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Le principe de la protection douanière exclusive

La protection des marchés intérieurs et de la production nationale a été considérée par le GATT de 1947 comme une politique commerciale légitime, avec toutefois une préférence pour le recours aux droits de douanes. Il faut se rappeler que, ab initio, l’Accord général portait essentiellement sur les droits de douane51. Pour traiter de la question, le GATT devint un cadre permanent de négociations. En effet, l’Article XXVIII du GATT de 1947 prévoyait des négociations triennales entre les « Parties contractantes principalement intéressées ». Autrement dit, le GATT admettait que les Parties contractantes puissent protéger leurs producteurs contre la concurrence étrangère. Il leur était cependant demandé de maintenir « un niveau général de concessions

50 TANGERMANN (S.), « L’Accord sur l’agriculture de l’Uruguay fonctionne-t-il ? », in Economie internationale 87 (2001), p. 17.

51 GATT (1947), Préambule, paragraphe 3 ; Article XXVIII bis 2a.

Section 1 : De l’application à l’agriculture des principes du GATT

réciproques et mutuellement avantageuses non moins favorable pour le commerce que celui qui résultait du présent Accord avant les négociations »52. Manifestation du principe

L’Accord général comporte un véritable statut juridique des droits de douane.

Mais, contrairement à ce que l’on peut croire, le principe de la protection douanière exclusive n’est pas posé par l’Article II du GATT qui traite plutôt des concessions tarifaires. C’est l’article XI qui constitue le siège légal de ce principe, même s’il n’est exprimé que de façon négative. En effet, il dispose qu’« aucune partie contractante n'instituera ou ne maintiendra à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante, à l'exportation ou à la vente pour l'exportation d'un produit destiné au territoire d'une autre partie contractante, de prohibitions ou de restrictions autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions (soulignés dans le texte) que l'application en soit faite au moyen de contingents, de licences d'importation ou d'exportation ou de tout autre procédé »53. En d’autres termes, les droits de douanes sont considérés comme étant le seul moyen de protection possible dans le commerce multilatéral54. La jurisprudence a confirmé cette approche et a affirmé que l’interdiction « […]

s'appliquait à toutes les mesures instituées ou maintenues par une partie contractante pour prohiber ou restreindre l'importation, l'exportation ou la vente pour l'exportation de produits, sauf si ces mesures prenaient la forme de droits de douane, taxes ou autres impositions »55.

L’explication qui peut être donnée à cette approche est d’ordre économique. Il est vrai que les droits de douanes constituent un instrument d’action économique qui fausse les coûts de production et de consommation, même si, par ailleurs, leur perception constitue pour les Etats une source importante de recettes publiques. Les droits de douane sont donc un pis-aller que le GATT a choisi de légaliser tant en raison de leur transparence qu’en raison de la nocivité mesurée de leurs effets56. Tirant les conséquences de cette licéité des droits de douane, l’Accord général allait mettre en place un système de protection des concessions tarifaires que les Parties Contractantes se sont accordées lors des différentes négociations.

52 Article XXVIII:2 du GATT (1947).

53 Article XI, alinéa 1, GATT (1947).

54 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p. 161.

55 Japon-Commerce des semi-conducteurs, rapport du Groupe spécial, L/6309 BISD 35S/116, 04 mai 1988, paragraphe 104.

56 JACQUET (J.-M.) et DELEBECQUE (Ph.), Droit du commerce international, Paris, Dalloz, 3è éd., 2002, p. 44.

Application du principe – protection des concessions tarifaires

Ces négociations consistaient, pour les participants, à se faire des offres tarifaires devant aboutir, à la fin des travaux, à des listes de concessions tarifaires annexées à l’Accord général. Au cours de ces négociations, chaque partie contractante s’engageait à « [accorder] aux autres parties contractantes, en matière commerciale, un traitement qui ne [devait pas être] moins favorable que celui qui est prévu dans la partie appropriée de la liste correspondante annexée [à l’Accord] »57. Concrètement, les droits de douanes négociés et insérés dans les listes de concessions des Parties Contractantes étaient considérés comme des droits maxima consolidés, de sorte qu’un Etat ne pouvait, pour un produit visé58, imposer des droits de douane supérieurs au maximum consolidé. Au regard de l’importance de ces concessions, elles faisaient donc l’objet d’une protection. Pouvait-on raisonnablement admettre qu’une partie contractante revienne sur les engagements par elle pris dans sa liste de concessions tarifaires ? Il convient d’y répondre par la négative. Comme va le préciser plus tard l’Organe d’appel de l’OMC, « le sens ordinaire du terme “concessions” donne à penser qu’un Membre peut amoindrir ou abandonner certains de ses propres droits et accorder des avantages à d’autres Membres, mais qu’il ne peut pas unilatéralement diminuer ses propres obligations »59. Appliqué au GATT, cela revenait à dire que le GATT consacrait l’intangibilité des listes de concessions qui ne pouvaient être modifiées que par le biais de nouvelles négociations60. Ce principe participait de la sécurité juridique et de la transparence.

L’idée générale qui se dégage de cette discussion est que les listes de concessions sous le GATT étaient obligatoires et devaient être protégées dans l’intérêt de la sécurité des relations commerciales internationales. Le débat sur le caractère obligatoire des listes de concessions soulevait, de façon subséquente, celui de leur statut juridique. La liste des concessions d’un Etat constituait formellement un acte unilatéral61 qui peut se définir comme un

« acte imputable à un seul sujet de droit international »62. Allant dans ce sens, nous pensons que, même si les Listes de concessions étaient des actes unilatéraux, ils étaient néanmoins pris dans le prolongement « des effets […] de l’acte conventionnel »63, en l’occurrence, le GATT. Ces listes faisaient par conséquent partie intégrante du GATT64 et avaient, du même coup, la même portée juridique obligatoire. La portée juridique obligatoire des listes des concessions

57 Article II, alinéa 1.a, GATT (1947).

58 Produits pour lesquels un Etat accepte de consolider ses droits de douanes.

59 CE-Volailles, WT/DS69/AB/R, paragraphe 98, 13 juillet 1998.

60 Article XXVIII, alinéa 1, GATT (1947).

61 CARREAU (D.) et JUILLIARD (P.), op. cit, p. 91.

62 NGUYEN (Q.D.), Droit international public, 7è éd., paris, L.G.D.J., p. 359.

63 Idem, p. 363.

64 Article II alinéa 1, 2 et 7 ; article XXXIV, GATT (1947).

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tarifaires – et donc du GATT auquel elles étaient annexées – obéissait au principe qui veut que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » 65. Cette analyse sera plus tard confirmée par l’Organe d’appel de l’OMC dans l’Affaire Communautés Européennes-Matériels informatiques, lorsqu’il a soutenu qu’« une liste devient partie intégrante du GATT […] en vertu de l’article II : 7 du GATT […]. En conséquence, les concessions reprises dans cette liste font partie des termes du traité […] »66. La question du caractère obligatoire des concessions tarifaires a donc reçu une réponse qui semble faire l’unanimité.

Le principe et son application à l’agriculture

Le principe de la protection douanière exclusive tel que discuté plus haut s’applique-t-il aux produits agricoles ? Le GATT de 1947 a-t-il entendu appréhender l’agriculture comme un secteur particulier et, partant, lui consacrer des dispositions spéciales ? L’on peut être tenté de soutenir une telle idée.

Mais rien dans les termes de l’Accord général ne permet d’étayer une telle position. En effet, l’article II du GATT traite de « produits » sans autres précisions67. Aussi, peut-on conclure que « les dispositions du GATT relatives au traitement des importations visaient aussi les produits agricoles. En principe, le commerce des produits agricoles ne devait être réglementé que par les droits de douane proprement dits, de préférence une fois consolidés dans les Listes des pays »68. Si donc les Parties Contractantes reconnaissent à l’agriculture une importance politique considérable, cette reconnaissance, s’agissant de l’application du principe de la protection douanière exclusive, n’est pas clairement exprimée dans les dispositions du GATT avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur l’agriculture.

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