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1 - LE CONTENTIEUX DE FEVRIER 1959 OU L’AMORCE DES OPPOSITIONS INTERETHNIQUES DU CONGO POST-COLONIAL

LES MANIFESTATIONS DE L’ETHNICISME DANS LA VIE PUBLIQUE CONGOLAISE

1 - LE CONTENTIEUX DE FEVRIER 1959 OU L’AMORCE DES OPPOSITIONS INTERETHNIQUES DU CONGO POST-COLONIAL

De construction pluriethnique, la société congolaise a toujours souffert de sa pluralité culturelle. Depuis les années 1950, la fixation des identités ethniques ou ethnolinguistiques puis l’exacerbation de leurs clivages en affrontements politiques ou en guerre civile, n’était plus le fait de la puissance coloniale. Car c’est précisément au lendemain de la conférence de Brazzaville de février 1944(94) que les prémisses de l’enlisement interethnique, ont commencé à se dessiner. La bataille pour l’accession au pouvoir laissé vacant par le colonisateur entraîna progressivement les premiers

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- Jean Louis Balans, « La république du Congo », Encyclopédie P 375.

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- Cette conférence a favorisé l’émancipation politique de l’Afrique francophone bien qu’elle condamnait le self-government.

intellectuels à la manipulation du phénomène ethnique pour se hisser et se maintenir au pouvoir. Cette situation sera à l’origine des premiers affrontements du Congo en février 1959.

D’essence politique, les conséquences de cette guerre se manifestèrent essentiellement sur le plan civil en une véritable opposition entre les ressortissants du Nord, le M’bochi et ceux du sud, les Laris figeant ainsi le Congo en une opposition pool-cuvette donc Nord/sud.

a-Les origines du conflit de 1959

L’émancipation politique de l’Afrique francophone amorcée par la conférence de Brazzaville a eu des conséquences politiques très marquées dans cette ancienne colonie. Vers le milieu des années 1950 alors que le Congo était encore sous le régime de l’autonomie interne, l’optique du transfert du pouvoir aux autochtones fît apparaître les premières formations politiques.

En 1947, jean Félix Tchikaya, originaire de la région du Kouilou fonde le Parti Progressiste Congolais (P.P.C). Très tôt, Jean Félix Tchikaya apparaît comme le leader incontesté chez les Vili de la région du Kouilou. Sa formation politique s’entoure ainsi de manière progressive des ressortissants de sa région natale.

Dans la région de la Cuvette, jacques Opangault, d’ethnie M’bochi crée le Mouvement Socialiste Africain (M.S.A) qui deviendra la S.F.I.O le 31 août 1957. Tout comme le P.P.C le M.S/A apparaît comme le porte étendard des populations du nord.

Dans la région du Pool, l’abbé Fulbert Youlou se distingue en créant sa propre formation politique, l’Union Démocratique pour la Défense des Intérêts Africains (U.D.D.I.A) le 27 mai 1956.

Dans un premier temps, Youlou s’est fait entourer des ethnies majoritaires tels que les Bakongo en prônant le fidèle continuité de la ligne définie par André Matswa, le prophète. Ainsi, l’U.D.D.I.A devient en cette fin des années 1950, l’une des formations politiques les plus influentes du pays.

Avec la création de l’U.D.D.I.A, le paysage politique congolais se fige dans un tripartisme politique. De prime abord, les partis politiques qui se créent dans la foulée de l’effervescence démocratique des indépendances sont dirigés par les ressortissants de la Cuvette (M.S.A), du Pool (U.D.D.I.A) et du Kouilou (P.P.C). Mais à l’époque, la composition de ces formations politiques n’étaient pas homogènes ethniquement. La représentativité était une donnée fondamentale. On trouvait les ressortissants de toutes les régions dans les différentes organisations. Tout comme étaient possibles des alliances politiques entre les différents partis politiques (cas de l’alliance P.P.C-M.S.A) pour les élections de mars 1957.

A ce propos, faisant allusions à l’organisation des partis politiques de la période coloniale, nous écrivions que <<Par leur composition, ces partis n’étaient pas ethniques comme, on a pu le croire. Mais, ils le devinrent par la suite en raison des pratiques antidémocratiques découlant du comportement de leur leader : clientélisme, favoritisme, exacerbation des sentiments ethniques, manipulations tendance à la supériorité d’une ethnie au détriment des autres, bref tout un ensemble

d’attitudes dont l’attachement au clan, au village devinrent les seuls remparts de sécurité, d’expression et de survie>>(95).

Les compétitions électorales pour l’installation de nouvelles autorités offrent l’occasion aux leaders politiques post-coloniaux de manipuler la fibre ethnique pour accéder aux responsabilités nationales. Avec le multipartisme, le paysage politique congolais devient un véritable champ de bataille. Le discours basé sur des considérations tribales devient pour les autochtones <<une véritable plaie sociale ouverte>>(96). De là vont apparaître les premiers troubles politiques.

*-En janvier 1956, les partisans et adversaires politiques de l’abbé Fulbert Youlou s’affrontent dans un conflit sans enjeu ;

*-En janvier 1958, les partisans d’Opangault et ceux de Youlou se livrèrent à une bataille rangée à Dolisie ;

*-En avril 1958, la mort accidentelle du député U.D.D.I.A Dumont sert de prétexte à de graves incidents à Kakamoeka dans la région du Kouilou.

Progressivement, le Congo devient le théâtre de nombreux incidents qui vont affecter la cohésion sociale.

En 1957, pour faire face à la furie électorale de l’U.D.D.I.A, le P.P.C signe une alliance électorale avec le M.S.A. Aux élections de mars 1957, le M.S.A et le P.P.C remportent 23 sièges contre 22 pour l’U.D.D.I.A. Jacques Opangault au nom de la coalition dirige la vice-présidence du gouvernement congolais. Youlou est nommé ministre de l’agriculture.

Lors de la session inaugurale de novembre 1958 consacrée à la mise en place du présidium de l’assemblée législative, le député Yambot se désiste en faveur de l’U.D.D.I.A. cette défection fît basculer la majorité en faveur de l’U.D.D.I.A. cette situation suscite une grande agitation dans les rangs des partisans de la coalition M.S.A-P.P.C.

Au cours de la même période alors que les mécontentements se manifestent partout, le président de l’Assemblée fait voter deux lois : la première institue un gouvernement provisoire sous la direction de Youlou et la seconde transfère la capitale politique de Pointe-Noire à Brazzaville. Toute cette opération s’est faite sans la participation des députés de la coalition.

Strictement politique au départ, cette contradiction génère à Brazzaville en janvier 1959 une sanglante émeute entre les partisans du Nord et ceux du sud.

b-Les conséquences des troubles sociopolitiques de 1959

L’agitation liée au contexte politique du Congo à la fin des années 1950 entraîne le pays pendant quatre jours, dans une véritable opposition civile entre les partisans de Youlou et ceux

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- Xavier Kitsimbou, « La problématique du phénomène des conférences nationales souveraines en Afrique noire francophone : un exemple de la République du Congo », Mémoire de Sciences politiques, Nancy 1995 P 84.

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d’Opangault autrement dit les Lari et les M’bochi. Pendant quatre jours d’affrontements, les victimes furent comptées par centaines. L’intervention des troupes françaises fut décisive dans l’arrêt des combats. Politiquement à l’origine, les conséquences de cette guerre ont sensiblement affecté le tissu social congolais.

Le conflit de 1959 a complètement détérioré la cohésion sociale. La société s’est retrouvée pratiquement divisée entre d’une part les Laris et d’autre part les M’bochi. De cette opposition est née la division du pays en deux concepts désormais conflictuels : le Nord et le Sud.

A proprement parler, l’opposition Nord / Sud est un pur excès de langage car la région de la Cuvette se situe au centre du Congo et le Pool au sud ouest. La Cuvette regroupe en son sein plusieurs ethnies dont seuls les M’bochi, étaient en opposition avec les Laris. Le Pool est une région qui regroupe également plusieurs ethnies du groupe Kongo. L’extension de la guerre a fait en sorte que tous les originaires du nord soient assimilés aux M’bochi. De part et d’autre de la société, les populations se sont organisées en groupuscules ethniques excluant toute possibilité de vie civile commune. Le conflit a engendré la haine et le repli sur soi. Ce qui dans la vie courante se traduisait par des exclusions ou encore des interdits. C’est ainsi par exemple qu’un Lari ne pouvait se marier à une M’bochi sans attirer l ‘attention de son environnement immédiat et vice versa. Toute tentative de rapprochement entre M’bochi-lari était considérée comme « contre nature » (97).

Au centre de cette problématique se définit un sentiment de répulsion, un sentiment de rejet de l’autre, sentiment fondé sur la différenciation tribale. Cette problématique est en partie à l’origine de toutes les turpitudes que connaît la société congolaise en érigeant de manière « plus ou moins » institutionnelle l’opposition nord / sud et <<au fil des régimes et des républiques, le tribalisme né de cette opposition devint un argument politique, pour lequel la population fut, à maintes reprises, appelée à lutter>>(98).

Depuis 1961, les politiques n’ont cessé d’utiliser cette fibre ethnique qui dresse les communautés les unes contre les autres pour pérenniser leur pouvoir. Le conflit de 1959 et avec lui l’opposition nord / sud a eu un effet considérable dans l’occupation spatiale de brazzaville. Au sortir de 1959, les clivages entre nordistes et sudistes ont entraîné les populations à s’implanter à Brazzaville sur des bases ethniques et régionales. Ainsi a-t-on observé <<à Brazzaville, une géographie très contrastée des ethnies et des origines régionales, la distribution de la population favorise la répercussion de ces clivages électoraux entre quartiers>>(99).

En conséquence, Brazzaville s’est progressivement organisée en groupes ethnorégionaux exprimant par-là le clivage des événements de 1959. Ainsi par exemple que, se trouvent regroupés au Nord de Brazzaville les ressortissants du nord (M’bochi, téké, Bangangoulou…) dans les quartiers Talangaï, Ouenze, Mikalou et, la partie Sud est essentiellement occupée par les ressortissants du Pool

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- Ceci est d’autant plus vraisemblable que l’accord signé entre le M.C.D.D.I et le P.C.T a été qualifié d’un accord contre nature et effectivement la réalité a pris le dessus car l’accord n’a pu résister aux pressions.

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- Gaspard N’safou, Op cit P 54.

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comme le constatait si bien que Dorier Aprill, <<Bakongo et Makélékélé, à forte identité ethnique sont peuplés à plus de 95 % de Laris c’est à dire les Kongo originaires du Pool>>(100).

Cette configuration géographique qui n’est pas sans impact sur les populations de l’une et de l’autre communauté, s’est cristallisée en conflit sanglant près de 34 ans après les événements de 1959. le conflit cette fois, opposait non pas le Nord et le Sud mais plutôt les sous-ensembles d’un même groupe ethnique.

Ainsi nous allons à la faveur du déclenchement du processus démocratique, analyser les crises politico-ethniques qui ont jalonné la période post-conférence nationale.

2 – LES CRISES POLITICO-ETHNIQUES DU CONGO POST-CONFERENCE

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