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PREMIÈRES APPROCHES DU GENRE

4. Le cosmopolitisme et l'essai polémique comme forme de contestation

Dans l'histoire de l'essai littéraire, un certain nombre de textes sont valorisés pour leur ambition universalisante à travers les thèmes du voyage, du contact des cultures94. Bruno Berger distingue par exemple une "ligne Forster-Sturz-Humboldt-Fallmerayer95" à laquelle il rattache des textes prenant pour thème l'ethnologie, la description des paysages et des contrées nouvelles dans laquelle l'esprit accède à de nouvelles dimensions

métaphysiques. Berger souligne la biographie exaltante des auteurs concernés, cosmopolites, polyglottes, en déplacement incessant dans le monde96. Fraser signale également comment les écrivains français du XIXème et du XXème siècle rapportent des Etats-Unis des "récits de voyage" qui sont autant de méditations sur l'homme et le monde moderne, et, à ce titre, des essais accomplis97.

Les critiques américains de l'essai analysent d'ailleurs souvent l'écriture de l'essai dans le cadre d'une idéologie où le voyage prend une signification profonde. "Westering" y désigne le mythe de la conquête de l'Ouest, qui est bien plus qu'une prise de possession du territoire ; elle engage l'homme dans l'aventure de son propre dépassement physique et mental, dans la mise à l'épreuve de ses convictions religieuses et de la fermeté de ses systèmes de connaissance. Mais si le mythe de la frontière est fondateur de l'identité

90 Les camps de concentration sont un exemple de cet impensable pour BERGER 1964, p.67. 91 Voir BACHMANN 1969, p.11.

92 HAAS 1969, p.81. 93 BENNETT 1989.

94 DEMOUGIN 1986 invite à relire l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations de Voltaire (1756) dans cet esprit : une visée universalisante, l'idée de la fraternité universelle s'y oppose aux nationalismes bornés. Les erreurs et légèretés méthodologiques peuvent ainsi être reconsidérées dans une perspective essayistique. (article "Essai sur les mœurs et l'esprit des nations")

95 BERGER 1964, p.222. 96 ibid., p.48-63.

américaine, Howarth, Faery et d'autres critiques voient dans l'essai la forme qui,

précisément, en annulant le but du voyage et le sens de la frontière, devient l'entreprise du voyage en tant que tel, du déplacement pour le déplacement dans un monde où la frontière perd son sens. Le voyage n'est plus téléologique, il est l'occasion d'une écriture du réseau (web), du marécage, de la jungle. Pour Howarth, la guerre du Vietnam joue un rôle dans le développement de la forme de l'essai, parce qu'elle symbolise la perte des repères qui organisent le déplacement : repères physiques dans la jungle, mais aussi repères moraux et philosophiques dans une guerre insensée (c'est-à-dire perdue, ou plutôt perdue d'avance)98. Dans ce contexte, l'essai s'éloigne d'un idéal (rattaché à la tradition de Bacon) où il sert à prendre en charge la richesse de l'intuition personnelle pour l'amélioration de la

connaissance, et il revient, en quelque sorte, au scepticisme absolu de Montaigne, à l'instabilité de toutes choses.

Forme ouverte, sans but didactique, et dont l'intérêt épistémologique réside dans la confrontation poétique des positions contradictoires, il est aussi adopté pour décrire les dérives des discours politiques. Haas met en présence les deux points de vue dans ce débat ; d'un côté, l'essai serait une forme adoptée, à la suite de Montaigne, dans le retrait

aristocratique du monde et le désengagement politique (Gottfried Benn, Ernst Jünger) ; de l'autre, l'essai se poserait nécessairement contre les idéologies partiales ou dictatoriales, parce qu'il ouvre les esprits à toutes les manières de voir et de penser. Il n'est pas étonnant, dit-il, que les littératures d'Allemagne entre 1933 et 1945 et de République Démocratique Allemande depuis 1945, ainsi que d'Union Soviétique n'aient compté que des traités et pas d'essais littéraires99. Bien que de nombreux théoriciens mettent l'accent sur la distance critique qu'on observe dans l'essai réussi (Berger), il faut signaler que l'essai a pu être compté parmi les formes d'une contestation particulière, notamment au Québec (Vigneault), mais aussi en Angleterre (Good), en Belgique romane (Voisin), en Espagne, et même aux Etats-Unis (Faery). Cette contestation peut prendre un tour visiblement politique, et

apparenter l'essai au pamphlet ; mais les commentateurs insistent sur la spécificité de l'essai littéraire par rapport à ce dernier. Liberté formelle et liberté de pensée qui le caractérisent s'opposent à l'esprit de système, mais aussi, ici, à son avatar social : le conformisme. L'essai reste cependant à distance de l'événement : il s'agit toujours pour l'essayiste de se

comprendre soi-même à travers le discours impromptu, non-méthodique qu'il tient sur le monde. C'est précisément ce rapport du sujet à l'objet du discours qui met à jour les

conformismes, et les attaque parfois, quand le sujet se perçoit et se conçoit comme opprimé (femmes, gens de couleur, indépendantistes…). Par son tour littéraire, l'essai permet

l'écriture d'une situation conflictuelle dont le centre est une certaine idée que l'auteur a (ou acquiert) de lui-même. Il est moins un programme d'action qu'un dévoilement, prise de conscience de ce qui peut éventuellement mener à l'action (Terrasse). Sa contestation est la mise à plat des discours opprimants, dans le cheminement de l'écriture qui les "essaie" pour mieux en montrer les contradictions ou les injustices, mais surtout l'arbitraire : en ce sens, l'essai polémique est souvent lié à l'ouverture cosmopolite sur le monde. Par exemple, l'essai québécois construit sa contestation des pouvoirs dans les années 1960 sur l'élargissement des consciences au Tiers-Monde, à l'Europe, où le confinement (supposé) de l'idéologie

98 Certains correspondants de guerre américains de cette période sont donnés comme particulièrement représentatifs du "New Journalism", par exemple Michael Herr. Dans son livre Dispatches (traduit en Putain de mort), il écrit : "Un journalisme traditionnel ne pouvait pas montrer cette guerre, de même qu'une puissance de feu traditionnelle ne pouvait pas la gagner." (HERR 1980, p.223-224)

canadienne prend une signification aiguë par la simple comparaison avec les autres cultures du monde.

Sans doute faut-il relier cette composante politique de l'essai polémique aux opinions négatives qu'on a rencontrées sur l'essai critique ; dans la seconde moitié du XXème siècle, la mise à jour des discours opprimants englobe dans la sphère du pouvoir les discours scientifiques et les discours politiques. Si l'essayiste adopte l'errance du discours, il conteste ainsi par principe les discours institués. Haas analyse chez Lessing, Heine, Treitschke la tendance par laquelle l'essai "critique", dans la mesure où il intéresse son lecteur davantage au processus d'appréciation qu'au résultat du jugement, s'apparente à l'essai polémique100.

On voit donc que la production ainsi décrite se caractérise par une grande diversité, voire hétérogénéité101. Certains clichés apparaissent çà et là ; O.B. Hardison résume un propos qu'on rencontre souvent :

"I suppose most modern essays are Baconian and Addisonian, but the Montaignian essay is still impressively alive102."

De son côté, François Bott formule un préjugé courant sur les spécificités respectives de l'essai français et allemand :

"L'essai «à la française» est une de nos fiertés nationales, avec les vins de Médoc, la cathédrale de Reims et les prairies normandes. Montaigne […] s'entraînait en quelque sorte, comme les champions qui multiplient les tours de piste… Les Allemands aiment les grandes compétitions, les 10 000 mètres métaphysiques et les vérités définitives, tandis que les Français préfèrent l'entraînement ou les courses d'essai103."

Peut-être appréciera-t-on davantage cette anecdote qui compare les qualités dites typiquement française, anglaise et allemande face au discours essayistique :

"Un Français, un Anglais, un Allemand, sont chargés d'une étude sur le chameau. Le Français va au Jardin des plantes, interroge le gardien, jette un pain au chameau, le taquine du bout de son parapluie, et, rentré chez lui, écrit pour son journal un feuilleton plein d'aperçus piquants et spirituels. L'Anglais, emportant son panier à thé et un confortable matériel de campement, plante sa tente dans les pays d'Orient, et en rapporte, après un séjour de deux ou trois ans, un gros volume bourré de faits sans ordre ni conclusion, mais d'une réelle valeur documentaire. Quant à l'Allemand, plein de mépris pour la frivolité du Français et l'absence d'idées générales de l'Anglais, il s'enferme dans sa chambre pour rédiger un ouvrage en plusieurs volumes intitulé : «Idée du chameau tiré de la conception du moi»104."

Quoi qu'il en soit de cette complexité, évidemment plus retorse à l'analyse que cette histoire de chameau, il faut alors, soit la constituer en sous-genres d'un genre unique ; soit y

100 ibid., p.56.

101 La question du corpus reste donc entière ; seule une étude quantitative de grande ampleur permettrait de voir quelles œuvres sont considérées comme des essais, par quels auteurs, critiques ou théoriciens (en tenant compte de leur nationalité et de leur qualité), avec quelle fréquence, à quelles dates, selon quel consensus. 102 HARDISON 1988, p.629.

103 BOTT 1992.

104 R. Jaccard, "Le savoir enjoué de Boris Cyrulnik : à partir de l'éthologie et de la psychanalyse, une histoire naturelle de l'attachement", recension de Sous le signe du lien de Boris Cyrulnik (Hachette 1990), in Le monde Livres-Idées, 6 avril 1990.

distinguer le genre du "véritable essai littéraire", en étudiant ses rapports avec d'autres formes proches. Ces deux solutions se rejoignent, parce qu'elles sont toutes deux sous-tendues par le souhait de repérer des traits de ressemblance entre les textes. Délimiter, classer, représentent les opérations de base pour la constitution d'un genre comme catégorie de classification.

II.L'ESSAI PAR RAPPORT AUX AUTRES FORMES LITTÉRAIRES

Aucune étude des rapports entre l'essai et d'autres types de textes concrets ne cache la difficulté de l'entreprise : chez Berger, chez Haas, chez Mac Carthy, pour citer les ouvrages s'attelant avec le plus de sérieux à cette tâche, on retrouve l'idée que les frontières sont floues, mal définies, difficiles à tracer ou faciles à franchir. La tentation se présente souvent d'adopter l'attitude que préconisait Barbara Klie en 1944105 et que formule encore Erwin Chargaff en 1984 :

"Wie oft ist es mir widerfahren, daß ich angesichts eines Textes sagte : «Das ist ein wundervoller Essay !» Aber da rief es zurück : «Ich bin kein Essay, ich bin eine Abhandlung, ein Aufsatz, ein Artikel, eine Arbeit, ein Pamphlet, ein Feuilleton, eine Skizze, eine Streitschrift, ein Fragment !» So mußte ich mich eingeschüchtert zurückziehen, und es blieb mir nichts übrig, als das Buch des großen Montaigne aufzuschlagen, mit dem die Geschichte des Essays begonnen hat. Er war von keinen Nomenklaturskrupeln gequält ; auch gab es keine Reallexika. Wenn er sagte, daß das, was er geschrieben habe, Essays seien, so waren es Essays106."

L'idée de ne retenir que les textes qui se donnent comme des essais, sans autre critère de différenciation, est peut-être moins désinvolte que ne peut le faire croire cette citation de Cuthbert Robb :

"It has been said that a dog is any animal which another dog instinctively recognizes as dog : perhaps it would be wisest to say that an essay is any piece of writing which a reader of essays instinctively recognizes as an essay, and let it go at that107."

Elle implique, par exemple, la prise en compte de facteurs éditoriaux qui nous font sortir du domaine rassurant des Belles-Lettres et nécessite la mise en place d'une méthodologie interdisciplinaire : littérature, sociologie, économie, commerce, conception graphique108

105 Citée par HAAS 1969, p.31. La proposition de Klie consiste à ne tenir compte que des textes explicitement et srictement intitulés d'"essais".

106 "Combien de fois cela m'est-il arrivé de dire à propos d'un texte : «C'est un essai merveilleux !» Mais voilà qu'il me rappelait : «Je ne suis pas un essai, je suis une étude savante, un article savant, un article, un travail, un pamphlet, un feuilleton, une esquisse, une polémique, un fragment !» Aussi devais-je faire marche arrière, intimidé, et il ne me restait plus qu'à ouvrir le livre du grand Montaigne, avec lequel a débuté l'histoire de l'essai. Lui n'était torturé par aucun scrupule de nomenclature ; il est vrai qu'il n'existait aucun dictionnaire spécialisé. Lorsqu'il disait que ce qu'il avait écrit étaient des essais, alors c'étaient des essais." CHARGAFF 1984, p.116.

107 "On a dit qu'un chien est tout animal qu'un autre chien reconnaît instinctivement comme chien : peut-être le plus sage serait-il de dire qu'un essai est tout écrit qu'un lecteur d'essais reconnaît instinctivement comme un essai, et ça ira bien comme ça." Cité par POTGIETER 1987, p.193.

108 On suggèrera dans notre troisième partie (chapitre 2) les enjeux de cette approche, qui prend nécessairement appui sur les théories de la réception. Certains critiques reviennent sur l'importance de ce problème : voir HARDISON 1988, p.625.

Si on en reste au texte littéraire, une première approche des théories du genre doit présenter la manière dont l'essai est différencié concrètement d'autres formes concrètes. Cette différenciation est intéressante pour l'éclaircissement des théories, même (et peut-être surtout) si les fondements de celles-ci demeurent implicites lors de cette opération. Il est remarquable, par exemple, que Bruno Berger présente son chapitre de délimitations avant d'avoir analysé la forme :

"Um nun klaren und ausreichenden Erkenntnissen über die Form und Wesen des Essays zu gelangen, wird es notwendig sein, zuerst in differentialdiagnostischer Weise andere, ähnlich scheinende Prosaformen zu untersuchen, um ausscheiden zu können, was nicht Essay ist109."

Délimitations concrètes, délimitations modales

Le choix des "formes proches" dont il faudrait différencier l'essai est déjà significatif de la difficulté d'appréhender la forme. On trouve un premier groupe de remarques sur l'essai par rapport aux autres formes de textes non-fictionnels (lettre, aphorisme, traité, discours, dialogue philosophique, méditation religieuse, préface, pamphlet, autobiographie, journal intime). Mais on trouve aussi un deuxième groupe de remarques sur les rapports de l'essai et du drame, de l'essai et du poème, ou de l'essai et des textes narratifs. Dans le débat qui s'annonce, on voit que l'essai s'inscrit dans plusieurs types de structures théoriques : celle qui oppose fiction et non-fiction, celle qui oppose prose et poésie, celle qui oppose récit et discours, celle qui oppose sphère publique et sphère privée, celle enfin qui oppose création artistique et discours scientifique. On peut voir ici une illustration claire des différentes significations que prend le nom de genre110.

Gerhard Haas explique bien que la délimitation doit servir à une affirmation du genre111. Les chapitres "Champ du genre" et "Délimitations topographiques" encadrent d'ailleurs son exposé des caractères principaux de l'essai : dans celui-là, il étudie les rapports généraux de l'essai par rapport à la science d'une part, à la poésie d'autre part ; dans celui-ci,

109 "A présent, pour acquérir des connaissances claires et satisfaisantes sur la nature et la forme de l'essai, il sera nécessaire dans un premier temps d'examiner, en procédant à un un diagnostic différentiel, d'autres formes en prose apparemment semblables, afin de pouvoir décider ce que n'est pas l'essai." BERGER 1964, p.30. 110 SCHAEFFER 1989, p.64.

il resserre son analyse sur des genres concrets (traité, aphorisme, dissertation, feuilleton). Ce partage est significatif et se retrouve dans d'autres études sur l'essai : il faut à la fois considérer les ressemblances entre textes concrets et l'attitude plus fondamentale de l'"essayisme" dans une étude globale qui se situe alors au niveau du mode d'écriture112. Ce seront aussi deux étapes de notre exposé. Mais alors que Haas place l'examen de l'essayisme en tête de son livre, nous l'aborderons après avoir traversé ce que les théories proposent comme image du genre113, et nous en resterons ici à l'attitude "naïve" dans à laquelle nous voudrions présenter une sorte de "degré zéro de la théorie" : nous suivrons donc les théoriciens dans leurs délimitations très concrètes de l'essai littéraire par rapport à d'autres types de textes.

Texte non-fictionnel, l'essai littéraire est rapproché des textes scientifiques ou journalistiques qui disent le monde sans passer par le filtre d'une invention, d'une création fictive qui le représenterait (thèse, traité, biographie, article, feuilleton). Mais comme il se distingue visiblement de ces types prosaïques par son ambition littéraire, il est comparé à des formes poétiques de la prose (caractère, portrait, aphorisme, poème en prose114). On lui trouve par ailleurs un caractère personnel très marqué : il faut donc voir en quoi il est différent des autres formes de prose où l'énonciateur se dévoile, au moins comme sujet du discours, parfois comme son objet en même temps (discours, allocution, lettre, journal, mémoires, autobiographie, autoportrait). Point de vue personnel sur un objet ou sur une œuvre, l'essai est rapproché des textes qui réunissent la présentation d'une œuvre et l'expression d'une opinion (critique, éditorial, préface) ; point de vue sur un thème de la vie publique, des mœurs ou de la politique, on le compare aux textes exprimant une prise de position (discours, manifeste, pamphlet, sermon). On s'accorde enfin à voir dans l'essai un texte où la réalité n'est pas présentée uniment, mais selon des points de vue variables, pour

112 L'étude de Charles WHITMORE, "The Field of the Essay" (1921), est souvent donnée comme le premier jalon d'une véritable théorie du genre, qui se distingue d'une étude historique érudite des variantes et des influences. Voir CHADBOURNE 1983, p.137.

113 C'est-à-dire dans le chapitre 3 de cette Ière partie.

114 Voir MARTINI 1958, p.409a, pour un résumé de cette comparaison avec d'autres formes poétiques de la prose.

aborder une réalité elle-même changeante ; c'est pourquoi on rapproche l'essai des textes dialogués où alternent plusieurs opinions (dialogue philosophique).

L'essai et le traité

On a vu comment les historiens de l'essai dessinent deux grandes traditions à partir de Montaigne et Bacon ; ce dernier est à l'origine de la forme anglaise dont on signale fréquemment les rapports avec le traité115.

Dans le Dictionnaire des littératures des Presses Universitaires France, en 1968, l'article "Essay" règle rapidement le problème des rapports entre l'essai et le traité : l'essai, tout simplement, ne "traite" pas un sujet116. Cette simplicité cache une réelle difficulté : qu'est ce que "traiter" un sujet ? Y répondre suppose une analyse des manières de réfléchir, des systèmes de pensée, des méthodes de connaissance. Un autre dictionnaire suggère la direction de cette analyse en précisant : "traitant d'un sujet qu'il n'épuise pas117." Cela signifierait que l'essai est moins complet que le traité, mais finalement proche de lui. Erwin Chargaff distingue les deux formes grâce à ce seul critère :

"Was der Essay jedoch nicht sein darf, ist ein Traktat : er soll kein letztes Wort sprechen, auch wenn er es gesprochen hat118."

Dans cette limite, Theodor Fraser forge le terme d'"essay-treatise" pour désigner ceux qui se raprochent le plus du traité119.

Cependant, il existe de nombreuses études qui voient de nettes différences entre les deux types. Rohner en établit une liste :

"sinnliche gegen theoretisierende Sprache, experimentierend offenes Schreiben gegen bloßes Mitteilen von Denkergebnissen, gesellige gegen monologische Prosa, Synthese gegen Analyse, Erfahrung gegen Theorie, Erlebnis gegen Doktrin120."

115 HAAS 1969, p.14-17. 116 VAN TIEGHEM 1968.

117 Dictionnaire Le Robert. Définition citée par ROY 1972, p.27.

118 "Cependant, ce qu'un essai n'a pas le droit d'être, c'est un traité : il ne doit prononcer aucun mot de conclusion, même s'il l'a promis." CHARGAFF 1984, p.116.

119 FRASER 1986, p.107.

120 "Une langue sensuelle contre une langue théoricienne, une écriture expérimentale ouverte contre la stricte communication des résultats de la pensée, une prose mondaine contre un monologue, la synthèse contre l'analyse, l'expérience contre la théorie, le vécu contre la doctrine." Cité par HAAS 1969, p.62.

On voit qu'ici l'observation concrète du texte est soutenue par une différenciation plus abstraite. On peut retenir le critère de l'unicité (dans le traité) contre la pluralité des opinions (dans l'essai).

Commentant ces caractéristiques, Haas voit la principale différence entre l'essai et le traité dans le but poursuivi par l'auteur. Si les deux genres ont en commun de communiquer au lecteur des pensées, des réflexions, le traité a un but précis (un résultat donné de la