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B - LA THEORISATION DE LA SUPREMATIE ETHNIQUE SOUS ALPHONSE MASSAMBA DEBAT (1963-1968)

LA MANIPULATION POLITIQUE DU CONCEPT D’ETHNIE

B - LA THEORISATION DE LA SUPREMATIE ETHNIQUE SOUS ALPHONSE MASSAMBA DEBAT (1963-1968)

Dire avec certitude que le président Massamba-Débat a dirigé sous un système démocratique, serait fausser les données de l’analyse. Sa présence sur ce paragraphe nous permet juste de le différencier des chefs d’Etats militaires et marxistes léninistes qui ont dirigé le pays au plus profond du monopartisme. Quoiqu’il faille convenir que le régime de Massamba Débat est à mi-chemin entre le pluralisme politique et le monopartisme.

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- Pour une étude plus approfondie sur le règne de Fulbert Youlou et son accession au pouvoir, Lire J.M WAGRET <l’ascension politique de l’U.D.D.I.A et sa prise de pouvoir 1956-1959 », PP 334-344, Revue juridique et politique d’outre-mer N° 2 , 1963

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- Déclaration radiodiffusée du président Youlou le 14.08.1963. Traduction tirée du journal Mweti du 2.08.1978. Ce discours d’un président de la République montre combien l’ethnie est ici le rempart et le recours du politique dans la conservation de son pouvoir. Ce type de discours à connotation tribale est dangereux en ce qu’il peut dans certaines circonstances inciter une tribu au soulèvement contre une autre.

Alphonse Massamba Débat accède au pouvoir à la suite du mouvement des 13/14/15 août 1963 qui entraîne la démission forcée du président Youlou. Devant cet enthousiasme général né de la chute du président, une réelle unité de la société se précise et le nouveau pouvoir incarne cet acquis.

Mais très tôt, les conflits idéologiques traversent les sommets de l’Etat et le nouveau gestionnaire du pouvoir introduit le référentiel ethnique dans le débat politique pour préserver son pouvoir. Face à ses opposants politiques, Massamba Débat s’entoure de ses proches pour pouvoir affronter ses adversaires. Ainsi, comme le souligne Joseph Mampouya, sous le nouveau pouvoir <<un tribalisme de sécurité individuelle naît, qui à son tour engendre l’insécurité du peuple. Massamba Débat devient désormais un adroit fervent défenseur de l’idéologie tribaliste en justifiant toute forme d’inégalité entre les individus dans une société par des considérations indépendantes de la volonté humaine, par l’au-delà>>(76)

Dans son ouvrage « Les fruits de la passion partagée », Pascal Lissouba écrivait que c’est sous le règne de Massamba Débat que <<le phénomène ethnique commençait à prendre corps dans la vie politique>>77

En conséquence, Massamba Débat organise son offensive politique de façon tribale et tente de donner une justification scientifique à son action. Dans son fascicule intitulé, « Pour une réussite de notre combat », il appuie sa conception tribaliste du pouvoir sur trois facteurs fondamentaux : le facteur biologique, le facteur colonial et le facteur démographique.

Dans une optique biologique, Alphonse Massamba Débat considère que la suprématie

d’une tribu est aussi tributaire des considérations extérieures à leur volonté. Ainsi écrit-il <<à moins d’être bête pour ne pas le voir. De même que tous les hommes n’ont pas les mêmes facultés d’entendement et de réceptivité, de même que toutes les tribus mises dans les mêmes conditions ne fourniront pas forcément toutes les mêmes résultats. Il y a, comme pour chaque homme, des qualités spécifiques propres à chaque groupe homogène d’individus, à chaque tribu, à chaque race, qui font que, même en partant d’un même point et dans des conditions identiques, le degré d’évolution peut fatalement varier et accuser même des différences incroyables entre groupes, entre tribus ou entre races : l’exemple familier peut être trouvé valablement sur les résultats finaux des élèves qu’on inscrit le même jour, dans une même école, dans une même classe et enseignés par un même maître. Au bout du chemin, les uns seront parmi les premiers, les autres parmi les derniers. Regardez aussi vos propres enfants si vous en avez, nés de vous et de la même femme, ils ne seront pas forcément égaux sous tous les rapports, même s’ils sont jumeaux (…) On voit donc, pour me résumer, que les inégalités sociales que nous constatons aujourd’hui avec tant d’étonnement, d’énervement et même de jalousie au stade de notre évolution, sont dues à plusieurs facteurs presque tous indépendants de la volonté de quelques

76

- Joseph mampouya , op cit PP 100-101.

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Lissouba Pascal « Les fruits de la Passion partagée » P 108, Ed. Odilon Média 1996.

Il faut toufois ajouter que Pascal Lissouba était le ministre de l’agriculture et premier ministre du président Massamba Débat en 1965

citoyens, fussent-ils de la société congolaise actuelle. Ces inégalités ont surgi ça et là en jouant soit sur le rapport du nombre, soit sur celui des conditions favorables de départ, données aux uns et refusées aux autres par la nature ou par le colonisateur, soit sur celui des dispositions mentales ou psychologiques des individus concernées>>(78).

En conséquence poursuit l’auteur <<il ne faut pas s’étonner que dans la société, il y ait des hommes qui soient plus aptes aux travaux manuels, d’autres aux travaux intellectuels, d’autres aux deux à la fois. Cela ne dépendant parfois ni de la volonté de ces hommes, ni des combinaisons politiques, mais de la nature qui leur distribue des talents et des qualités selon sa discrétion>>(79)

Cette phraséologie dosée d’une réelle subtilité qui rappelle les apologistes de la théorie des inégalités des races, a déterminé l’orientation de la politique de Massamba Débat pendant tout son règne. Les miasmes d’une telle idéologie ont perverti tout le pays comme le soulignait si bien Pascal Lissouba en ces termes <<à des considérations sur la nécessité de redonner un second souffle à la révolution, viennent s’ajouter des considérations ethniques>>(80)

Sur le plan démographique, Massamba débat considère qu’une tribu de quinze mille âmes

ne peut lutter avec une autre qui aligne cinquante mille âmes ou deux cent mille habitants et parfois plus. Militant, t’es tu demandé combien ta tribu contient d’habitants par rapport à celle que tu traites de tribaliste parce que tu rencontres un peu partout ses cadres ?. Ainsi, dans chacune de nos régions, une tribu numériquement plus nombreuse que les autres donnera l’impression d’envahir toute la région. De là l’épithète de tribaliste qui est vite employée. Au niveau de la nation tout entière, le groupe ethnique qui présentera un front plus important, c’est le cas du pool qui est la région la plus peuplée de toutes, sera présenté fatalement, on l’a dit, par les opportunistes comme foyer du tribalisme, d’autant plus aisément que les motifs ne manquent pas pour convaincre les âmes crédules et ignorantes : regardez, on les voit partout, ils sont cadres ….>>(81). Dans la même logique, le président Massamba Débat appuie aussi son argumentation par des considérations coloniales.

Sur le plan colonial, il tente de légitimer son propos en démontrant qu’une tribu ayant très

tôt bénéficier des infrastructures scolaires accuse naturellement une certaine longueur d’avance par rapport aux autres que le colonisateur a reléguées au second plan <<l’école régionale de Boko qui présentait déjà au certificat d’études depuis 1930, a permis aux originaires de cette région d’accéder à l’instruction avant leurs frères de Zanaga par exemple dont l’école est de création récente (…). Le plus navrant c’est que le Congolais ne mettra jamais ce retard sur le compte du colonisateur mais sur celui de son frère dont la situation est relativement enviable et pourtant indépendante de sa volonté>>(82).

A travers cette subtilité de raisonnement, le président Alphonse Massamba Débat légitime la supériorité d’une tribu –les Laris- sur les autres composantes de la population avec pour conséquence

78

- Alphonse Massamba Débat, Op cit P 21.

79

- Alphonse Massamba Débat, Op cit P 21

80

- Pascal Lissouba, Op cit P 101

81

- Alphone Massamba Débat, Op cit P 41.

82

l’exclusion des autres tribus et le crime organisé contre les dissidents et les agitateurs politiques. En fin de compte, les grands slogans d’unité nationale et de Nation unie ne deviennent à la fin qu’un paravent qui cache mal un régime foncièrement tribaliste. Cette logique sera reprise près d’un quart de siècle après par les nouveaux dirigeants de la période post-conférence nationale à partir de 1990.

C – LA GESTION DE LA QUESTION ETHNIQUE SOUS LA NOUVELLE DONNE

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