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LE CONTOURNEMENT IDEOLOGIQUE DE LA REALITE ETHNIQUE La destitution du président Massamba Débat en juillet 1968 marque une étape importante dans

la vie politique nationale. La chute du chef de l’Etat ouvre la valse des militaires et l’introduction de la doctrine du socialisme au Congo qui devient une République populaire. Le nouveau parti politique –le P. C. T- qui naît de cette euphorie opte officiellement pour le marxisme léninisme comme principe et base de son action. Au cours de cette période, tous les officiers qui se sont succédé au sommet de l’Etat ont abordé différemment les questions ethniques. Nous allons tour à tour aborder la question sou Marien Ngouabi, Yhombi Opango et Sassou Nguesso.

A - LE PRESIDENT MARIEN ET LA QUESTION ETHNIQUE (1968-1977)

Né le 31 décembre 1938 à Ombélé, modeste village du district d’Owando, dans la région de la Cuvette, le commandant Marien Ngouabi accède au pouvoir à la suite d’un coup de force perpétré le 31 juillet 1968, coup de force que le régime a qualifié de « mouvement insurrectionnel pour réajuster la révolution ». Pour le président Marien N’gouabi, <<contrairement à ce qu’on a pu penser de ce mouvement en dehors du Congo, ce ne fut pas un coup d’Etat mais une insurrection des forces

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révolutionnaires au sein de l’armée, de la jeunesse, des syndicats et de la population, en vue de sauvegarder la révolution>>(87)

La chute de Massamba Débat et l ‘accession de Marien Ngouabi marquent le début et la quasi-institutionnalisation du phénomène d’épuration ethnique. En effet, sous le règne de Marien Ngouabi, une véritable rafle s’opère contre les proches du président déchu et avec lui tous les ressortissants de la région du Pool. Mais en dépit de l’ampleur considérable que prend ce phénomène, il faut reconnaître que Marien Ngouabi a été l’un des rares chefs d’Etat congolais à pouvoir dénoncer publiquement les effets néfastes qu’engendrait ce phénomène dans toutes les sphères de la vie nationale d’une part, et à avoir proposé des pistes de réflexion pour contenir ce fléau d’autre part.

*-LE FAIT TRIBAL DANS LE DISCOURS DU PRESIDENT MARIEN NGOUABI

De tous les militaires qui ont accédé au pouvoir entre 1968 et 1992, le président Marien Ngouabi est le seul chef d’Etat qui ait largement dénoncé le tribalisme –sous toutes les formes- qui minait la société dans ses différentes interventions.

Déjà en 1973, lors d’une adresse aux délégués des fédérations et des dirigeants de la Confédération Syndicale Congolaise, le chef de l’Etat stigmatisait la gangrène tribale dans laquelle se trouvait la société en ces termes <<j’estime justement que les intellectuels et la bourgeoisie bureaucratique qui ambitionnent le pouvoir pour le pouvoir ne doivent plus être autorisés à brandir le spectre du tribalisme et du régionalisme contre le pouvoir révolutionnaire établi. Ce qu’ils recherchent, c’est d’amener vers eux, des voix, des supporters, une clientèle disons électorale. Finalement, ce sont eux qui pratiquent le tribalisme et le régionalisme et qui l’entretiennent dans les services, dans les usines, dans les entreprises>>(88).

Progressivement le phénomène prenait des dimensions considérables. Au lendemain de l’accession de Marien Ngouabi, le phénomène était d’autant plus préoccupant que le chef de l’Etat reconnaît que <<le tribalisme ou le régionalisme, il faut l’avouer, se pratique à tous les niveaux, depuis le bureau politique et le gouvernement, jusqu’aux directeurs centraux et chefs de service. Aussi lorsque le président s’engage à dénoncer et à combattre cette pratique honteuse, on crie, on s’agite contre lui>>. Le tribalisme s’imposait dans tous les secteurs de la vie jusqu’aux écoles, dans les hôpitaux. Un tribalisme qui se manifestait en faveur des détenteurs et proches du pouvoir au grand dam de la communauté nationale.

Ainsi en se dédouanant devant une telle situation qui visiblement le dépassait et qui compromettait largement la cohésion nationale, le président se justifiait-il dans l’une de ses interventions <<beaucoup d’entre vous prétendent que le pouvoir est tribal. A ce que je sache, les ordres de recrutement sur les bases tribales ne proviennent pas de la présidence !>>.

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- Marien Ngouabi, op cit P 54

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Tout le problème, poursuit-il <<se situe donc au niveau du travail. Parce que le travail, on ne le donne qu’à l’homme de sa tribu, ayons le courage de reconnaître nos faiblesses et de les combattre>>. Ces confessions publiques d’un chef d’Etat montraient l’étendue des méandres dans lesquelles s’enfonçait de manière inquiétante la société. Aussi face à ce fléau du tribalisme, du régionalisme ou du sentimentalisme, le président proposa-il des pistes de réflexion pour que l’unité nationale suscitée par l’institution du parti unique soit une réalité.

*-MARIEN NGOUABI ET LES APPROCHES DE SOLUTION

Au regard de cette société qui s’empêtrait dans la déchirure, le chef de l’Etat dans une envolée oratoire s’interrogeait déjà sur les pistes de réflexion pour résoudre cette question nationale. Ainsi s’écrit-il que <<dans le souci de rechercher les solutions les plus efficaces pour combattre le tribalisme et le régionalisme, nous devons procéder à leur analyse concrète, rechercher leur origine, découvrir leurs mécanismes>>.

Le développement de la conscience nationale nécessaire pour favoriser l’unité nationale ne peut se faire par la force <<la solution, camarades, n’est pas militaire, elle est politique>> préconise le chef de l’Etat, encore moins elle ne saurait se faire par la formation des gouvernements qu’il est désormais convenu d’appeler d’union nationale <<J’ai dit que le tribalisme et le régionalisme devaient être combattus. Mais comment ? s’il était admis comme solution à ce problème la constitution d’un gouvernement d’unité tribale, je pense honnêtement qu’il serait difficile de constituer un gouvernement de 52 ministres sinon plus. Et s’il devait être inter – régional, l’on ne saurait former valablement un gouvernement de 9 ministres comme il serait difficile de nommer autant d’ambassadeurs ou de directeurs centraux qu’il y a de tribus ou de régions au Congo (….). Pourrait-on imaginer un Etat dirigé par autant de présidents qu’il y a de tribus ou de régions ? >>.

En tout état de cause, la construction de la nation congolaise et non du Congo des tribus souligne-t-il passera par le développement de la conscience nationale, l’éducation des peuples, par l’information des citoyens <<l’unité nationale ne peut être construite que par la persuasion, la discussion, l’éducation politique intense et le développement de la conscience nationale>>

Conscient du fait que l’appartenance ethnique est une réalité vivante et objective de chaque individu, le président s’interroge <<l’homme peut-il nier qu’il est kouyou, Lari, M’bochi, Bembé, vili ou Bacongo ?>>. De ce fait, il fait de l’éducation des populations son cheval de bataille dans la consolidation de l’unité nationale. A ce propos, il écrit <<je souligne que l’unité nationale ne sera pas édifiée avec des baïonnettes, mais plutôt par des contacts, des séances d’information, des séances de travail où la franchise et l’honnêteté devront guider tous ceux qui participeront aux différents débats où seront traités tous les problèmes de la nation>>.

L’urgence de la situation est telle que la nécessité de la construction de la nation congolaise et non du Congo des tribus, s’impose. Ainsi, <<A tous les niveaux de notre appareil de propagande révolutionnaire, les paysans, les ouvriers, les travailleurs doivent être présents. Les responsables de la

presse, de la propagande veilleront à faire connaître au peuple, aux responsables en particulier afin qu’ils prennent conscience de leurs erreurs, leur devoir, de leurs obligations, face aux problèmes intéressant la révolution, les conditions sociales et économiques des paysans (…). Tous ces problèmes devraient être traités dans les langues qui sont de véritables moyens de communication des masses, des facteurs solides d’unification des masses. J’ai cité le lingala et le Munukutuba. La radio, la télévision en se mettant au service des masses, devront adopter les langues des masses par lesquelles celles ci demandent à être informées et éduquées>>(89).

En définitive, malgré son activisme en faveur des grands préceptes sur l’unité nationale, il faut reconnaître que la théorisation développée par le président Marien N’gouabi, n’avait jamais été suivie d’actes. Le tribalisme s’est progressivement installé dans le tissu social et, a retardé les grandes tâches de la reconstruction et de la cohésion nationale. Quoiqu’il en soit, il faut lui reconnaître le mérite d’être jusqu’à son assassinat, le 18 mars 1977, l’un des rares chefs d’Etat à avoir dénoncé et fustigé publiquement ses collaborateurs du fait de leur agissement politico-tribal.

B – LA LECTURE TRIBALE SOUS YHOMBI OPANGO (1977-1979).

Le général Joachim Yhombi Opango encore appelé par la propagande du parti « digne continuateur de l’œuvre de l’immortel Marien Ngouabi », accède au pouvoir juste après la mort de celui-ci. Par décision N° 005 du 19 mars 1977, le P.C.T, parti unique, crée un Comité Militaire du Parti (C.M.P) avec mission d’organiser les obsèques du président de la République et d’assurer la continuité de l’Etat.

En sa qualité de président de ce comité, le général J. Y. Opango devient le président de la République. Dès son accession au pouvoir, le nouveau chef de l’Etat se distingue plus par une véritable militarisation de la vie nationale et l’austérité économique que par les questions ethniques – de plus en plus accrues depuis la mort du président- qui minent le tissu social.

Contrairement à son prédécesseur, le général Yhombi fait table rase des questions communautaires pour se contenter de la gestion du pays. L’écart entre l’objectif de l’unité nationale que le parti unique était censé traduire et la réalité des faits se faisait de plus en plus grandissant. Au lendemain de la mort du président Marien Ngouabi, les dissensions Nord / Sud s’exprimaient désormais de manière plus ou moins ouverte. A l’intérieur du parti, la cohésion se disloquait entre les partisans de Yhombi, les Kouyou et le groupe M’bochi dirigé par le colonel Dénis Sassou N’guesso.

Le cauchemar que le régime du C.M.P fait endurer au peuple n’est pas suivi d’un « mieux-être social » des populations. Cette situation accentue le malaise au sein des populations d’une manière générale et entretient les solidarités tribales entre groupes. Aussi ces contradictions entre clans au sein du pouvoir ajoutés au malaise généralisé du peuple entraînent la destitution du général Joachim

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- Le président Marien Ngouabi a exposé toute sa vision de la question ethnique dans ces différentes interventions réunies sous forme d’ouvrage. Ouvrage Op cit.

Yhombi Opango. Le 5 février 1979, Sassou Nguesso accède à la tête de l’Etat avec une autre approche des questions ethniques.

C – LA RELANCE EN DOUCE DU FAIT ETHNIQUE SOUS SASSOU N’GUESSO

Tout comme son prédécesseur, la question ethnique n’est pas une préoccupation sous la présidence Denis Sassou Nguesso. Ce dernier arrive au pouvoir à la suite des travaux du 3e congrès extraordinaire du P.C.T qui décide d’écarter le président du C.M.P de la direction du parti et de l’Etat. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau régime accorde une priorité au redressement économique du pays. C’est ainsi qu’au début des années 1980 à la faveur des retombées du Boom pétrolier, l’Etat assure la « quotidienneté » des populations. Fort de ses atouts, le président appuyé par sa propagande, s’autoproclame « l’homme des masses, l’homme des actions concrètes ».

Derrière cette image de rassembleur, le nouveau régime se trouve confronté au conflit qui oppose désormais les Kouyou et les M’bochi90. Depuis l’assassinat du président Ngouabi et l’arrestation du président Yhombi, un véritable contentieux oppose les deux ethnies. Aussi le président Sassou malgré son image d’homme de masse que la propagande monopartiste lui attribuait, s’est-il attelé à réprimer les Kouyou, partisans de Yhombi. C’est dans ce même ordre d’idées qu’on peut expliquer l’expédition punitive du pouvoir dans la forêt d’Inongo, dans la Cuvette congolaise, expédition qui a entraîné la mort du capitaine Pierre Anga ainsi que de plusieurs membres de sa famille. Cette expédition a été suivie par une véritable chasse à l’homme entre les deux entités ethniques en conflit.

A la lumière de cette réalité, le président Sassou Nguesso organise son pouvoir autour d’un noyau restreint des gens politiquement et ethniquement proches. Devant l’opinion publique, le régime s’apparente au règne du Nord contre le Sud.

C’est précisément au lendemain des présidentielles de 1992 que le président Sassou commence à émettre son avis sur la réalité ethnique congolaise. Dans un article intitulé « Il faut sauver le Congo », le président Sassou s’insurge contre les pratiques tribalistes de son successeur. Il écrit ainsi <<Malheureusement, ceux à qui est échue la charge de gouverner n’en ont plus rien voulu savoir. Dès leur investiture, ils se sont mis à faire exactement l’inverse de ce que prescrivent les lois et de ce qu’ils avaient clamé sur tous les toits.

Le multipartisme voulu par tous a été travesti en un multitribalisme destructeur de la solidarité des communautés et fossoyeur de l’unité de la nation. Le pays entier a cédé son âme à la déchirure. L’immense espoir suscité par la conférence nationale de 1991 a fait place à un incommensurable désespoir>>(91).

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- Les m’bochi et les kouyou sont deux sous ethnies du groupe ethnique M’bochi. Le président Marien N’gouabi mort le 18/03/1977 était de l’ethnie Kouyou ainsi que son successeur le président Yhombi emprisonné sans jugement pendant treize ans par Sssou Nguesso qui lui, est d’ethnie M’bochi.

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Plus tard, dans son discours d’ouverture des travaux du forum national pour la réconciliation, le président Sassou Nguesso justifiait les événements de 1997 en ces termes <<…le drame humain que vient de vivre notre pays prouve à suffisance que le culte de l’ethnicité et de la parenté biologique, les velléités d’hégémonie ethno-régionales et le rejet de la différence constituent le pire choix politique..>> et faisant allusion à son prédécesseur, il concluait que la chute par les armes du président élu –autrement dit l’interruption du processus démocratique- est <<la victoire de tous les Congolais épris de paix et de justice, et non d’une partie de la population sur une autre, comme ont voulu l’insinuer les tenants de la théorie surannée de la « tribu-classe »>>(92).

En signant en 1992, une alliance de gouvernement avec Bernard Kolelas, le leader du M.C.D.D.I, le mouvement politique qui incarne le Pool traditionnellement et politiquement opposé à la Cuvette, le président Sassou Nguesso marquait au-delà des clivages ethniques, sa volonté de construire dans la paix l’unité nationale en se hissant au-dessus des tribus et ce dans l’esprit de la conférence nationale. En réalité, le régime Sassou s’est inscrit dans la ligne définie par ses prédécesseurs. La question ethnique loin de faire l’objet d’une certaine attention, a au contraire été amplifiée et entretenue au point où la démocratisation qui n’était en fait que le « déliement des langues », a été le terrain propice de l’expression des velléités ethnorégionales. De 1959 à 1990, le tribalisme n’a pratiquement pas fait l’objet d’une préoccupation nationale.

A tout bien prendre, il convient de préciser que la réalité ethnique telle qu’elle a été envisagée dans ce chapitre est effectivement une donnée de l’environnement social congolais.

Si les données historiques ne nous permettent pas de décrire avec précision les grandes oppositions qui ont jalonné la vie des populations du Congo pré-colonial, il reste que la période coloniale a eu un impact considérable dans la stimulation et la gestion des différenciations communautaires.

La colonisation a organisé et suscité des antagonismes entre les différentes ethnies pour assurer son implantation. Le départ du colonisateur a laissé un vide politique que les autorités locales devaient combler. Ainsi la perspective de cette conquête du pouvoir va-t-elle entraîner de la part des nouveaux gestionnaires de l’Etat post-colonial, l’utilisation de la fibre ethnique pour accéder au pouvoir. L’utilisation de cette fibre a enfoncé le Congo dans un cycle de violences que nous allons étudier dans les pages qui vont suivre.

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- Allocution du président de la République au forum national pour la réconciliation tenu du 5 au 15 janvier 1998 à Brazzaville.

CHAPITRE III

LES MANIFESTATIONS DE L’ETHNICISME DANS LA

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