 Ibid., p. 7.

Section 1 : Le concept de la multifonctionnalité de l’agriculture : éléments de définition

préoccupation des Membres de l’OMC sur les possibles distorsions aux échanges qu’engendreraient les diverses interventions publiques subséquentes à la reconnaissance de la multifonctionnalité. Cette préoccupation est légitime et mérite que les critères des interventions étatiques soient déterminés avec précision.

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