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I.LA QUESTION DU QUATRIÈME GENRE

L'étude des théorisations de l'essai comme genre littéraire doit rendre compte d'une proposition régulièrement débattue depuis 1958 : celle d'un quatrième genre qui pourrait donner sa place à l'essai littéraire dans une théorie générale des genres. L'essai littéraire n'est sans doute pas le seul genre qui pose des problèmes quand on se réfère à la triade canonique de l'épique, du lyrique ou du dramatique : où faut-il classer le feuilleton, le dialogue philosophique ou le journal intime, par exemple ? En revanche, par rapport aux types de textes précédents, l'essai présente peut-être la particularité d'avoir un nom générique polyvalent, dans le sens où l'a observé Jean-Marie Schaeffer : selon l'angle d'observation, il désigne un type de texte particulier ou une modalité générale de création littéraire. C'est sans doute la raison pour laquelle le terme d'"essayisme" est si fréquemment convoqué : Haas consacre à ces termes une section d'élucidation ("Essayistisch — Essayismus — Essayifizierung586"), tandis que Mac Carthy en intitule symptomatiquement une "Essayism versus the Essay587".

L'essai dans le système des genres

Comparaison concrète et comparaison modale

Mac Carthy remarque que quand il faut distinguer l'essai des autres genres, les chercheurs adoptent tantôt le point de vue du genre concret, les ressemblances ou dissemblances avec d'autres types de textes bien marqués588, c'est-à-dire qu'ils traitent l'essai comme une espèce littéraire particulière (species) ; tantôt le point de vue de la norme idéale, subordonnant à un ensemble de caractères abstraits les réalisations particulières, c'est-à-dire qu'ils traitent l'essai comme une modalité de création (genus). S'il reconnaît la légitimité de

586 HAAS 1969, p.4.

587 MAC CARTHY 1989, p.57.

cette dernière approche (et se propose de la démontrer dans ce chapitre sur "Essay or Essayism ?"), il souligne l'ambiguïté méthodologique que cela implique, de la même façon que Jean-Marie Schaeffer dans ses différentes contributions à la théorie des genres589. Schaeffer parle de cette ambiguïté comme d'un problème terminologique sans grande importance590, alors que Mac Carthy y voit la raison d'un grand nombre d'impasses de la théorie de l'essai. Par exemple, il estime que les incertitudes sur le corpus même des essais littéraires découlent de cette confusion entre genus et species : pour beaucoup, un "mauvais essai" n'est pas envisageable, et dans ce cas il faut éliminer le texte considéré du corpus des "véritables essais". On a vu comment Bruno Berger applique ce principe591. Pour Mac Carthy, il n'y a pas de raison de faire de l'essai une forme différente des autres : un mauvais roman ou une mauvaise pièce de théâtre n'en sont pas moins des espèces dans les catégories de l'épique et du dramatique. Sauf à continuer de confondre le texte particulier (essai) avec la norme idéale abstraite que construit le théoricien des genres (essayisme), il est clair que la réflexion doit envisager de subsumer la diversité infinie des espèces comme l'essai, la lettre, le dialogue, etc, sous le concept d'essayisme.

"A poorly executed essayistic piece […] may indeed be a bad essay, but if the essential paradigm is intact, it still remains essayistic592."

Le seul objet possible d'une théorie de l'essai comme genre (genus) est donc l'essayisme593. En tant que tel, il serait concevable de le confronter aux autres genus : épique, lyrique, dramatique ; peut-être même, de l'intégrer à l'un de ces trois modes.

Rapports entre le mode essayistique et les modes lyrique, épique et théâtral

Gerhard Haas n'est pas le seul à avoir vu entre l'essai et le roman des affinités qui seraient peut-être des parentés. Son livre de 1966, Studien zur Form des Essays und zu seinen Vorformen im Roman, prend la suite de travaux nombreux sur des auteurs comme

589 Voir par exemple SCHAEFFER 1989, p.64-78. 590 SCHAEFFER 1990, p.14b.

591 Voir le chapitre 2, III de cette Ière partie.

592 "Une pièce essayistique médiocrement exécutée peut assurément être un mauvais essai, mais si le paradigme essentiel est intact, elle n'en reste pas moins essayistique." MAC CARTHY 1989, p.57.

Hermann Broch ou Robert Musil594. Pour Chadbourne, l'investigation des formes de l'essai dans le roman est plutôt une spécialité de la recherche allemande ; mais il cite aussi les travaux de Julián Marías sur Miguel de Unamuno595. Dans le discours des critiques signalant une invasion des autres genres par l'essai, on remarque que l'attention se porte essentiellement sur le roman. Le fait que ces formes soient l'une et l'autre en prose invite sans doute à l'examen de leur possible interpénétration, mais soulève la question du mode épique dans l'essai.

Graham Good consacre aux rapports entre l'essai et le roman l'une des trois sections de son chapitre théorique sur l'essai comme genre. Définir "The Essay as Art" revient selon lui à examiner cette parenté. Il établit un parallèle entre le picaro et l'essayiste, par opposition au héros du roman de quête médiéval (dont le Don Quichotte serait la parodie signant l'extinction). Le héros médiéval est lancé dans le monde, mais sa recherche est clairement déterminée et il est armé de tout un système de valeurs. Lorsqu'il ne possède pas l'une de ces valeurs, la quête passe précisément par un épisode où il l'acquiert ; l'objet de sa recherche y est précisé du même coup. Au contraire, le picaro est lancé nu dans un monde que n'ordonne plus l'ancien système ; sa quête est imprécise, et ses armes sont temporaires. A la bravoure du héros, le picaro oppose la roublardise. Le picaro est futé : il est héroïque parce qu'il s'adapte très rapidement à la circonstance qui se présente ; cette faculté d'adaptation correspond à un amoralisme et à un empirisme qui permettent d'apprendre la nouveauté, de se couler dans un monde devenu instable. Ainsi, le développement narratif du roman picaresque est similaire au développement conceptuel de l'essai ; l'essai est le roman de l'idée, un roman où les personnages sont tenus par des concepts, des sentiments, des impressions596. Ce qu'on peut remarquer dans ce rapprochement, c'est un intérêt affirmé pour l'esprit de l'essai, l'attitude mentale essayiste. En revanche, Good néglige un peu la spécificité du roman, du mode épique : une construction temporelle, d'un déroulement du texte qui vient signifier et construire une

594 Voir l'état de la question dans HAAS 1969, p.70-79, et CHADBOURNE 1983, p.141-142.

595 CHADBOURNE 1983, p.144. L'article cité est Julián Marías, "Ensayo y novela", in Obras, Madrid, 1964, III, p.242-247.

596 GOOD 1988, p.9. La démonstration s'appuie sur les théories de Ian Watt, The Rise of the Novel, London : Chatto & Windus, 1957, 319 p.

succession de moments narratifs. Il est difficile d'y faire coïncider le déroulement de l'essai ; s'il y a construction linéaire, ce n'est pas d'une continuité temporelle. Commentant l'ouvrage de Gerhard Haas de 1966, Häny rappelait déjà vigoureusement que l'abolition des frontières entre le roman et l'essai lui paraissait relever du fantasme d'essayiste. Dans un roman, écrivait-il, le lecteur cherchera toujours une histoire, ou bien le livre finira par lui tomber des mains ; il est irréaliste (inadéquat aux pratiques des lecteurs) de vouloir confondre le mode épique fondamental du roman et le mode discursif de l'essai. L'essai n'est pas écrit dans le but de raconter des histoires, et il faudrait qu'on le laisse à sa place : il n'en serait que plus apprécié597.

Mais les théoriciens de l'essai ont rarement suivi ce conseil598 : s'ils ne suivent pas souvent le point de vue de Good, qui établit une sorte d'homologie entre les modes épique et "essayistique", ils décèlent plus fréquemment une composante épique dans l'essai (le "négatif", en quelque sorte, du constat d'invasion du roman par l'essai).

Pour Bruno Berger, le dossier épique semble vite clos :

"Durchaus beiseite gelassen werden können selbstverständlich alle erzählenden offenen Formen […] wie auch immer genannten erzählenden Prosawerk599."

C'est pourtant à la catégorie de l'épique qu'il se réfère quand il doit développer sa typologie de l'essai :

"Dabei soll von der Überlegung ausgegangen werden, daß die darstellende (deskriptive) wie die berichtende (referierende) Aussageweise eine temperament- wie charaktermäßig typische Geisteshaltung ist : ihre Herkunft ist die Epik in ihrer weitesten Form600."

La confusion du genre et de l'espèce est sans doute lisible dans cette contradiction. On en retient une démonstration qui nous convainc qu'entre dans l'essai une composante épique indiscutable.

597 HÄNY 1968, p.399.

598 Les écrivains non plus, semble-t-il ; une œuvre comme celle de Milan Kundera, par exemple, témoigne au contraire de la place de plus en plus importante prise par les morceaux "essayistiques" dans les romans. 599 "On peut tout de suite laisser de côté, évidemment, toutes les formes ouvertes narratives, de même que les œuvres en prose désignées depuis toujours sous l'étiquette «narration»." BERGER 1964, p.31.

600 "A ce propos, la réflexion doit partir de l'idée que le mode représentatif (descriptif), tout comme le mode narratif (expositif) est une attitude mentale typique, dans son tempérament comme dans ses caractères : son origine est l'Epique dans sa forme la plus étendue." ibid., p.102.

C'est précisément l'opinion défendue par Douglas Hesse depuis 1986, mais en s'écartant nettement du modèle des "composants601". Il explique que le mode épique est indispensable pour comprendre l'essai, et qu'on doit conceptualiser l'élément narratif de façon plus complexe que celle consistant à dire que les récits des essais ne servent qu'à illustrer des développements argumentatifs602. Les modalités d'insertion du mode épique dans l'essai le conduisent à différencier les essais contenant un élément narratif, les essais contenant un récit, et les essais qui se présentent comme des histoires. Cela peut donner l'impression que le mode essayistique serait finalement une sous-classe du mode épique ; mais Hesse pense au contraire que c'est la modalité épique elle-même qui change de caractère en étant intégrée à l'essai. Il conclut donc qu'entre les récits à la première personne et les "essais narratifs" on ne peut pas faire de délimitation ferme, mais qu'il existe une zone frontière (boundary zone). De la même façon que Mac Carthy dans son livre, il privilégie le pôle du récepteur. Il considère que le problème est de décider comment on doit lire ces œuvres-frontière, plus que de déterminer leur sens intrinsèque.

Globalement, un certain nombre de critiques signalent le chevauchement des modes épique et "essayistique603" : l'essai serait le roman des idées, ou le récit d'un raisonnement, avec des tournants argumentatifs présentés comme des péripéties et un narrateur impliqué dans son aventure qui serait l'essayiste lui-même604. La solution la plus simple serait alors peut-être de dire que l'essai est une espèce du mode épique ; mais d'autres phénomènes à l'œuvre dans l'essai rendent cette assimilation impossible. Le plus évident est son aspect non-fictionnel, qui donne aux comparaisons avec l'épique évoquées plus haut le caractère de métaphores aux ambitions théoriques insuffisantes.

601 HESSE 1987. Voir aussi, du même auteur, "Stories in Essays, Essays as Stories", in ANDERSON 1989 ; "A Boundary Zone : Firt Person Short Stories and Narrative Essays", in LOHAFER Susan, CLAREY Jo Ellyn(ed), Short Story Theory at a Crossroads, Bâton Rouge : Louisiana State University Press, 1989 ; "Essay Form and Auskomponierung", in BUTRYM Alexander J. (ed), Essays on the Essay : Redefining the Genre, Athens : University of Georgia Press, 1989

602 Ce point de vue "simpliste" (selon Hesse) est lisible par exemple dans VAN TIEGHEM 1968.

603 Voir par exemple Zsuzsa Széll, "Essay und/oder/als Epik", in SCHÖNE A. et alii(ed), Kontroversen, alte und neue, X : Vierdeutsche Literaturen ? Literatur seit 1945 — nur die alten Modelle ? Medium Film — das Ende des Literatur, Tübingen : Niemeyer, 1986, p.167-170.

Genette rappelle dans Fiction et diction que la fictionnalité de l'énoncé est le critère essentiel d'identification de la littérature depuis Aristote605. Pour Genette, on peut sans doute voir dans toutes les théories des genres un effort pour conceptualiser le mode lyrique dans des termes qui l'intègrent au système de la fiction ; ainsi, par exemple, du Ich-Origo "fictif" de Käte Hamburger. Ce concept permet à cette dernière de considérer le poème lyrique comme relevant d'un mode qui n'est pas fondamentalement hétérogène à la fiction, dans le sens où l'énonciateur est indéterminé : ni entièrement assimilable à une personne réelle, ni commandé par une situation spatio-temporelle qui est celle du texte. Pour Genette, la théorie cherche ici à intégrer le phénomène lyrique à la fiction, en lui attribuant une qualité qui n'est qu'une forme atténuée de fictivité606. Cette argumentation concerne de près la thèse d'Eleanor Risteen Gordon sur le genre de l'essai607. Selon cette thèse, l'essai participe de ce phénomène de fictionnalisation de l'énonciateur ("fictional I"). On pourrait alors l'intégrer au mode lyrique. Pourtant, ici encore un "effet surnuméraire" (Bensmaïa) rend l'assimilation impossible : il s'agit de la tension entre la fictionnalisation de soi (comprise comme l'inscription de soi dans le texte) et l'objectivation du monde (thématique de l'essai).

Genette invite ainsi à prendre conscience d'une certaine ambiguïté dans les théories littéraires. La fiction, au sens strict, est un critère thématique qui peut servir à fixer le caractère littéraire d'un texte (perspective aritotélicienne). Mais l'existence de textes non-fictionnels et cependant manifestement "littéraires" conduit certains théoriciens à considérer comme "fiction" le langage qui les compose ; en fait, ils confondent alors le critère thématique avec le critère plus formel que Jakobson a appelé la fonction poétique du langage (Genette propose de l'appeler "rhématique608"). On trouve en effet dans un certain nombre de théories l'idée que le langage de l'essai tient de la "fiction" (les guillemets

605 GENETTE 1991, p.15-17. 606 ibid., p.22.

607 GORDON 1988. 608 GENETTE 1991, p.33.

signalant cet emploi étendu609). Tout se passe alors comme si le fait de style ("l'opacité du langage") renvoyait le texte à la "fiction" donc à la littérature ; mais si la littérarité de l'essai y trouve sa caution, sa valeur de discours non-fictionnel devient alors un vrai problème, et toute la théorie revient alors à démontrer que la littérature peut parler du réel610. Il s'agit bien, selon nous, d'impasse : en voulant reconnaître l'aspect "poétique" de l'essai, mais en ne se dégageant pas d'un présupposé aristotélicien qui associe littérature et fiction, on se condamne à une opposition rigide entre littérature et discours du réel (scientifique, philosophique, journalistique). L'essai n'y trouve évidemment pas sa place, et entraîne le théoricien à composer une image de "mosaïque" ou de "nomade".

En pointant le "mode lyrique" présent dans l'essai, Jean Marcel Paquette se distingue des analyses qui y repèrent la fonction poétique du langage. A la suite de Lukács611, Paquette s'intéresse à ce "discours de nature lyrique612" en termes de "rapport lyrique de l'homme avec l'univers613" et non plus en termes linguistiques comme Jakobson. Sa théorie étudie un mode d'être, une modalité fondamentale de l'existence. Il se préoccupe moins d'intégrer l'essai au système des genres (bien qu'il lui revendique une place aux côtés des "genres majeurs") que d'y examiner la persistance d'un rapport prélogique aux choses, qu'on pourrait aussi qualifier de "mystique614" ou tout simplement de sentimental. Toute la difficulté vient de ce que l'essai, pour reprendre le mot de Musil, serait plutôt "senti-mental615", c'est-à-dire combinerait une modalité "lyrique" de l'existence avec une autre modalité plus "rationnelle".

La fictionnalisation de soi peut être entendue comme mise en scène de soi : l'essai touche alors au mode dramatique. S'il pouvait être comparé à un "roman dont les personnages seraient des idées" pour souligner son exploitation des modalités épiques, dans

609 Voir par exemple RICARD 1977, MAILHOT & MELANÇON 1984, EVERETT 1994, CHADBOURNE 1983, p.138 et 139 (il y fait référence à Northrop Frye, dont L'anatomie de la critique [1957] classe l'essai parmi les formes de la fiction.)

610 C'est l'orientation générale du volume d'Etudes Littéraires (avril 1972) consacré à l'essai. 611 LUKÁCS [1911].

612 PAQUETTE 1986, p.452. 613 PAQUETTE 1972, p.82. 614 LUKÁCS [1911], p.94.

ce cas précis il sera "monologue de théâtre", où, selon des modalités dramatiques, le dévoilement de l'identité de l'énonciateur se lit à la fois dans son rapport à ce qu'il dit et dans son rapport à ceux à qui il le dit616. On n'est pas très loin des concepts utilisés par Mac Carthy, où le lecteur n'est qu'un auditeur d'un type particulier. Mais ce détail peut précisément réserver notre conviction ; depuis les travaux de Pierre Larthomas sur le langage théâtral, on ne peut pas ne pas tenir compte des signifiants très spécifiques que sont les gestes, les regards, les costumes, les décors et la rampe elle-même (parfois réduite à sa plus simple expression de délimitation d'un espace fonctionnel — une ligne tracée à la craie sur le sol) dans l'univers théâtral. On se place donc, ici encore, dans le domaine des abstractions, des normes idéales ou de l'illustration métaphorique lorsqu'on relève des interférences entre les modalités essayistique et dramatique.

La théorie de Scholes et Klaus publiée dans une collection de manuels pour étudiants en 1969 est significative à cet égard. Leur objectif est d'amener les lecteurs à une plus grande attention à l'essai comme forme littéraire spécifique ; mais les outils d'analyse concrets qu'ils proposent, et les conseils de travail rassemblés en fin de volume, consistent à ramener l'essai à des modalités d'écriture épique, dramatique ou lyrique. Trois chapitres sont ainsi consacrés à "l'essai en tant qu'histoire", "l'essai en tant que jeu théâtral", et "l'essai en tant que poème". La lecture consiste alors, par exemple pour les "essais narratifs", à isoler les séquences narratives, considérer leur enchaînement, comprendre le rôle des dialogues et des descriptions, etc. Autrement dit, les outils d'analyse sont strictement ceux du récit617. Dans "l'essai en tant que poème", le lecteur doit s'efforcer de comprendre comment les images poétiques n'entraînent rien d'autre que d'autres images poétiques, et passer du plan de la structure au plan de la texture618. Bref, même s'il est admis qu'il a une valeur spécifique dont il faut essayer de tenir compte dans la lecture, l'ouvrage ramène l'essai à chaque modalité de la triade canonique pour analyser ses effets, sous peine de n'y voir que

616 CHADBOURNE 1983, p.138.

617 SCHOLES & KLAUS 1969, 4ème partie (résumé des conseils donnés dans les sections précédentes, "Essay as Story", "Essay as Play", "Essay as Poem".

"chaotic rambling619". Ce qui paraît significatif de la modalité spécifique de l'essai, c'est la quatrième catégorie à laquelle le manuel consacre un chapitre : "l'essai en tant qu'essai620". Nous sommes bien ici dans le cas de figure où l'analyse repère ce qui, dans l'essai, participe des autres genres, et peut ainsi en éclairer tel ou tel aspect isolé, mais n'arrive pas à saisir ce qui n'appartient qu'à lui, tout en étant consciente de cette spécificité essayistique.

Touchant à tous les modes sans intégrer aucun d'eux, l'essai tient une position inconfortable dans le système canonique des modes : Brouillette le voit comme "un petit dieu obscur, mal défini (demi-dieu peut-être, de naissance douteuse, ayant vu le jour à une époque rationaliste), refoulé à l'arrière-plan du Ciel littéraire, masqué par la Suprême Trinité de la Poésie, du Théâtre et du Roman621." Mais ce "petit bâtard622" produit autre chose qu'un effet de mélange absolu ; pour rendre compte de cet effet surnuméraire, on choisit souvent, comme chez Scholes et Klaus, de constituer un groupe à part, une quatrième classe à côté des classes épique, lyrique et dramatique. A l'intérieur de cette classe "modale", les typologies de l'essai tentent de systématiser les tendances épique, lyrique et dramatique du genre ; mais le quatrième genre permet aussi dans certains cas d'englober toutes sortes