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LES FACTEURS INTERNES DES RIVALITES ETHNIQUES

Si la période coloniale a eu un rôle considérable dans la détérioration de la cohésion et de la stabilité du tissu social des populations colonisées, il reste que dès l’accession du Congo à l’indépendance, les nouveaux gestionnaires post-coloniaux, ont largement contribué à cette détérioration en faisant du pouvoir politique, le noyau autour duquel devaient s’organiser toutes les contradictions. A ce facteur sont venues s’ajouter les raisons strictement indépendantes de la volonté humaine donc conjoncturelles.

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- Alphonse Massamba Débat, « Pour la réussite de notre combat », Imprimérie nationale de Brazzaville 1967, P 25

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A-LE POUVOIR POLITIQUE COMME FACTEUR DE RIVALITES INTERETHNIQUES Dire du concept de pouvoir qu’il est source de rivalités interethniques dans un pays peut paraître à

première vue invraisemblable. Et pourtant, l’autorité et la puissance que confère le pouvoir à un individu ont été au centre de tous les bouleversements des Etats africains en général et du Congo en particulier.

Tout le monde veut avoir le pouvoir au point que Joseph Mampouya concluait à juste titre, s’agissant du Congo que <<Conquête, reconquête et conservation du pouvoir demeurent en fait ici les nerfs de la guerre>>(68). La question que l’on peut se poser est celle de savoir comment le pouvoir, nerf de la guerre, peut être source des rivalités ethniques au Congo.

L’accession au pouvoir d’un individu est très souvent considérée au Congo comme la victoire d’une région sur les autres et le pouvoir devient ainsi la propriété de l’ethnie dont est originaire le détenteur du pouvoir. En conséquence, toutes les autres ethnies sont systématiquement marginalisées, exclues et frustrées par le pouvoir en place.

De cette marginalisation naissent des foyers de tension et de révolte des unités ethniques qui en sont victimes. La réalité des faits est surtout amplifiée par les avantages, les privilèges qu’offre la détention d’une parcelle d’autorité.

Dans son étude sur la place de l’ethnie dans les influences politiques Ewondo Bengono constatait cet état de fait en ces termes <<non seulement les gouvernants dirigent le pays du point de vue politique, mais encore ils ont le meilleur niveau de vie. Les inégalités sociales entre un gouvernant et un simple citoyen paraissent énormes de telle sorte qu’il y a aucun autre espoir de le rattraper en faisant une autre activité que de devenir comme lui>>(69).

Autrement dit, le pouvoir apparaît comme une véritable source d’enrichissement pour celui qui le détient. Il confère à celui ci et à son entourage avantages et facilités illimités au détriment des autres. Ainsi la préservation de ceux ci incite l’ethnie gestionnaire du pouvoir à prévenir toute éventuelle remise en cause de ces « droits désormais acquis » par l’anéantissement systématique des autres ethnies.

Or, comme il est souvent établi, partout où l’identité d’un groupe est niée ou réduite, le groupe victime de cette négation, de ce complexe, soit réagit immédiatement contre l’agression, soit par un réflexe de défense de son identité, se replie sur lui-même, se referme dans sa coquille, observe et attend son tour qui peut et/ou doit arriver quelques soient les moyens mis en œuvre pour atteindre cette fin. Telle est la réaction des groupes exclus dans ce type de régime. Mais ce repli sur soi contribue à la longue à couver un sentiment de révolte qui, quand il se manifeste, a souvent des effets néfastes au sein de la société. La simple différence entre groupes ethniques s’exprime désormais en terme d’opposition.

68

- Joseph Mampouya, Op cit P 99.

69

- Bengono EWONDO « Place de l’ethnie dans les influences politiques » Thèse de 3e Cycle Paris V 1975, P 84.

Le tribalisme qui s’exprime dans ce cas de figure est à la fois politique (lutte pour le pouvoir) et économique (recherche du mieux être) et entretient un foyer de tension du fait de la confrontation entre communautés.

Ces tensions peuvent aussi se développer à l’intérieur même d’un groupe à partir du moment où la réalité de la gestion du pouvoir fait naître un rétrécissement du cercle tribal comme le soulignait à juste titre Henri Lopès <<aucun homme politique n’a jamais réussi à régler tous les problèmes que peut poser sa tribu. Il n’en soulage que certains et en satisfait bien moins encore>>.

Le pouvoir étant une source d’enrichissement, sa conquête et sa conservation poussent l’homme politique à organiser sa gestion autour des membres de sa tribu en écartant systématiquement toutes les autres considérées désormais comme concurrentes.

Le tribalisme dans cette optique s’appréhende sous un double aspect car, d’un côté, le politique sollicite la confiance et le soutien de sa tribu, de son ethnie voire de sa région pour conquérir le pouvoir et de l’autre par toute une série de manœuvres dilatoires, par une politique d’exclusion systématique des non-membres de sa tribu, il fait bloc avec les siens pour conserver ce pouvoir de préférence pendant une durée indéterminée.

Dans cette situation de conflit perpétuel, l’incapacité de l’Etat à faire face aux préoccupations des populations, ne fait qu’aggraver les tensions. Car dans un Etat totalement à la dérive où aucun espoir n’est permis, le repli et la solidarité tribale deviennent les seuls remparts contre les agressions de son milieu social. Cette situation développe malheureusement des conflictualités dont les atrocités sont le plus souvent indestructibles. Mais le pouvoir n’est pas à lui seul, le facteur déterminant des rivalités qui existent entre communautés, les raisons sont aussi d’ordre conjoncturel.

B – LES RAISONS CONJONCTURELLES

D’une manière générale, les raisons conjoncturelles à l’origine des désagréments dans la cohabitation entre communautés ethniques au Congo peuvent tenir de plusieurs ordres dont deux nous semblent les plus déterminants :

- L’hostilité du milieu naturel. Au Congo, il existe un grand contraste entre le Nord et le

Sud. Contraste qui est en grande partie dû aux contraintes qu’exerce le milieu naturel sur les possibilités de fixation locale des populations. Géographiquement, les régions du Nord sont plus touchées par les contraintes naturelles.

A côté du régime hydrographique très rude, la grande forêt équatoriale limite directement les possibilités de sédentarisation de la vie locale. Ce qui suscite de plus en plus de la part des populations, un mouvement migratoire pour rechercher les adaptations plus propices à la survie.

La grande couverture végétale affecte également les moyens de communication terrestre qui sont limités au déplacement aquatique, le fleuve et ses affluents, lorsque bien sûr ceux ci ne sont pas contrariés par les crues locales

Or, comme dans ces sociétés, la localisation humaine obéit le plus souvent aux avantages qu’offre le milieu naturel –la fertilité des sols, la facilité de déplacement…- il apparaît clairement que ces difficultés influencent directement les conditions d’évolution démographique non seulement à l’intérieur de la région mais aussi à l’intérieur de chaque groupe ethnique.

Face à ces rudes conditions d’existence, le déplacement massif des populations vers les régions les plus prospères, plus précisément les régions du sud, menace la survie de certains groupes ethniques. Les villages se vident de certains de leurs éléments les plus actifs. En même temps, on assiste à une extinction progressive des plus âgés, ne laissant sur place que quelques adultes et surtout des femmes et des enfants qui au regard des difficultés, ont du mal à assurer le renouvellement de la population. En fin de compte le dépérissement qui en résulte condamne ainsi les groupes les moins nombreux et à long terme, risque de remettre en cause la région elle-même comme entité humaine faute d’habitants. Ainsi par exemple, le groupe Kongo qui est implanté au sud du Congo représente-t-il près de la moitié de la population totale alors que certains groupes ethniques tels que les Makaa apparaissent comme les plus touchés par le déficit démographique du fait de leur positionnement géographique.

- A côté de l’impact du milieu naturel, on peut également faire allusion aux effets de la domination coloniale qui ont contribué à accentuer les différences et les inégalités entre le Nord et le Sud. A partir de 1899, la puissance coloniale a mis en place

le régime concessionnaire c’est à dire que la France a confié la gestion d’une partie de son espace colonial à des sociétés commerciales privées.

Dans un décret de cession complété par les instructions ministérielles adressé au commissaire général du Gouvernement du Congo, il était clairement mentionné que les sociétés commerciales <<se voyaient accorder des territoires à exploiter pendant une durée de 30 ans afin d’y exercer tous les droits de jouissance et d’exploitation, sauf en ce qui concerne les mines>>(70). C’est par le biais de ce monopole que la Compagnie Française du Haut Congo (C.F.H.C) des frères Tréchot s’installe au Congo pour la prospection, l’exploitation et la commercialisation des produits de chasse et de cueillette tels que l’ivoire, le caoutchouc….

La brutalité avec laquelle les sociétés concessionnaires ont exercé leur activité(71) a contribué à accentué de plus en plus les disparités entre le nord et le Sud par la fuite des éléments valides et l’extinction des plus faibles.

La faible rentabilité de ce régime coïncide –et incite- avec la volonté des autorités coloniales de transférer géographiquement le centre d’activités économiques vers les régions du sud plus favorables. Dès le début du XXe siècle, les apologistes du colonialisme caressent l’idée de relier la côte maritime à l’intérieur du pays réputé hostile.

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- Louis Soussa, Op cit P 87.

71

- Une obligation était faite par exemple aux indigènes de réaliser une somme de travail au « noir » sous forme de produits à récolter ou des journées de prestations obligatoires.

L’extinction du régime concessionnaire marque l’abandon définitif des régions du nord au profit du sud. Dès 1934, une voie ferrée relie Brazzaville à Pointe noire favorisant ainsi l’impulsion aux activités économiques en direction du sud du pays. Long de 512 Km, le Chemin de Fer suscite une véritable dynamique économique et démographique. Il en résulte encore de nos jours une désarticulation structurelle entre un pôle dynamique où se trouve concentrée la quasi-totalité des unités industrielles et les grands centres urbains, lieux privilégiés de l’activité économique et politique, en l’occurrence les régions du sud et les régions du Nord profondément enclavées, tant à cause de la végétation ou du régime hydrographique que par la vétusté des voies d’accès.

Cet enclavement démographique et économique s’est également manifesté sur le plan des infrastructures scolaires qui, plus tard, suscitera de grandes différences entre les ressortissants du Sud ayant bénéficié très tôt d’une éducation et ceux du Nord victimes de la volonté coloniale.

Par ailleurs, si ce facteur peut être imputable à la volonté des autorités coloniales qui ont le plus souvent privilégié les régions du sud pour implanter les structures scolaires, il reste que depuis les indépendances, aucun effort considérable n’a été fait par les autorités post-coloniales contre ces inégalités.

Pendant la colonisation, le territoire du moyen Congo a bénéficié de l’essentiel des infrastructures scolaires, indispensables pour la formation des élites qui devraient assurer la relève coloniale en Afrique Centrale. Depuis l’accession du Congo à l’indépendance, les disparités persistent toujours du primaire jusqu’au supérieur. A titre d’exemple, la région du Pool (y compris Brazzaville) compte à elle seule plus d’écoles d’enseignement primaire (260 écoles primaires) que les régions de la Cuvette (145), de la Sangha (33) et de la Likouala (41). Tout comme on peut ajouter le rapport en terme du nombre de classes. La région du Pool compte plus de salles de classe (2151) que toutes les régions du Nord réunies : les Plateaux (633), la Cuvette (755), la Sangha (160) la seule université qui existe, est implantée à Brazzaville, capitale politique du Congo.

En définitive, cette situation accentue les disparités infrastructurelles entre un Sud déjà favorisé et un Nord enclavé. Ces disparités aussi bien éducatives qu’économiques influencent le vécu quotidien des populations. Alors que ces disparités touchent les actifs les plus défavorisés du nord dont les progénitures n’ont parfois aucune chance d’accéder à l’instruction, au sud, où les conditions de vie paraissent plus favorables, les populations bénéficient de plusieurs atouts.

Ces contrastes sont d’autant plus graves qu’en terme de répartition ethnique, on constate que les ethnies du sud disposent du plus grand nombre d’instruits du fait que la plus de la moitié des institutions éducatives se trouvent localisées en pays Kongo. Autrement dit, les disparités géo-régionales et culturelles accentuent les compétitions inter-individuelles et par delà celles ci, fait de la recherche des diplômes les plus élevés l’occasion d’oppositions inter-régionales et interethniques pour l’accès aux emplois les plus élevés socialement et politiquement qu’elle garantit.

Pour les ethnies défavorisées, l’école offre un moyen de s’exprimer et de se déterminer où il n’existe aucune chance. Le système scolaire actuellement en place reproduit dans sa distribution

spatiale les disparités structurelles entre régions et groupes ethniques et par sa vocation bureaucratique les inégalités sociales entre classes et couches sociales.

Cette différenciation sociale d’après les appartenances aussi bien régionales qu’ethniques fait désormais du contrôle politique de l’appareil scolaire, pourvoyeur de diplômes donc du rang social, l’enjeu de grands conflits clientélistes sur fond de considérations ethnorégionales.

A la lumière de tout ce qui vient d’être dit, s’il apparaît que toutes ces disparités entre le nord et le sud ne constituent pas à elles seules les motifs des grandes conflictualités qui secouent la vie politique congolaise, il reste qu’elles sont un observatoire on ne peut plus rationnel qui permet la perception des différences ou des inégalités entre ces deux entités géographiques.

Ces disparités favorisent et entretiennent également l’identification à l’ethnie ou à la région. Elles représentent à ce titre un relais important pour l’identification ethnorégionale. Ces facteurs combien déterminants dans le déclenchement des hostilités entre les communautés qui composent la population congolaise, sont également amplifiés par le discours des hommes politiques qui pour accéder et/ou conserver le pouvoir recourt de plus en plus à la fibre ethnique pour diviser les populations.

SECTION II

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