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A2 – L’IMPACT DE LA POLITIQUE COLONIALE

LES FACTEURS EXTERNES

A2 – L’IMPACT DE LA POLITIQUE COLONIALE

Dès la signature du traité du 10 septembre 1880 entre le roi Makoko, souverain des Batéké et Pierre Savorgnan De Brazza, traité qui fait du Congo une possession française, la puissance coloniale entreprend la réorganisation de sa nouvelle conquête pour en faire une entité à son service. Cette réorganisation qui a pour but de maîtriser les populations consiste à porter atteinte à l’ordre socioculturel existant. C’est dans cette optique que de nombreuses mesures ont été prises parmi lesquelles l’atteinte à l’ordre traditionnel, le redécoupage territorial et enfin la destitution des chefferies traditionnelles au mépris des réalités des populations colonisées.

A – L’atteinte à l’ordre traditionnel existant.

Dès sa prise de contrôle de la colonie congolaise, le colonisateur a compris que le meilleur moyen de prévenir les résistances des autochtones, était de porter atteinte à leur vécu quotidien en transformant la réalité des populations à coloniser. Ainsi, sans toutefois remettre en cause les devoirs liés à la tradition, le colonisateur a repris ceux ci à son compte. Il s’agissait en fait pour le colonisé d’obéir, de respecter et d’observer les lois et règlements qui lui étaient imposés.

Cette situation a affecté le colonisé aussi bien sur le plan physique, sur le plan mental que sur le plan moral. Il lui sera imposé par exemple le travail forcé qui fait <<de son corps, donc de son physique, un outil de travail, un instrument technique à l’usage de la production coloniale>>(58).

L’introduction du devoir mental caractérisé par les vertus de l’école, la soumission à de nouveaux devoirs moraux prônés par la religion nouvelle, le christianisme, ont eu des effets

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contraignants sur la morale traditionnelle. Cette démarche a eu pour conséquence de figer le colonisé dans une nouvelle forme d’aliénation.

La politique de maîtrise des populations par la transformation de leur ordre existant s’opère également par le biais du redécoupage du territoire conquis.

B – Le redécoupage territorial.

Avant la pénétration coloniale, la possession d’une portion de terre conférait à son possesseur une certaine autorité. Aussi l’implantation des habitations devrait-elle désormais obeïr à cette logique. Dans les villages, les gens étaient dispersés, cachés dans les brousses, dans les forêts.

Dans le pays de la Cuvette, par exemple, on comptait une multitude de campements dispersés dans les forêts, et implantés sur des propriétés foncières. Dès son installation, l’administration coloniale entreprit la réorganisation du territoire en mettant en place des unités administratives avec un commandement de type nouveau. Ainsi, un découpage artificiel et sans fondement complètement étranger aux réalités locales, regroupait coercitivement les populations que rien ne prédisposaient à une cohabitation, créant ainsi des oppositions entre elles.

Le redécoupage qu’entreprend le colonisateur avec son corollaire le déplacement et le regroupement coercitif des populations, entraîne de profonds bouleversements dans les structures sociales traditionnelles. Pour le colonisateur, la préoccupation était celle de fixer les populations dans des espaces précis afin de pouvoir les contrôler et les surveiller facilement. Ce regroupement permettait ipso facto à l’administration de pouvoir se constituer un réservoir de main d’œuvre considérable.

Mais cette initiative n’était pas du goût des indigènes qui bravaient à certains moments l’autorité coloniale pour s’installer dans les forêts plus propices à leurs activités.

Dans son analyse sur l’implantation coloniale, Louis de SOUSSA tire quelques traits caractéristiques de ce découpage. Il écrit à ce propos que le découpage colonial se révèle par

<<1 – leur manque absolu de connaissance sur le pays et ses habitants ;

<<2 – leur paranoïa à faire rassembler les populations sans mesurer les différences ;

<<3 – le caractère irréel, sans fondement concret, de toute action cartésienne c’est à dire idéaliste>>(59).

En définitive, l’organisation administrative que le colonisateur s’attelle à mettre en place se présente de la manière suivante :

• Au sommet, se trouve la circonscription regroupant plusieurs subdivisions ; • La subdivision est divisée en tribus ;

• La tribu est divisée en terres ; • La terre, elle, comprend les villages ;

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- Louis Soussa, « Evolution des structures sociales traditionnelles au Congo : De la pénétration coloniale à nos jours, un exemple M’bochi » Thèse de 3e cycle EHESS 1981 P 102.

La circonscription et la subdivision qui sont des échelons supérieurs disposent d’un pouvoir de sanction et d’intervention.

Toute cette organisation administrative avait pour but principal d’affaiblir le pouvoir coutumier et de le placer sous la dépendance coloniale. Ainsi structuré, les terres entières furent divisées et placées sous l’autorité du colon avec des normes d’administration coloniale. C’est le cas de la grande boucle de l’Alima qui fut divisée en treize terres administratives fonctionnant selon les dispositions fixées unilatéralement par le colonisateur sans réelle connaissance de la réalité locale.

Comme toute création, ces nouvelles entités administratives posent le problème de leur gestion. Aussi pour pallier cette situation, le colonisateur devrait-il recourir aux services des populations locales pour mettre en place les administrateurs de ces différentes entités. Mais là aussi, la manière ou mieux le choix des nouveaux dirigeants en opposition avec les réalités traditionnelles, a eu pour effet d’affaiblir la chefferie traditionnelle.

C - L’affaiblissement de l’autorité traditionnelle.

La redéfinition administrative du territoire occupé par la puissance coloniale a posé le problème de la gestion de celui-ci. La réorganisation spatiale impliquait en elle-même la mise en place de nouvelles autorités placées sous la direction du représentant colonial.

Or, dans la société pré-coloniale, la chefferie obéissait à un certain nombre de préceptes rigoureux. Le chef n’était jamais élu. Cette qualité était héréditaire et se transmettait à l’intérieur de la famille.

Pour le colonisateur, la question était celle de savoir au mépris de l’ordre traditionnel, qui pouvait être chef et incarner au mieux ses aspirations ?.

En réponse à cette question, une note signée par l’autorité coloniale en 1911 posa les conditions requises pour être chef. Pour prétendre diriger, il faut <<être un homme ayant déjà une certaine autorité dans le pays, une influence appréciable due à sa forme, à sa parenté, à son prestige personnel ou à son origine>>. Ces conditions qui reprennent bon gré mal gré le droit fil de la conception traditionnelle du chef, sont repris par l’arrêté de 1937 en ces termes <<un chef doit être un homme respecté et doué d’un certain ascendant sur ses congénères… Il doit être choisi surtout au début dans une famille de chef>>.

L’objectif pour l’administration coloniale était d’utiliser à ses fins le capital de prestige et d’autorité dont pouvaient jouir certains représentants de famille de chef..

Forte de ces orientations, l’autorité coloniale procéda à la nomination des chefs administratifs indigènes qui devaient diriger, pour certains, les villages et terres, pour d’autres les tribus. Cette procédure de désignation de nouveaux responsables locaux était la révolution pour coopter et faire tourner la machine traditionnelle au profit du nouveau système colonial.

En renversant la chefferie traditionnelle au profit de l’administration, la colonisation tenait progressivement les rennes de l’autorité indigène. L’administration coloniale sapait par-là même les

grands préceptes traditionnels de la chefferie, en remettant ainsi en cause les valeurs d’unité et de cohésion qui soutendaient la vie communautaire.

L’administration coloniale a placé au fur et à mesure à la tête des villages et des terres de nombreux chefs traditionnels(60) qui pouvaient rendre de nombreux services à l’occupation et aussi sur lesquels elle devait s’appuyer. C’est ainsi qu’il n’était plus rare de voir des jeunes gens qui se trouvaient dans la hiérarchie traditionnelle à un niveau inférieur se retrouver propulsés par le biais de cette procédure à la tête du village ou de terre au mépris du sacro-saint « droit d’aînesse » qui prévalait dans ces sociétés. Dans d’autres cas, le chef coutumier restait à la tête du village et l’administration plaçait à ses côtés un jeune affranchi, investi d’un certain pouvoir de contrôle et sur lequel l’autorité coloniale comptait pour assurer au mieux ses missions.

Par ailleurs, il faut souligner que si l’administration coloniale a reconnu le principe de la double autorité c’est à dire une autorité française et une autorité indigène (61). En pratique, l’indigène n’avait aucun pouvoir. Il n’était qu’un instrument au service de l’autorité coloniale de qui dépendait le pouvoir de décider et de prendre des mesures nécessaires dont la finalité tendait à détruire l’ordre traditionnel et à faire progresser les mentalités vers l’ordre nouveau qu’est le système français.

Les attributions des nouvelles autorités indigènes (chefs de terre, chefs de tribu, chefs du village) étaient strictement limitées. Leur mission consistait essentiellement à assurer la collecte de l’impôt, faciliter la réquisition de la main d’œuvre, à prévenir contre les « mauvais esprits » bref à veiller à ce que tout soit mis en œuvre pour assurer les tâches coloniales.

En ce qui concerne les chefs de tribu par exemple, ils avaient pour mission de surveiller, diriger et de contrôler l’action des chefs de terre ou de villages placés sous leur direction. En contrepartie de ces services, les chefs indigènes avaient quelques reconnaissances à savoir les marques extérieures de leur pouvoir, symbole de leur autorité. Ils arboraient des brassards ou des galons spéciaux selon leur catégorie, des insignes, des tenues et enfin bénéficiaient une rémunération qui faisait d’eux des « serviteurs » du pouvoir colonial.

Ces reconnaissances avaient, pour le colonisateur, un autre but que celui d’inciter les chefs indigènes à plus de Zèle, de soumission et de loyalisme, c’était pour le colonisateur l’un des moyens les plus sûrs pour transformer le chef traditionnel en chef administratif.

Autorités au service de l’administration certes, les indigènes n’étaient pas à l’abri des sanctions disciplinaires d’une administration qui ne tolérait aucun manquement. Aussi les chefs indigènes étaient-ils soumis à des sanctions rigoureuses(62).

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- Ceux-ci étaient considérés en fait comme des nègres habillés, des nègres organisés et hiérarchisés par opposition à l’autre catégorie qualifiée de nègres nus, des sauvages avec lesquels on ne trouve pas de langue de politesse sinon que la violence pour s’exprimer. A ce propos, Ahmadou KOUROUMA a fait largement allusion à cette distinction dans son ouvrage « En attendant le vote des bêtes sauvages » Ed. du seuil 1998 PP 11-12.

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- En réalité, il n’y avait qu’une seule autorité qui existait, l’autorité coloniale.

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- Les sanctions infligées aux nègres « habillés » étaient essentiellement des travaux forcés, les prestations contraignantes, gratuites et obligatoires.

En définitive, en procédant à la nomination des indigènes, le pouvoir colonial ébranlait le pouvoir traditionnel. Le chef traditionnel devenu chef au service de l’administration coloniale, perdait son pouvoir ancestral. Cet état de fait qui était une entorse fondamentale à la logique indigène contribua à l’affaiblissement et à la destitution de la chefferie traditionnelle. Cette démarche qui désacralisait la tradition indigène était un des gages de l’implantation du pouvoir colonial. Une logique qui va se poursuivre avec la fabrication des « nouveaux sujets déstabilisés », véritables rouages de l’administration coloniale qui, plus tard, devraient assurer la relève coloniale.

B – L’INTRODUCTION DES DISTINCTIONS ENTRE LES POPULATIONS

L’entreprise coloniale n’était pas de tout repos pour les colonisateurs. La résistance opposée par les indigènes à la pénétration française impliquait une véritable politique de maîtrise de ces populations. Aussi l’occupant va-t-il entreprendre de disperser celles-ci de sorte que le « diviser pour mieux régner » lui permette de bien mener sa mission. Ainsi après avoir détruit le bastion de la puissance indigène, le colonisateur s’est attelé à fabriquer le nouveau « congolais » à son image c’est à dire un être dépouillé de toute tribalité pour ensuite entretenir une hiérarchie entre les populations autochtones.

B1-LA FABRICATION DES ETRES DETRIBALISES

La réorganisation des territoires occupés a posé le problème du personnel administratif pour assurer la gestion de ceux-ci d’une part et le souci d’assurer l’avenir de ces territoires sans pourtant heurter les dispositions coutumières d’autre part. Cette détermination a conduit les autorités coloniales à impliquer de plus en plus les autochtones dans la gestion de leur destinée. Le Congolais au service du régime colonial, devrait ainsi subir une véritable aliénation de sa personnalité pour être apte à servir les intérêts du colonisateur. C’est dans cette logique qu’on voit apparaître au début des années 1930, les premières écoles, véritable institution dans laquelle, le nouveau Congolais devait s’instruire pour mieux s’adapter à son nouvel univers. Cette entreprise de formation est menée de connivence avec l’église.

- La nécessité d’une formation scolaire. La mutation des chefferies traditionnelles

en chefferies administratives et l’éclatement de la colonie en diverses entités administratives ont permis aux autorités coloniales de réaliser l’importance de la participation des indigènes dans la gestion des terres. A ce sujet, le gouverneur général de l’A.E.F soulignait déjà <<que le concours des chefs indigènes est absolument indispensable. Ici comme partout ailleurs (…) la masse ne pourra réellement progresser que si elle est fortement encadrée. Ce serait une singulière illusion de croire que, dans des pays aussi vastes et des effectifs européens aussi réduits, nous puissions faire de l’administration directe>>(63).

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A la lumière de cette réalité, le gouverneur général insiste sur l’utilisation de ces auxiliaires de l’administration coloniale et la nécessité de leur inculquer les rudiments de la connaissance européenne. C’est dans ce souci que fut construite une école à Osselé, au début des années 1930, des enfants ont été accueillis à l’école de Boko et plus tard une autre école fut créée à Brazzaville. Pour l’administration coloniale, ces écoles obéissaient à la volonté d’inculquer aux futurs dirigeants les bienfaits de l’enseignement colonial, de la culture française et susciter en eux un sentiment de révolte face aux mentalités et à l’ordre traditionnel jugé trop rétrogrades.

Dans un premier temps, l’autorité coloniale a décidé que seuls les fils de chefs pouvaient sur proposition des chefs de circonscription, être admis à l’école. Sans trop compromettre l’autorité de leurs aînés, les jeunes choisis parmi les indigènes les plus intelligents et les plus sûrs devaient acquérir la civilisation occidentale jugée supérieure, le savoir-vivre européen et se détacher par-là même de leur mode de vie ancestral.

Ces jeunes gens dont la formation était essentiellement focalisée sur la soumission et « le mieux servir » formaient la classe dominante des « affranchis », maniaient tant bien que mal la langue du colonisateur.

En plus de l’école, l’Eglise a été aussi d’un apport inestimable dans la dépréciation des valeurs traditionnelles de l’Africain.

-L’impact de l’Eglise en tant qu’instrument de dépersonnalisation du colonisé.

Si comme nous l’avons souligné plus haut l’action éducatrice du régime colonial a engendré de profonds traumatismes au sein des autochtones, l’action des missionnaires a également contribué à l’évolution des structures sociales car la pénétration coloniale s’est accompagnée d’un fort activisme de la part des missionnaires.

Dès la fin du XIXe siècle, les missionnaires se sont fixés pour objectif à l’instar des colonisateurs, la conversion des peuples au christianisme et le dépouillement des pratiques ancestrales auxquelles ces peuples croyaient jusqu’alors. Aussi pour réaliser leurs objectifs, les missionnaires se mirent-ils à supprimer impitoyablement toutes les pratiques qui étaient incompatibles avec les traditions chrétiennes de la société occidentale. En agissant de la sorte, les missionnaires, tout comme les colonisateurs, ébranlèrent non seulement l’ordre social mais aussi les consciences de ces populations.

Progressivement, les missionnaires ont convaincu les plus jeunes qui sont aussi les plus accessibles. Les jeunes convertis procédèrent ainsi au rejet de leurs pratiques tels que les amulettes, les fétiches et les talismans dans l’espoir de l’avènement d’une nouvelle ère marquée par la fin du mal et de la sorcellerie. Les missionnaires encourageaient par des explications scientifiques à ne plus croire aux forces surnaturelles.

Dans sa logique, le missionnaire avait très tôt compris qu’en s’attaquant aux institutions les plus sensibles de l’ordre traditionnel, il était convaincu que la christianisation qu’il prêchait, pouvait

atteindre en profondeur les âmes et consciences de ces populations. Ainsi marquèrent-ils leur présence par un ensemble d’artifices, par la prolifération des prénoms chrétiens en lieu et place des noms traditionnels. Les jeunes filles se faisaient désormais appeler « Bernadette », « Marie », Antoinette », et les jeunes garçons « Jean » à la place de Ongounloungou Ontchou, « Paul » à la place de Kitsimbou Ki Mouanda, « Pierre » à la place de Mabika Ma Kombila, bref des prénoms occidentaux.

Ensuite, les missionnaires se sont attaqués à l’institution traditionnelle du mariage pour lui substituer celle du mariage chrétien. Par ce biais, <<les missionnaires portent gravement atteinte au pouvoir des aînés qui ne se repose pas non seulement sur la force matérielle ou à une sorte d’occultation sur les dominés, les cadets (pouvoir d’agression en sorcellerie) mais aussi et surtout à la régulation des mariages. En agissant de cette façon, ils privent les aînés d’une source de leur pouvoir et partant de leur richesse. En contrepartie, ils soustraient les cadets de la domination de leurs aînés traditionnels et les placent désormais sous la leur>>(64). Ce point de vue a été repris plus tard par Ahmadou KOUROUMA qui à juste titre concluait que toute la démarche des missionnaires ne visait au fond qu’à introduire <<les artifices de communication avec les hommes nus afin de les évangéliser, de les civiliser, les rendre colonisables, administrables et exploitables>>(65)

Dans le même ordre d’idées, le missionnaire s’attaqua aussi au phénomène de la polygamie. Car, en prônant la monogamie, les missionnaires portaient gravement atteinte à l’attachement et aux croyances des indigènes.

En somme, les missions religieuses ont eu un impact considérable dans la dislocation de l’environnement traditionnel des indigènes et surtout par leur action, elles ont fortement relayé la démarche coloniale dans la détribalisation des indigènes.

Cependant, en dépit de la dépréciation et la dépersonnalisation dont le colonisé faisait l’objet sous le joug religieux, il reste que l’action du missionnaire a été plus humanisante que celle de son homologue l’administrateur. Les missionnaires ont joué un rôle très important pour le progrès matériel, l’éveil des consciences. Sur le plan éducatif, l’action des missionnaires a eu pour effet de transformer et faire évoluer les mentalités.

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