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LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA GLOBALISATION HALIO-AQUACOLE

3.1 Les dysfonctionnements spatiaux de l’exploitation des ressources

Par souci de clarté, nous avons opté dans cette section pour un regroupement des principaux dysfonctionnements spatiaux en matière d’exploitation des ressources autour de deux grandes catégories : les gaspillages générés et certains risques sociaux et environnementaux.

3.1.1 Au royaume du gaspillage129

La mal-exploitation des ressources, en particulier halieutiques, se traduit par de multiples « gaspillages » tels que la surexploitation, les prises accessoires et les rejets, la pêche illégale, et les pêches à finalité industrielle.

3.1.1.1 La surpêche ou la surexploitation de la ressource halieutique

« Qu'il soit à bord d'une simple pirogue ou sur un superthonier congélateur, le pêcheur reste un prédateur cherchant à

capturer le maximum de poissons sans se soucier des dommages que son action de prélèvement peut avoir sur l'état des ressources [...] Il se comporte comme un compétiteur imprévoyant d'autant plus redoutable que le perfectionnement de ses moyens de captures le met en position d'opérer de véritables razzias en n'importe quel secteur de l'hydrosphère ».

Jean Chaussade, La mer nourricière (1994).

Aux « vingt glorieuses » qui marquent l’expansion spectaculaire du secteur des pêches au

cours des années 1950-1970 semblent succéder les « quarante douloureuses » (Carré, 2008)130.

En effet, dès le début des années 1970, une série de pêcheries s'effondre consécutivement au déclin brutal de stocks jusque-là très abondants – anchois du Pérou, sardinelle du golfe de

Guinée, hareng et cabillaud de l'Atlantique, etc. –, et laisse entrevoir les prémices131 d'une

surexploitation croissante des ressources marines vivantes (Troadec, op. cit.). Si dans les premiers temps de ces crises les pêcheurs réagissent en reportant leurs efforts de pêche par une sorte de « fuite en avant » vers des espèces de substitution (capelan en Islande, pilchard et chinchard au Pérou et au Chili) et des espaces nouveaux (mers « tropicales », océans « polaires ») (cf. section 122), ils contribuent davantage à généraliser le phénomène de surpêche (ou overfishing) vers un nombre croissant d'autres stocks et d'espèces, ce qui, « au gré d'abondances de plus en plus éphémères » (Carré, 2004), crée par la même occasion une instabilité chronique à l’échelle d’un système-monde océanique lui aussi limité en ressources vivantes et spatiales (Carré, 2008 ; Troadec, op. cit.).

Sans revenir aux fondamentaux des modèles bioéconomiques décrivant les relations d’équilibre entre la mortalité par pêche (effort), l’abondance d’un stock (biomasse) et les captures que celui-ci peut durablement supporter (rendement maximal soutenable), la surexploitation des ressources halieutiques se présente comme un phénomène dans lequel se combinent à la fois un accroissement de la pression anthropique ainsi qu’une obsolescence des modes de régulation (figure 28a). Deux formes de surexploitation – non exclusives l'une de

129

Expression empruntée à Alain Le Sann dans l’ouvrage qu’il coordonne sur la pêche artisanale (Le Sann, 1988).

130

Par cette expression, le géographe entend pointer ici la succession de graves crises que subit le secteur des pêches au cours des quatre dernières décennies, provoquée notamment par l'effondrement spectaculaire des ressources sur l’ensemble des mers du globe (Carré, 2008).

131 Carré (2004) et Laubier (2003) rappellent entre autres que l'idée d’une intensification du secteur des pêches conduisant

l'autre – coexistent, l’une de « recrutement » (prélèvement excessif par rapport aux capacités naturelles de renouvellement du stock), une autre de « croissance » (espèces capturées à un âge trop précoce) (Boncœur, 2003). Le mécanisme conduisant à la surexploitation des stocks s'explique du point de vue économique par un accroissement des capacités de capture qui excèdent significativement la productivité des stocks. Cette surcapacité résulte du jeu des deux principales externalités négatives : l’une immédiate « d'encombrement » entre pêcheurs exploitant un même stock (les prélèvements opérés par les uns réduisant de façon immédiate la disponibilité de la ressource pour les autres) ; une autre différée « de stock » (incidence de l'activité de chaque pêcheur sur la biomasse du stock d'équilibre, notamment en termes de structure d'âge et de recrutement de géniteur) (ibid.).

Schématiquement, le phénomène de surexploitation, ou surpêche, se traduit de la manière suivante : tout niveau d'effort de pêche dépassant les points Ea et Eb traduisent respectivement des situations de surexploitation économique puis biologique du stock, la rente étant totalement dissipée à partir du point Ec. Boncœur souligne d’ailleurs que la maximisation de la rente halieutique en régime de production durable (point A) implique un effort de pêche plus faible et une biomasse d’équilibre plus élevée que la maximisation des captures (point B) (ibid.).

Figure 28a – La surexploitation : représentation schématique d’un phénomène médiatique

Le résultat fournit alors une illustration de la « tragédie des communs », le libre accès (ou l'accès mal régulé) à des ressources communes et renouvelables conduit à leur dégradation au détriment des intérêts de la collectivité. Dans les deux cas, la surexploitation signifie une

dissipation de la rente halieutique132, c'est-à-dire un gaspillage de ressources naturelles rares au détriment des intérêts de la société (ibid.). Tout le système halieutique s’enfonce alors dans une spirale vicieuse avec sa cascade de difficultés croissantes pour les territoires côtiers touchés par cette crise : écologique (effondrement des stocks, extinction d'espèces, dégradation des écosystèmes) ; économique (surcapitalisation du secteur, renchérissement des prix du poisson) ; social (diminution des revenus, accentuation de la durée des marées, pénibilité du travail)... (Cormier-Salem, 2006 ; Corlay, 2004). Une vue d’ensemble de la situation des

132 Si la rente est le revenu économique lié à l'utilisation d'une ressource primaire non produite, la rente halieutique se

ressources halieutiques confirme qu’au cours des quinze dernières années la proportion de stocks surexploités est restée relativement inchangée après les fortes tendances à la hausse enregistrées au cours des décennies 1970 et 1980. Ces informations conduisent toutefois à penser que ce phénomène n'est plus un « mythe » (Forrest, 2006 ; Cury et Miserey, 2008), même s’il vire parfois au catastrophisme (médiatique) général (figures 28a et 28b).

D’après les résultats d’évaluation disponibles en 2006, les experts de la FAO estiment que près de 80 % des stocks halieutiques sont déclarés pleinement exploités (à 52 %) ou surexploités (à 28 %), seule une petite partie (20 %) des stocks mondiaux étant encore considérée comme modérément ou sous-exploités (FAO, 2009b).

Figure 28b –La surexploitation des stocks halieutiques par zones de pêche maritimes FAO

Une surexploitation des ressources halieutiques ubiquiste

Au sein des eaux communautaires, près de 88 % des stocks halieutiques seraient à l’heure actuelle surexploités, dont 30 % en dehors des limites biologiques de sécurité (CE, 2009a). Bon nombre de stocks atlantiques – en mer du Nord (morue, merlu, sprat, églefin...), en mer d’Irlande (merlan), en mer Celtique (baudroie, cardine), dans le golfe de Gascogne (anchois) – et méditerranéen (thon rouge) connaissent une situation d’équilibre préoccupante (Troadec et al., 2003). Couliou montre également que les pêcheurs artisans bretons sont eux aussi confrontés à un défaut de maîtrise de la ressource, « le phénomène d'appauvrissement en liaison avec la surexploitation des fonds » demeurant pour le géographe « l'aiguillon de l'histoire du chalutage régional à travers une conquête du Nord ». (Couliou, 1997). À Madagascar, les stocks de crevettes marines ainsi qu’une partie des stocks de requins présentent des signes d’effondrement certains. À une échelle plus fine, les poulpes (dans la zone sud-ouest du pays), le crabe de mangrove et les gros poissons de fond (zone nord- ouest), les langoustes (zone sud) ainsi que les trépangs figurent parmi les espèces les plus menacées (Lannuzel, op. cit. ; Chaboud et al., 2002).

3.1.1.2 Les prises accessoires et les rejets

De l’aveu même de la FAO, il n’est guère possible de connaître à la fois l’ampleur exacte du

problème des prises accessoires (ou « faux-poisson ») et des rejets ainsi que leurs

conséquences et l’efficacité des mesures prises pour les améliorer, en raison notamment de l’absence de programmes de suivi complets permettant de les évaluer et de données suffisamment précises et fiables sur ce phénomène (FAO, 2009b). Si les prises accessoires et autres rejets des pêcheries maritimes mondiales oscillaient entre 27 et 35 Mt./an pour la FAO en 1994 – soit plus du quart des captures annuelles de l’époque –, une étude plus récente semble indiquer que leur proportion avoisinerait désormais les 7,3 Mt./an. (8 % des captures totales) (Kelleher, 2008 ; FAO, 2005a). Cette réduction substantielle des rejets s’explique simultanément par une réduction des prises accessoires indésirables (engins de pêche plus sélectifs, réglementations renforcées, etc.) mais surtout par une valorisation plus importante, voire une commercialisation tout azimut, de nombreuses espèces auparavant rejetées (opportunités commerciales, besoins minotiers, etc.) (Kelleher, 2008 ; FAO, 2009b).

Figure 29 – Les rejets estimés par zone de pêche maritime FAO en 2006, en volume et en taux

Néanmoins, cette moyenne des rejets cache en réalité des différences importantes entre les pêcheries, en raison des différences géographiques des zones de pêche mais aussi de différences dans les techniques et engins de pêche utilisés (CE, 2007b) (figure 29). Ainsi les zones FAO 61 et 27 représentent à elles deux près de 40 % des rejets halieutiques mondiaux,

avec chacune près de 1,3 Mt. de rejets par an133. Par ailleurs, plus de la moitié des rejets supposés à l’échelle de l’ensemble des surfaces marines émaneraient de deux principaux types de pêche chalutière : l’une opère en zone tropicale et cible les crevettes (27 % des rejets

mondiaux avec plus de 1,86 Mt./ an)134, l’autre s’intéresse sur tous les océans aux diverses

espèces démersales (36 %, près de 2,5 Mt./an) (Aish et al., 2003 ; Kelleher, 2008). Les conséquences négatives de cette mauvaise exploitation des ressources et leur gaspillage sont autant environnementales qu'économiques. Si 10 à 30 % selon les cas des prises accessoires sont récupérées et expédiées vers la réduction minotière, ces prises sont traditionnellement rejetées par raisons économiques (faible valeur commerciale, taille minimale) et/ou juridiques (espèces hors quotas, espèces protégées ou interdites). Par ailleurs, le fait qu’une large partie des prises rejetées soit des juvéniles entraîne une diminution de la productivité future pour la pêche (capacité reproductive des stocks), et plus largement une menace pour la biodiversité des écosystèmes (CE, 2007b).

3.1.1.3 La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN)

Parmi les « pêches fantômes135 » qui hantent encore l’ensemble des fonds marins et océanique

de la planète, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) figure sans aucun doute parmi les plus symptomatiques de la mise en péril des ressources (Cury et Miserey, op.

cit.). Considérées comme un « crime contre l’environnement impliquant le vol de ressources »,

ces activités illicites engendrent de graves menaces aussi bien pour les écosystèmes marins (surexploitation des ressources, destruction braconnage, rejets) que pour les sociosystèmes qui les exploitent (pertes de revenus et d’emplois, amoindrissement de la sécurité alimentaire,

133

Ces deux zones de pêche FAO figurent parmi les zones de production les plus sollicitées (cf. chapitre 2).

134

Les pêches chalutières crevettières (tropicales et boréales) possèdent des taux de rejets dépassant les 62 % (contre 30 % pour les pêches thonières) (Kelleher, 2008).

135

Outre les activités de pêche INN, Cury et Miserey inclut dans cette dénomination l’ensemble des engins de pêche (casiers, filets, lignes…) perdus ou abandonnés qui errent dans les fonds marins mais qui continuent de prendre au piège de nombreuses espèces (op. cit.).

Rejets et prises accessoires au sein des eaux malgaches et communautaires

Dans les pêcheries industrielles de crevettes tropicales, la plus grande partie des captures de poisson est rejetée, contrairement aux pêches de petite échelle qui débarquent pour la consommation locale l’ensemble de leurs prises. À Madagascar, les captures halieutiques des ressources crevettières constituent un exemple significatif de la mal-exploitation du secteur. « Si l’on se réfère au fait que 90 % de la production est exportée [et ne contribue guère] à résoudre les problèmes nutritionnels locaux, ceci est d’autant plus alarmant que cette même pêche, par le rejet en mer de poissons d’accompagnement de moindre valeur commerciale, mais qui pourraient alimenter les marchés intérieurs, compromet inutilement des stocks déjà peu importants » (Rejela, op. cit.). Rafalimanana

et al. renchérissent en estimant que pour 1 kg de crevette pêché dans les eaux malgaches, ce sont en

fait près de 7 kg de prises accessoires – essentiellement composés d'individus juvéniles (poissons et concombres de mer) – qui sont également prélevés (Rafalimanana et al., op. cit.). L'importance des rejets varie selon les pêcheries mais aussi avec les systèmes de pêche et de commercialisation. Dans les pêcheries plurispécifiques démersales françaises, des espèces cible de petite taille cohabitent souvent avec les classes jeunes d'espèces plus grandes. C'est le cas, par exemple, des pêcheries de langoustine du golfe de Gascogne et de la mer Celtique où des quantités importantes de merlu de taille inférieure à la taille minimale légale sont capturées. Dans la pêcherie de merlu au chalut du golfe de Gascogne, la moitié des prises totales est ainsi rejetée (Troadec et al., op. cit).

augmentation des conflits d’usage) (FAO, 2009b). S. David et P-E. Bergh définissent cette pêche INN selon trois composantes principales. La pêche illégale comprend toute activité de pêche effectuée par des navires nationaux ou étrangers dans les eaux placées sous la juridiction d’un État (pour les ZEE) ou d’une Organisation régionale de gestion des pêches (ORGP) compétente (pour la Haute mer) et qui contreviennent aux mesures de conservation et de gestion adoptées par ces instances. La pêche non déclarée concerne toute activité qui n’est pas déclarée (ou de façon fallacieuse) aux autorités nationales et/ou d’une ORGP compétente, contrevenant ainsi à leurs lois et leurs règlements. La pêche non réglementée enfin implique toute activité menée dans la zone de compétence d’une ORGP par des navires sans nationalité ou battant pavillon d’un État non membre ainsi que par une entité de pêche non conforme ou contraire aux mesures de conservation et de gestion (inter)nationales (David et Bergh, 2008).

Ces définitions formelles n’aident pourtant pas à comprendre la grande diversité de ces activités. Les activités illicites/de braconnage sont les plus faciles à définir et se qualifient souvent par une pêche sans licence dans une ZEE soit par des navires nationaux, soit par des navires autorisés à pêcher dans une zone adjacente ou en Haute mer mais pêchant dans la zone traversée pour laquelle ils n’ont pas de licence. D’autres types de pêche illicite peuvent être exercés par des navires qui contreviennent aux conditions de leurs licences : utilisation d’équipements illégaux, exploitation au-delà du quota fixé, omission de donnée... (Tompkins,

La multiscalarité des activités illicites à Madagascar : pêche INN et pratiques locales douteuses

À l’échelle malgache, les pertes de recettes par la pêche INN sont évaluées autour de 37 M $ US./an, soit près de 20 % des captures totales, dans un pays où le secteur halieutique contribue tout de même à près de 8 % du PIB en 2006 (ibid.). Un cas récent de pêche illicite s’est ainsi déclaré en octobre 2008 au large de Toliara. Un bateau de pêche battant pavillon sénégalais y est arraisonné pour pêche illégale avec à son bord plus de 34 t. de produits finis de requins noirs (Centrophorus Sqamosus) – 17 t. de filets, 15 t. de foie et 2 t. d’aileron – ainsi que 2 t. de langoustes. Le navire utilise du matériel interdit (filets maillants dérivants) et possède seulement une autorisation de pêche exploratoire délivrée dans le cadre d'un accord signé entre Madagascar et la société Deperé France concernant d'autres espèces que celles capturées. D'après les documents du navire, celui-ci aurait déjà changé au moins trois fois de pavillon (espagnol, namibien et sénégalais). Tous les produits illégaux trouvés à bord sont conditionnés sous le label Soperka, une entreprise espagnole également armateur du navire. Cette société, connue à Dakar sous le nom de Kanbal Pêche 2, figure sur la liste des entreprises ayant reçu l'agrément sanitaire pour exporter des produits halieutiques vers l'UE (Ramanantsoa, 2008) Par ailleurs, comme sur d’autres littoraux africains (Sall, 1990), certaines flottes asiatiques ou européennes utilisent des « bateaux-ramasseurs », en particulier sur la côte est de l’île, sur lesquels elles embarquent quelques dizaines de pirogues traditionnelles avec leurs équipages afin d’exploiter pendant plusieurs jours d’affilée les zones poissonneuses au large des côtes mauriciennes. Le poisson, généralement de très haute qualité, est acheté aux pêcheurs à un prix dérisoire pour être ensuite expédié sur les marchés développés (entretien personnel avec Félix Randrianasoavina, janvier 2007). Lannuzel révèle également d’autres pratiques douteuses, telles certaines scènes de trocs ou de marchandage de poissons d’accompagnement complices entre piroguiers traditionnels et industriels crevettiers. « Certains de ces piroguiers auraient même délaissé la pêche et se seraient spécialisés dans cette activité de troc, une manne pour eux » (Lannuzel, op.

cit.). Que ces pratiques soient délibérées avec des conditions bien établies (« un demi-litre d'huile de

coco contre 30 kg de poissons, un paquet de cigarettes contre 5 kg,... ») ou consécutives à une sorte de « droits de passage » face aux barrages érigés pour manifester contre les incursions chalutières, celles-ci « n’en sont pas moins blâmables ». Elles permettent en effet l’arrivée sur les bazary locaux de poissons de petites tailles, très bon marché et qui entrent en concurrence déloyale avec d’autres produits halieutiques, tout en mettant parfois en péril la vie de certains marins (noyades) (ibid.).

2008). En résumé, « contourner les contrôles en changeant de pavillon, pêcher dans des zones sans autorisation ou selon des pratiques interdites et sous-estimer délibérément le montant des captures déclarées comptent parmi les pratiques les plus répandues » (ibid.). Au cœur de ces

pratiques figure l'octroi de pavillons de complaisance136 : les navires changent (légalement) de

pavillon en choisissant un État doté de plus faibles capacités administratives (Belize, Panama,

Honduras...)afin de contourner les mesures de gestion et de conservation.

Certaines évaluations indiquent que les activités de pêche INN pourraient représenter jusqu'à 30 % en volume des captures totales dans certaines pêcheries et que les prélèvements de certaines espèces (légine par exemple) pourraient s'élever à trois fois le volume autorisé. Ainsi sur les 11 à 26 Mt. annuelles attribuées à ces activités illicites, les pertes financières estimées sont de l’ordre de 10 à 23 Mds $/an (entre 12 % et 30 % de la valeur annuelle globale des produits) tandis que les gains informels générés seraient compris entre 4 et 14 Mds $/an (Tompkins, op. cit.). Ainsi, pour la seule Afrique subsaharienne, le montant de ces activités dépasserait le milliard de dollars – soit environ un quart des exportations aquatiques annuelles de la zone – à travers un panel de fraudes qui mêlent braconnage d’espèces migratrices (thon) par des navires pêchant sans licences dans les ZEE nationales ou sous pavillon de complaisance, incursions de flottes industrielles dans des zones de réserve près de la bande côtière interférant avec la flottille artisanale pour la capture de crustacés, etc. (FAO, 2008a). 3.1.1.4 Les pêches à finalité industrielle

S’il est vrai que le segment des pêches à finalité industrielle a contribué très largement à gonfler les résultats du secteur halieutique mondial ainsi qu’à améliorer mécaniquement la disponibilité brute par habitant, ce dernier n’a pas pour autant augmenté la consommation réelle, ces captures échappant à l'alimentation humaine au profit d’autres usages (section

2.2.2). En effet, si ce nouveau débouché du poisson a eu l'avantage – économique – de mettre en valeur des espèces de qualité médiocre et bon marché (anchois du Pérou, sardinelles) pour les « transformer » en produits de luxe (crevettes, saumons), il s’est aussi traduit par des pêches massives de poissons pélagiques parfaitement alimentaires (harengs, maquereaux, chinchards, etc.) (Carré, 2008). Si ce système reste relativement bénéfique pour certains, notamment du fait qu'il valorise des espèces jusque là sans grand intérêt tout en assurant une complémentarité entre la pêche et l'aquaculture via des débouchés et des emplois offerts aux communautés de pêcheurs (Doumenge, 1986b), nombreux sont ceux qui jugent ces pêches contestables, pillage et gaspillage étant bien souvent les deux griefs formulés à son encontre (Carré, 2006).

En effet, le fait de pêcher des protéines animales pour les convertir ensuite en poissons ou crustacés destinés à une clientèle bien souvent en situation « d’opulence alimentaire » (Chaussade, 1994) ne fait que rallonger la chaîne alimentaire sans gain nutritionnel tout en déséquilibrant les écosystèmes marins (Doumenge, 1986b ; Carré, 2004) (figure 30). Ces pêches minotières font notamment l’objet de vives critiques pour leur « tournure réellement systématique » qui en font une véritable « hérésie écologique au point de justifier jusqu'à 30 %

136

Environ 8,5 % des navires dans le monde (8,9 % en jauge brute totale) sont inscrits comme battant « pavillon inconnu » – catégorie en expansion rapide ces dernières années – et représentent une flottille plus importante que toutes les autres flottilles nationales (sauf celle des États-Unis) (FAO, 2009b).

des prises mondiales » (Chaussade et Guillaume, op. cit.). C’est ainsi que deux des principales puissances halieutiques mondiales (Pérou et Chili) ont été (et sont

encore) encouragées à développer fortement ce segment industriel au détriment de leurs pêches artisanales et qu’elles continuent d’y consacrer chaque année au moins 70 % de leurs captures (Corlay, 2004). Bien qu’elles alimentent de nombreux élevages industriels (bovins, volailles, porcins), ces pêches demeurent le principal pourvoyeur alimentaire en poissons sauvages (ou « fourrages ») d’un segment aquacole toujours très dépendant de ses apports massifs à bas prix. L’aquaculture intensive continue de ponctionner chaque année entre un quart et