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LES THÉORIES ET LEURS MODÈLES

A. L'atopie et le problème général de la prose artistique

Max Bense : le Confinium

Max Bense, dans un article de 1947 très souvent cité dans les études de l'essai, propose une bipartition du genre entre les textes qu'il appelle schöngeistig et ceux qu'il appelle feingeistig. Voici comment il l'explique :

"Die schöngeistige Essayistik entwickelt ein außerhalb wissenschaftlicher Bezirke liegendes Thema, die Reflexion, meist schweifend, intuitionistisch und irrationalistisch, enträt zwar nicht der Klarheit, aber diese Klarheit ist nicht die der begrifflichen Festlegung, sondern vielmehr die der Durchsicht durch den poetischen oder geistigen Raum, den man betreten hat. Die feingeistige Essayistik, erwachsen aus definitorischen, axiomatischen Bemühungen um einen ziemlich bestimmten Gegenstand, der einer Wissenschaft angehört, hat einen unvernichtbaren Hang zur Logik, sie verrät den Stil der hellen Ratio, den sie nie verläßt ; sie analysiert, sie macht elementar, sir körnt die Substanz, die sie in der gesamten experimentellen Variation festhält364."

363 Voir son emploi chez BARTHES 1975, p.53 (comment fuir le piège des catégories sociales, philosophiques, etc.) et 1977, p.43 (à propos de Socrate, qui est toujours là où on ne l'attend pas).

364 "L'essayistique du bel esprit développe un thème qui se tient en dehors des secteurs scientifiques ; la réflexion, le plus souvent vagabonde, intuitive et irrationnelle, ne se dispense certes pas de la clarté ; toutefois cette clarté n'est pas celle de l'établissement des concepts, mais bien plus celle de la pénétration du domaine poétique ou intellectuel où l'on est entré. L'essayistique de l'esprit fin, qui se développe à partir des efforts définitionnels et axiomatiques concernant un objet relativement précis appartenant à la science, a un lien indestructible avec la logique ; elle utilise le style de la raison éclairée, qu'elle n'abandonne jamais ; elle

Grâce à cette distinction, ce ne sont pas seulement les deux grandes traditions de l'essai (grosso modo, l'héritage de Montaigne et celui de Bacon) qui se trouvent réunies ; Haas signale très bien qu'il s'agit ici d'un sauvetage, de l'élimination d'un problème fondamental qui dépasse la simple diversité historique :

"Bense versucht die Verbindung von Wissenschaft und Kunst dadurch zu retten, daß er die Trennlinie nicht außerhalb des Essays annimmt, sondern sie in den Essay selbst verlegt und durch die gemeinsame Form eine Neutralisierung oder Überwölbung dieser Grenze suggeriert365."

Mais il ne s'agit pas, ici, de construire un genre comme les autres en rassemblant une identité métissée sous des critères unifiés de reconnaissance. Là où tout suggère que deux genres apparaissent, Max Bense cherche ainsi à englober tous les textes en une seule catégorie qu'il organise ensuite en deux pôles de signification. Cela requiert des adaptations de la part du lecteur :

"Man muß es auf sich nehmen, in beiden Sprachen [Poesie & Prosa] zu lesen, wenn man in den vollen Genuß eines Essays gelangen will… oder man verwandelt den Essay, ehe man es gewahr wird, in eine Folge von Aphorismen, die jeweils einen Gedanken pointieren, wie es bei Lichtenberg, Novalis und Goethe beobachtet werden kann, vielleicht auch in eine Folge ganz verdichteter Bilder366."

Ce "bilinguisme" du lecteur correspond à la compétence de qui se déplace dans ce que Bense appelle un Confinium. Nous sommes bien ici dans une théorisation "classique", essentialiste, ce que Schaeffer appelle une catégorie de la lecture, qui structure un certain type de lecture. Dans cet avertissement au lecteur, Bense montre bien que son projet est normatif, dans le sens où, si on ne lit pas "en deux langues", on ne peut pas comprendre l'essai. Mais l'image a son propre paradoxe : les langues (symboles ici des ensembles de règles appelés "genres") sont exclusives les unes des autres, on ne peut pas en même temps communiquer en deux langues.

analyse, elle isole les éléments, elle égrène la substance qu'elle saisit dans l'ensemble des variations expérimentales." BENSE 1947, p.421-422.

365 "Bense tente de sauver la connexion de l'art et de la science, ici niée, en présumant que la ligne de partage n'est pas à l'extérieur de l'essai, mais en la déplaçant à l'intérieur même de l'essai et en suggérant par cette forme commune une neutralisation, ou l'établissement d'une passerelle au-dessus de cette frontière." HAAS 1969, p.32.

366 "On doit prendre sur soi de lire dans les deux langues, si l'on veut goûter pleinement un essai… sinon, on confond l'essai sans s'en apercevoir avec une suite d'aphorismes qui pointent chacun une pensée, comme on peut l'observer chez Lichtenberg, Novalis et Goethe, peut-être aussi avec une suite d'images très concentrées." BENSE 1947, p.418-419.

Le Confinium est une image particulièrement saisissante de ce type de théorisation par "l'atopie" du genre :

"Wir kommen also dazu, anzunehmen, daß es ein merkwürdiges «Confinium» gibt, das sich zwischen Poesie und Prosa, zwischen dem ästhetischen Stadium der Schöpfung und dem ethischen Stadium der Tendenz ausbildet, immer ein wenig schillernd in seiner Art zu sein bleibt, aber einen berühmten literarischen Rang einnimmt, weil nähmlich der «Essay» unmittelbarer literarischer Ausdruck dieses Confiniums zwischen Poesie und Prosa, zwischen Schöpfung und Tendenz, zwischen ästhetischem und ethischem Stadium bedeutet367."

L'article de Bense montre comment la préoccupation du genre de l'essai ("die Notwendigkeit und [der] Ernst einer Literaturgattung368"), quand elle prend le parti d'une atopie de celui-ci, mène à des considérations qui dépassent la théorie des genres et rejoignent le problème général de la littérarité des textes en prose. L'entre-deux est une façon de conceptualiser différentes tensions du genre : tension entre l'affirmation de soi et le refus d'être catégorisé, tension entre la prose et la poésie, tension entre l'art et la science, voire entre l'inconscient et la conscience ("Triebhaftes und Bewußtes369"). Mais ce choix conduit nécessairement à un élargissement du problème du genre : si Bense fait tendre la forme vers plusieurs autres genres mieux définis, il conclut sur une problématique qui donne aussi, indirectement, son titre à sa réflexion : celui de la prose artistique. Cette question demandera qu'on y revienne, dans un autre cadre que celui d'une théorie du genre. La démarche de Bense nous y invite bien, puisqu'en tentant de penser l'essai comme genre, elle le définit comme expression d'un "nulle part" et que cette localisation associée à la certitude d'être devant un texte littéraire pose le problème de la littérarité hors des genres littéraires.

367 "Nous devons donc supposer qu'il existe un curieux «Confinium» qui se forme entre la poésie et la prose, entre le stade esthétique de la création et le stade éthique de l'opinion, d’une nature qui demeure incertaine, mais qui occupe un rang littéraire de renom, parce que l'«essai», en l'espèce, représente l'expression littéraire immédiate de ce confinium entre la poésie et la prose, entre la création et l'opinion, entre le stade esthétique et le stade éthique." ibid., p.417.

368 ibid., p.424.

369 ibid., p.420. Il cite Otto Stoeßl, écrivain viennois d'après-guerre. Il fit partie d'un groupe d'écrivains et de journalistes rattachés à la Wiener Revue, dont l'ambition était de restaurer la pratique de la démocratie dans l'Autriche de 1945.

Bruno Berger : l'équilibre et l'excellence

La définition provisoire que choisit Bruno Berger pour engager son ouvrage sur l'essai est résolument placée sous le signe de l'entre-deux. Il recourt à la fiction d'un lecteur de bonne foi abordant sans préjugé un échantillon d'essais, et il élabore ainsi une petite phénoménologie naïve de la forme : une subjectivité marquée, mais aussi un style aussi bien qu'un sujet enthousiasment le lecteur, et composent une forme qui exige sa participation active. Une logique particulière, peu ou pas académique, suscite l'intérêt du lecteur (alors que le thème annoncé le laissait parfois indifférent), parce qu'elle engage une vision riche, stimulante, variée.370 S'il cherche à élucider le mystère de cet enthousiasme que déclenche en lui la lecture de ces textes aux sujets hétéroclites, le lecteur aura bien du mal à isoler un élément décisif, comme on pointe la strophe essentielle d'un poème, la réplique cruciale d'une pièce de théâtre, la scène ou le "lieu" fondamental d'un roman. Ici, tout a l'air sublimé par une atmosphère intellectuelle d'exception, alliant l'esprit scientifique et l'esprit cultivé, créant un climat spirituel supérieur371. Le lecteur fait ainsi l'expérience d'une unité profonde de tous les éléments du texte, d'une sublimation du particulier dans le général qu'il n'avait accoutumé d'éprouver qu'au contact de la poésie la plus exigeante, "nur daß dabei aber in noch stärkerem Maße Verstand und Intellekt mitangesprochen werden372." C'est cette dernière caractéristique qui retient finalement l'attention du lecteur-chercheur, et qui l'amène à formuler la problématique du genre à l'aide d'images spatiales :

"diese erhebende Wirkung [muß also] wohl durch das gleichzeitige Angesprochenwerden von Geist und

Gefühl, von Herz und Verstand, entstanden sein. Zwei verschiedene Bezirke also, die ansonsten durch eine Lektüre keineswegs immer gleichzeitig oder gleichmäßig angeregt und in Funktion gesetzt werden, kann der echte Essay ansprechen. Daß er dieses zu bewirken vermag, muß seinen Grund darin haben, daß er selbst gleichzeitig beiden Bereichen angehört, aus beiden Bereichen gespeist wird373."

370 BERGER 1964, p.26. 371 ibid., p.26-27.

372 "avec ici, en plus, une interpellation encore plus forte du jugement et de l'intellect." ibid., p.27.

373 "Cet effet exaltant doit donc provenir d'une interpellation au même moment de l'esprit et du sentiment, du cœur et de l'entendement. Le véritable essai peut donc faire réagir deux secteurs différents, qui au cours d'autres lectures, sinon, ne sont en aucun cas stimulés et mis en fonction en même temps ou dans la même mesure. Le fait qu'il y parvienne doit avoir son fondement dans le fait qu'il appartient lui-même dans le même temps aux deux domaines, qu'il s'en nourrit en même temps." ibid., p.27.

Mais plus qu'à cette image d'un espace englobant plusieurs autres (qui le raprocherait de la "mosaïque" des théories par le "mixte"), le lecteur-témoin de Berger se rallie très vite à l'hypothèses plus féconde d'un espace tout à la fois intermédiaire et surplombant, dans lequel se déploient les forces créatrices insolites (parce que prenant racine dans des pratiques antagonistes) de l'essai :

"Mitte zwischen zwei Territorien also ist der Essay angesiedelt, zwischen Wissenschaft und Dichtung, und zwei Kräfte, der forschende Geist und der schöpferische Sinn, wirken zusammen, ihn hervorzubringen374."

Le concept fondateur de cette force essayiste est l'intuition ; Berger décrit encore l'expérience que fait son témoin de cette magie de l'entre-deux, qui mène à une identification tautologique de l'auteur du texte : est-il savant ? Non, il est essayiste. Poète ? Pas davantage : il est essayiste. Le chercheur doit donc partir de cette expérience unique, au cours de laquelle s'est dessiné le lieu d'émergence d'une forme étonnante : "[eine überzeugende] Aussage, die Wissenschaft und Kunst auf eine dritte gemeinsame Ebene hebt375." Il reste maintenant à voir comment cette forme se constitue en genre.

Der Essay. Form und Geschichte est reconnu comme le premier ouvrage à avoir proposé une appréhension globale, théorique et historique de l'essai comme genre. A première vue, il montre une préoccupation essentialiste : il réfute plusieurs définitions préalables, avant de donner une hypothèse de travail que son analyse devra confirmer ; avant de la commencer, il délimite strictement son champ en en excluant des formes voisines de l'essai. Peut-être peut-on déjà suggérer que cette démarche signale une certaine contradiction : l'essai n'est encore qu'à peine défini, la recherche de traits de ressemblance n'est pas encore commencée, et le chercheur effectue déjà un tri. Selon quels critères ? Ce qui paraît clair, c'est que l'"hypothèse de travail" (vorläufige Definition) est un postulat d'essence, dont toute la démonstration découle. Dans cette optique, il est parfaitement cohérent que la partie théorique du livre se termine sur deux chapitres complémentaires :

374 "L'essai prend donc position entre deux territoires, entre la science et la poésie ; et deux forces, l'esprit de recherche et le sens créateur, travaillent ensemble pour le produire." ibid., p.27.

"Der Pseudo-Essay", où il stigmatise les dégénérescences possibles de la forme, et "Der ideale Essay". Dans ce dernier, Berger se défend cependant d'un projet essentialiste :

"Nachdem in den vorliegenden Kapiteln vom Positiven wie vom Negativen her das Reich wie das Wesen des echten Essays abgegrenzt [sind], bestünde die Möglichkeit, die als vorläufig gegebene Definition durch die aus anderer Sicht gewonnenen Aspekte zusammenfassend neu zu umgrenzen. Und doch scheut man sich, aus den einzelnen Destillaten nun wieder eine neue Essenz zu gewinnen…376"

Il explique qu'une forme aussi ouverte ne saurait supporter aucune règle, aucun principe, aussi vastes fussent-ils. Il propose alors une esquisse de l'essai idéal, historique, mi-théorique, où il résume les caractéristiques de l'essai telles que l'analyse les a révélées. On voit bien ainsi que la définition dite provisoire du début n'est pas "vérifiée", mais "amplifiée".

L'argumentation de Berger montre d'ailleurs qu'une définition de l'"essai" n'est pas possible, parce que la forme est ouverte ; il se concentre sur l'"Essayistik", c'est-à-dire la forme "interne" dont l'essai n'est que la forme "externe377". Tout son livre pourrait ainsi être vu comme une transformation de la pensée du genre en une pensée du mode. Sans explicitement rejeter la théorie des genres, Berger se rallie plusieurs fois à une opinion de K.G. Just selon laquelle, en ce qui concerne l'essai, la question du genre est une question de la valeur378. Cette valeur est fondée sur une personnalité particulière qui s'inscrit dans le texte : celle de l'essayiste, "Grandseigneur des Geistes379". La position de Berger n'est cependant aucunement comparable à celle de Fraser. Ce dernier élabore une critique psychologique et biographique pour déceler dans des textes notoirement littéraires la trace des points de vue personnels de l'auteur. Cette trace peut être infime, on a vu comment elle pouvait aussi être contestable. Berger élabore quant à lui une sorte de modèle contractuel, ce qu'on pourrait appeler en imitant Philippe Lejeune un "pacte essayistique". Les concepts qui

376 "Après que l'empire et la nature du véritable essai ont été délimités dans les présents chapitres, à partir de considérations positives comme de considérations négatives, s'offrirait la possibilité de redéfinir, en la résumant, la définition provisoire donnée précédemment, grâce aux aspects tirés d'autres points de vues. Et pourtant on redoute d'extraire une nouvelle essence à partir des distillats particuliers…" ibid., p.187.

377 ibid., p.189. Voir aussi POTGIETER 1987. 378 BERGER 1964, p.115, 141, 167-168, par exemple. 379 ibid., p.191.

reviennent le plus dans son argumentation sur le "véritable" essayiste sont ceux de tact et de goût : il y a Essay lorsqu'un auteur inscrit dans son texte une haute personnalité, dans un rapport au lecteur qui évalue correctement (taktvoll) son niveau culturel et se place d'emblée dans les hautes sphères de l'esprit.

Berger établit donc sans doute un postulat sur l'essai idéal ; mais on peut le voir moins comme une définition d'essence que comme une appréciation d'efficacité. La forme ouverte de l'essai est celle qui correspond à la haute personnalité de l'essayiste et à sa visée universalisante. Elle est en équilibre entre les genres, parce que la personnalité hors du commun de l'essayiste dit ce que les genres ne peuvent pas dire : c'est une prose artistique dans son sens le plus vaste ("künstlerische Formung in weitestem Sinn"), qui met à profit toutes les qualités esthétiques des genres pour s'élever au niveau de la vérité de l'âme et de la vie380. Dans cette mesure, même si Bruno Berger conteste le principe d'expérimentalité posé par Bense comme essentiel à l'essai381, il rejoint le même enjeu d'une prose artistique supérieure, déliée des genres et caractérisée par une tension entre plusieurs pôles de signification dont elle retient et exprime le meilleur, dans une visée d'excellence.

S'il n'y a pas de postulat d'essence de l'essai comme genre, nous sommes bien dans la théorie de Berger devant un problème de valeur. On a beau lire, dans les précautions oratoires du chapitre "Der Pseudo-Essay" :

"Es braucht sich dabei [messen und prüfen] gar nicht um eine generelle Abwertung oder Mindereinschätzung zu handeln ; genügend Fälle gibt es, wo man sagen könnte : der Autor täuscht sich ; keineswegs als Essay ist diese Prosa anzusehen, doch als eine ausgezeichnete Abhandlung, eine entzückende Plauderei, ein rundum erfreuliches Feuilleton382",

380 ibid., p.189.

381 ibid., p.115 et 121-122.

382 "Il n'est pas nécessaire [dans cette opération de mesure et d'appréciation] de se livrer à une minorisation ou à une dévalorisation générale ; il y a suffisamment de cas où l'on pourrait dire : cet auteur se trompe ; cette prose ne peut en aucun cas passer pour un essai, mais bien plutôt pour une remarquable étude, une causerie ravissante, un feuilleton réjouissant." ibid., p.169.

cela ne suffit pas à défaire d'autres prises de position sans équivoque sur une sorte de hiérarchie (inavouable ?) des genres. Par exemple, Berger déclare que Hermann Bahr n'est pas un véritable essayiste :

"Er wird also zum Blender, ohne die reife Weisheit und den sicheren Standpunkt eines echten Essayisten, und ist in den meisten Arbeiten kaum mehr als ein brillanter Feuilletonist (was keine absolute Abwertung, sondern die Einstufung in eine andere Kategorie bedeutet)383."

Cette bienveillance atténue cependant mal ce qu'on peut lire dans le chapitre "Abgrenzung zu anderen offenen Formen" : "in glücklicher Stunde, in günstiger Konstellation kann es ihm [dem Feuilletonisten] gelingen, die Höhe echter Essayistik zu erreichen384." On peut aussi revenir à l'opinion qu'il laisse entrevoir à propos des écrits savants, dont la lecture lui semble être une torture et l'enjeu strictement scientifique, une déception385. Même "distinguée" (ausgezeichnet), une dissertation n'a ainsi pas la même valeur qu'un essai ; or, selon Berger, on doit trouver dans l'essai véritable la profondeur de vues qu'apporte une maîtrise savante du sujet. Il y donc nécessairement supériorité de l'essai sur les "genres", même parfaits, et le chercheur se doit, non seulement de les reconnaître, mais de les préserver :

"Glänzende Prosastücke gibt es wie Sand am Meer ; echte Edelsteine, wie Essays es sind, müssen mit besonderem Gerät nach gültigen Maßstäben geprüft, erkannt und gesondert bewahrt werden386."

On voit alors quel est l'enjeu capital d'une définition du genre comme "entre-deux" : les genres sont des pôles d'excellence exclusifs les uns des autres, et l'essai doit être en équilibre entre ces différents pôles pour développer son enthousiasmante énergie387, son génie (Ingenium). La classification ("Einstufung in eine andere Kategorie") est donc bien une appréciation de valeur, et non une simple orientation vers un but différent : en étant intégré à une classe définie, et même s'il y occupe une place de choix, un texte perd

383 "Il finit ainsi par nous éblouir, sans la sagesse mature et le point de vue sûr d'une véritable essayiste, et n'est rien de plus, dans la plupart de ses travaux, qu'un brillant feuilletoniste (ce qui ne signifie pas une dévalorisation dans l'absolu, mais l'intégration à une autre catégorie)." ibid., p.176.

384 "A d'heureux moments, dans des configurations propices, il peut parvenir à atteindre les hauteurs d'un véritable art essayistique." ibid., p.35.

385 ibid., p.30.

386 "Des pièces de prose éclatantes, il s'en trouve autant que de sable au bord de la mer ; les vraies pierres précieuses, comme en sont les essais, doivent être testées, reconnues et conservées à part avec un appareillage spécial et et des mesures appropriées." ibid., p.169-170.

l'efficace particulière qui fait de l'essai un genre supérieur. Berger le suggère explicitement à la fin du chapitre sur "la forme de l'essai" :

"Es kann deswegen, wenn von der Form des Essays gesprochen werden soll, nur von der literarischen