• Aucun résultat trouvé

A LA GLOBALISATION HALIO-AQUACOLE

CHAPITRE 1 UNE GEOHISTOIRE DES MONDES AQUATIQUES A DOMINANTE HALIEUTIQUE

« En réalité, plus le diagnostic que l’on dresse à propos de la pêche [et de l’aquaculture] tend à se mondialiser [...], plus

il semble nécessaire de comprendre les emboîtements des échelles de temps et d’espaces, portés à la fois par l’histoire naturelle des écosystèmes marins mais aussi par l’histoire des sociétés au travers des relations qu’elles entretiennent avec ces écosystèmes ».

Hélène Rey et al., Système halieutique (1997).

Voyant dans la géographie une « science du mouvement [qui] ne se borne pas à décrire les paysages et les activités des hommes », Chaussade insiste sur le fait que la discipline « cherche aussi à comprendre les faits localisés, à dégager des perspectives d’évolution et de transformation du milieu » (Chaussade, 1983). L’objectif principal de ce chapitre consiste donc à « remonter le passé et recourir à l’histoire » (ibid.) pour tenter de rendre compte des multiples mutations qu’ont connues les secteurs halieutiques et aquacoles au cours de leur existence ainsi que de révéler leur progressive venue au monde. En effet, telles qu'elles s'offrent actuellement à notre analyse, ces activités maritimes ne sont pas apparues toutes armées d'un seul jet, leurs aspects contemporains étant plutôt l'aboutissement d'une évolution relativement longue dans laquelle se succède toute une série de stades caractérisés par autant de traductions halieutiques et aquacoles, d’adaptations sociétales, techniques et économiques au domaine marin qui ne peuvent être séparées « de la civilisation dont [elles sont] le surgeon aquatique » (Besançon, op. cit.). « Chaque âge peut être défini par ses modes de propulsion et de navigation, par son outillage de prise, par ses procédés de préservation et de conservation et enfin par les moyens de transport mis en œuvre pour la diffusion de ces produits » (ibid.). Étant donné que la connaissance des formes antérieures du processus de mondialisation est nécessaire pour comprendre celles que nous vivons aujourd’hui (Arrault, 2007a), étudier le Monde halio-aquacole revient donc à en faire une « géohistoire » (Grataloup, 2007) ceci afin de retrouver l'évolution des cycles d'activité à différents pas de temps tout en éclairant les stratégies passées en termes d'aménagement et des enjeux sous-tendus. Autrement dit, cette analyse nous renseigne sur « les accélérations et les ruptures passées en même temps que sur les réponses adaptatives mises en œuvre » au sein de la filière aquatique (Corlay, 1995). Un détour par le modèle centre-périphérie développé par Alain Reynaud s’avère ici des plus utiles pour comprendre l’évolution de ces activités aquatiques et la « situation relative » des espaces sur lesquels elles reposent (Reynaud, 1981). Ce système induit en effet à toutes les échelles un jeu de rétroactions (positives et négatives) entre centres et périphéries qui incitent à se placer dans une « perspective dynamique » afin de tenir compte de la dimension temporelle. Force est alors de reconnaître que les inégalités socio-spatiales et les flux dissymétriques sur lesquels ce système repose ne résultent pas d’une fatalité, qu’ils ne doivent pas tout aux potentialités du milieu naturel et qu’ils sont susceptibles de retournement (ibid.).

De cette façon, notre réflexion diachronique consiste alors à explorer les étapes successives de la montée en puissance à l’échelle mondiale de ces activités halio-aquacoles, de leur « proto-

mondialisation40 » à leur planétarisation dans un premier temps, puis du passage d’une

économie-monde halieutique aux prémices d’un système-monde aquatique.

40

1.1

D’une « proto-mondialisation » à la planétarisation halieutique

Si la pêche et l’aquaculture se présentent comme des activités anciennes et ubiquistes, il n’en demeure pas moins que certaines « civilisations de la mer » (Doumenge, 1965) sont sans contexte à l’origine de l’élaboration d’économies-monde halieutiques qui contribuent au « grand désenclavement planétaire » du secteur.

1.1.1 La pêche et l’aquaculture, des activités anciennes et ubiquistes

Aux dires de nombreux géographes halieutes, la pêche constitue depuis l’ère préhistorique jusqu’au début de l’époque médiévale une activité domestique de prédation, une activité

vivrière de prélèvement que les hommes pratiquent pour assurer leur subsistance, « la

cueillette des ressources biologiques aquatiques [étant] l’une des premières activités [...] pratiquées sur terre pour se nourrir » (Chaussade et Corlay, 1990). Besançon relève par ailleurs son caractère ubiquiste du fait de sa présence sur de très nombreux espaces littoraux et cours d’eaux de la planète. « La petite pêche, multiforme, est partout présente le long des rivages et des berges de toutes les régions un tant soit peu peuplées de la Terre, [et de façon] flagrante, enracinée, imprimant un cachet indiscutable à ces paysages qu'elle a peuplés ou qu'elle contribue à vivifier » (Besançon, op. cit.). Un certain nombre de sites archéologiques constitués d’amas et de buttes conchyliennes – les fameux kØkkenmØddinger préhistoriques – et disséminés sur l’ensemble de la planète (Danemark, Japon, Brésil, etc.) témoignent ainsi qu’une part non négligeable de l’économie de subsistance de petites communautés de chasseurs-cueilleurs plus ou moins nomades était fondée sur l’exploitation de multiples ressources littorales (Chaussade et Corlay, 1990). Une récente synthèse en archéo-ichtyologie confirme les caractères ubiquistes et millénaires de ces activités aquatiques, des côtes européennes (scandinaves, anglo-saxonnes, Méditerranée chrétienne) jusqu’aux confins russes, en passant par les rives des mers intérieures d’Eurasie (Noire, Baltique) mais aussi par les rivages continentaux américains (Canada, Belize, Brésil) et asiatiques (Chine, Thaïlande), etc. (Béarez et al., 2008).

Il faut toutefois souligner le caractère relativement primitif de ces activités de cueillette qui s’exercent pendant longtemps sous des formes rudimentaires peu efficaces, « sous forme de viviers dans les eaux continentales (lacs, rivières, etc.) » (Carré, 2004) ou bien encore en se

L’appétence romaine envers les produits d’origine aquatique

Si les cités maritimes de Phénicie, de Grèce puis de Rome établissent au cours de l'Antiquité de véritables réseaux d'échanges de produits de la mer à travers l’ensemble du bassin méditerranéen (Chaussade, 1994), la civilisation romaine est sans doute celle qui possède le marché aquatique le plus conséquent. Les Romains apprécient en effet certaines espèces particulièrement prisées comme « les thons de Gadès, les daurades de Sicile, les maquereaux d'Espagne, les huîtres d’Armorique, les saumons du Rhin, les carpes des lacs d'Asie Mineure et de Perse » (Besançon, op. cit.). Poissons et coquillages y sont acheminés par mer ou convoyés par terre, frais ou transformés sommairement (salées, séchées, marinées, en sauce sous forme de garum) : « pour ce faire, on enrobait le saumon du Rhin dans de la neige ou de la glace, on plaçait les huîtres et certains poissons dans des cuves d'eau de mer et des bateaux-viviers de bois garnis de plomb, etc. » (ibid.).

limitant « à une petite marge littorale (estuaires, zones lagunaires, etc.) en raison de la crainte générée par le milieu marin lui-même mais aussi par le manque de fiabilité des embarcations et des moyens de conservations des produits » (Chaussade et Corlay, 1998). Doumenge relate à ce titre que les premières formes d'exploitation littorale par les collectivités riveraines japonaises relèvent d’activités de cueillette sur l'estran et de plongée saisonnière de produits variés (Doumenge, 1975). Ces caractéristiques « primitives » se retrouvent aussi au niveau des cultures marines dont les premiers élevages extensifs (carpe, poisson-chat, anguille, mulet, etc.) sur les rives asiatiques du Pacifique s’exercent, aux côtés des activités agricoles, à partir de captures de juvéniles piégés dans des bassins aménagés majoritairement en milieu dulçaquicole (étangs, lacs, marais et autres rizières) (Béarez et al., op.cit. ; Le Sann, 1988). Mais cette propension des pêches professionnelles et du commerce de leurs produits prend son véritable essor au cours de l’époque médiévale, au fur et à mesure de l’émergence politico- économique de puissances conquérantes maritimes, d’abord en Europe du Nord avant de très vite gagner les rives occidentales du continent (Chaussade et Corlay, 1998) puis celles de l’archipel japonais (Doumenge, 1975). En effet, si au cours de cette période les activités aquacoles (principalement la pisciculture d’eau douce de cyprinidés) se développe aussi bien dans les zones humides de Casamance, d’Indonésie que dans les lagunes vénitiennes de l'Adriatique (valliculture) (Carré, 1998a ; Billard, op. cit.), le secteur des pêches maritimes conserve néanmoins sa suprématie productive et commerciale aquatique. Celui-ci quitte progressivement le stade d’un précapitalisme médiéval et se meut en « une activité lucrative à caractère commercial » (mercantile) qui nécessite de plus en plus des stratégies de développement financier et économique (Le Sann, 1998).

Cependant, bien peu de civilisations de par le monde deviennent majoritairement maritimes, les nombreux groupes humains « qui utilisent les richesses littorales [n’ayant] pu pousser plus loin leur évolution » (Doumenge, 1965). Par ailleurs, d’autres civilisations étendues à l’ensemble de la planète, de l’esquimaude circumarctique en passant par celles résidant sur les rivages d’Afrique noire, ou bien encore celles peuplant les mers d’Arabie ou malaises, restent repliées sur elles-mêmes, « figées dans un équilibre statique qui leur permet de subsister sans être aptes à évoluer de l’intérieur » et ne pouvant de ce fait « franchir les cadres de leur milieu physique et biologique originel » (ibid.). Seules les pêches harenguière, morutière et baleinière, qui mobilisent des milliers d’hommes et de navires pour des campagnes proches ou lointaines s’étendant à tout l’Atlantique Nord, font la fortune de nombreuses villes de l’Europe de l’Ouest et du Nord, de la Galice à la Norvège (Chaussade et Corlay, 1990). Simultanément en Asie, de nombreux foyers halieutiques donnent également naissance à de véritables « civilisations de la

mer » (Doumenge, 1965).

1.1.2 Des civilisations de la mer ou l’élaboration d’économies-monde halieutiques

Fort des approches socio-historiques de Braudel et de Wallerstein qui contribuent à situer le processus de mondialisation dans une large temporalité au travers du paradigme « d’économie-monde », son application au monde aquatique fait ressortir que les activités halio-aquacoles fonctionnent plutôt comme des espaces économiques plurinationaux non unifiés, au sein de systèmes où un centre autonome, stable et hégémonique, organise une portion de l'espace planétaire à son profit, en intégrant une périphérie et des marges plus ou

moins lointaines (Braudel, op. cit. ; Wallerstein, 1984 ; 2006). Autrement dit, ces activités se développent au sein d’une portion de la planète économiquement autonome organisée selon un modèle hiérarchique ternaire avec un centre (une grande ville capitaliste, une État-nation « impérialiste ») dominant des périphéries plus ou moins intégrées dans un « développement inégal » (Amin, op. cit. ; Carroué, 2002). Dans le domaine marin, Doumenge identifie plus particulièrement deux principales « civilisations de la mer » qui de par leur dynamisme dévoilent deux économies-monde halieutiques, l’une s’étendant sur une large façade ouest du continent européen – du nord du continent jusqu’au pourtour méditerranéen – tandis que l’autre s’étend autour de l’archipel japonais (Doumenge, 1965).

1.1.2.1 Une économie-monde halieutique ouest-européenne duale mais précoce

Pour Doumenge, cette économie-monde européenne présente un système spatial dual qui repose en fait sur deux sous-ensembles relativement distincts, tant sur les espèces ciblées ainsi que les lieux de pêche fréquentés (ibid.) (figure 3a). Néanmoins, l’ensemble de toutes ces activités marquent profondément la géohistoire de ces pêches et sont à l’origine de l’essor du secteur ainsi que de la structuration progressive d’un véritable espace halieutique continental.

 Le hareng, symbole des foyers scandinaves et anglo-saxons

Si le dynamisme halieutique des peuples scandinaves (norvégien, danois et suédois) et anglo- saxon (anglais, hollandais et allemands) se fonde principalement sur la capture de poissons aptes à la salaison et se combine très tôt avec l’organisation d’un grand commerce au sein même de cette civilisation (ibid.), la grande pêche du hareng fait a fortiori partie intégrante de « l’histoire et de la culture des peuples de la mer du Nord » (Le Bouëdec, 1997).

Durant les XV-XVIe siècles, les efforts capitalistiques dans ce type de pêche s’intensifient

tandis que les profits de son commerce déclenchent la quête de fonds halieutiques nouveaux. L’activité harenguière se déplace ainsi de la Baltique et des détroits danois vers les eaux tempérées froides du nord et de l'ouest, « les parages du Spitsberg, de l'Islande, du Groenland, de Terre-Neuve et la mer de Barents [étant] peu à peu annexés au domaine des pêcheries de l'Europe nord-occidentale » (Besançon, op. cit.). Le développement marchand de cette activité notamment en mer du Nord, longtemps l’apanage hégémonique des marins hollandais qui profitent d'un haut degré de productivité dans la collecte de ce poisson (Wallerstein, 1984 ; Chaussade et Corlay, 1998) s’étend assez vite aux pêcheries très actives anglo-normandes qui défrichent à leur tour les fonds hauturiers de cette immense « mer de harengs », entre le sud de l'Irlande, l'Islande et la côte septentrionale de la Norvège (Besançon, op. cit.).

D’un point de vue commercial, le hareng salé demeure avec le sel et le vin l’une des denrées qui donne lieu à des trafics intenses entre les ports exportateurs de la mer du Nord ou de la Baltique (Cazeils, 1997). « Grande affaire du monde médiéval » (Braudel, op. cit.) et « pilier du grand commerce européen » (Besançon, op. cit.), le hareng salé participe à la construction des premiers ports de pêche ainsi qu’à la croissance urbaine de l’Europe du Nord tout en favorisant la montée en puissance d’une bourgeoisie marchande regroupée au sein de la Ligue hanséatique (Chaussade, 1994). Cette pêche au hareng préfigure d’ailleurs le passage « du

pêcheur au marin [qui] va alors se lancer dans les pêches lointaines à Terre-neuve ou dans l’océan glacial Arctique pour pêcher la morue ou chasser la baleine » (Le Bouëdec, op.cit.).

 Des pêches morutières et une chasse baleinière communes aux deux foyers européens

Conjointement aux « Grandes Découvertes », une des nouveautés majeures du secteur halieutique de la Renaissance réside dans l’expansion des premières grandes expéditions de pêches au large consécutivement aux progrès accomplis dans les techniques de navigation, à l’appauvrissement des eaux littorales européennes ainsi qu’au relatif essor démographique du vieux continent (Besançon, op.cit. ; Chaussade, 1994). Excités par l’appétit mercantile généré

autour du hareng, les pêcheurs de l’Occident chrétien41 – du nord de l'Écosse au sud du

Portugal – sont amenés à s’écarter des lieux de pêche traditionnels pour se lancer dans l'aventure expérimentale des premières pêches lointaines de grands cétacés (baleine et cachalot) (Cazeils, 2000) mais surtout de la morue. En effet, si ce poisson fait déjà l’objet d’un

commerce certain sur les côtes scandinaves au cours des XIe et XIIe siècles, des rivalités

d’accès au « gisement » de mer du Nord poussent très tôt certains pêcheurs nord- européens (norvégiens, hollandais, danois, anglais et français) à déployer des opérations furtives et sédentaires de pêche à la « morue sèche » le long des côtes nord-écossaises (des Orcades aux Shetland) puis islandaises. Mais ce sont surtout vers les bancs très poissonneux de Terre- Neuve en Atlantique nord-ouest que les opérations « errantes » – pratiquée à la ligne à la main

– se multiplient et s’intensifient pour se transformer au cours du XVIe siècle en une véritable

ruée autour de la « morue verte », exploitée par des voiliers (les « harouelles ») immobilisés sur les bancs (Loture, 1994 ; Cazeils, 1997 ; Besançon, op. cit ; Chaussade, 1983).

Sur le plan des échanges, la mise en place de procédés de conservation rudimentaires permet d’accroître considérablement l’aire commerciale de la morue à l’échelle de l’économie-monde européenne. L’industrie morutière ainsi installée engendre de puissants flux commerciaux à travers tout le vieux continent tout en transformant l’usage de ce poisson qui, de « nourriture de première nécessité, devient un formidable produit d’exportation » (Chaussade, 1983). En

41

Cf. le rôle prépondérant du poisson dans l’alimentation des populations catholiques à cette époque (Chaussade, 1983).

Le développement de la pêche morutière sur le littoral français

À l’échelle française, la pêche à la morue acquiert une place prépondérante dans l’économie halieutique nationale et fait vivre « pendant près de cinq siècles, [...] des centaines de milliers de pêcheurs et d’habitants du littoral » (Cazeils, 1997). « C’est ainsi que les pêcheurs de France portent leur industrie dans les parages de l’Islande où elle s’établit dans la première moitié du XVe siècle pour s’étendre, au début du siècle suivant, aux eaux poissonneuses de Terre-Neuve » (Loture, op.

cit.). Après les découvertes de ces bancs par les pêcheurs basques, bretons et normands vers l’an

1500, et les premières expéditions des Dunkerquois en Islande au début du XVIIe siècle, suivis près d’un siècle plus tard par d’autres armements, ce sont des dizaines de ports et de régions côtières (tant atlantiques que méditerranéennes) qui vivent de cette industrie, des chantiers de construction à l’habillage des produits capturés (Cazeils, 1997). Les Bretons s’intègrent également à la planétarisation progressive des échanges qui se développe à cette époque et se retrouvent au cœur d’une interconnexion de flux commerciaux mondiaux et de cabotages intra-européens dont la morue et le sel figurent parmi les produits les plus usités (Le Bouëdec, 2002).

effet, si la morue est massivement consommée dans les régions riveraines des grands lieux de production (Norvège, Grande-Bretagne, Hollande, France, Terre-Neuve), elle trouve également

après préparation (salée en vert, stockfish42, klipfish4) ou non (en frais) un débouché

alimentaire des plus conséquents chez les peuples sud-européens – en particulier méditerranéens (Portugal, Espagne, Italie, Grèce) – ainsi que dans de nombreuses campagnes européennes, avant de pénétrer les régions des Amériques, de Québec jusqu’au Brésil en passant par les colonies antillaises (Loture, op. cit.).

Figure 3a – La double économie-monde halieutique de l’Europe médiévale

De son coté, si la chasse à la baleine, au rorqual et autre cachalot demeure pratiquée par de multiples peuples européens aux moyens de diverses techniques – de l’échouage aux pièges en passant par les armes de jet –, il semble que la pêche industrielle de ces cétacés débute

réellement au XIIe siècle par le biais des Basques français et espagnols (Cazeils, 2000 ; Garat,

1998). Ces derniers cabotent d’abord le long des côtes au sud du golfe de Gascogne où ces « monstres marins » s’aventurent plutôt l’hiver, avant de suivre leurs migrations estivales au

42 Le stockfisk désigne pour Robert de Loture « la morue séchée sans salage préalable », principalement préparée en

large des côtes du Spitsberg et de l’Islande, puis de s’aventurer au cours des XVIe et XVIIe siècles vers les gisements plus lointains d’Amérique septentrionale où ils capturent conjointement la morue (Cazeils, 2000). Néanmoins, ces marins sont confrontés dès le début

du XVIIe siècle à une rude concurrence anglo-saxonne – anglaise mais surtout hollandaise –

qui s’exerce elle aussi à l’intérieur de ces « Indes arctiques » (ibid.). La suprématie hollandaise croissante dans cette ruée baleinière se conforte tout au long du siècle par l’investissement des alentours du Groënland danois et du détroit de Davis ainsi que par certaines restrictions et interdictions de captures, consécutives à la signature de divers traités de paix défavorables aux pêcheurs basques (Utrecht en 1713, Versailles en 1783) (Garat, op. cit.).

Toutefois, la « tourmente spéculative » qui excite ce type de chasse durant les deux premiers tiers du XIXe siècle est largement à mettre au crédit de la découverte et l’exploitation du cachalot par certains pêcheurs américains (Nantuckois) de Nouvelle- Angleterre (Besançon, op. cit.). La géographie baleinière dans son ensemble s’en trouve alors profondément modifiée, les grandes zones de pêche basculant des mers du Nord vers celles du Sud, en particulier le long des côtes brésiliennes, patagoniennes ou australiennes. Cette prépondérance des pêches baleinières vers le sud Pacifique sur celles du nord Arctique impose en retour aux exploitants occidentaux des campagnes halieutiques de plus en plus allongées et périlleuses, pouvant durer pour certaines plusieurs années (Cazeils, 2000 ; Le Bouëdec, op. cit.).

 La sardine et le thon, deux espèces emblématiques du foyer atlantico-méditerranéen

Des rives accidentées atlantiques aux rivages sableux du pourtour méditerranéen, le sud-ouest du continent voit s’éclore et se développer des centres halieutiques dynamiques organisés autour de la capture de multiples espèces (anguilles, loups, dorades...) aux moyens de grands pièges ou de multitudes d'engins artisanaux (Doumenge, 1965). Mais l’unité de cette civilisation septentrionale repose assurément pour Doumenge sur les captures de poissons bleus migrateurs (maquereaux, anchois, sardine, thon). Mais ce sont essentiellement ces deux

dernières espèces qui assurent des prises abondantes aux « Bretons43, Basques, Galiciens,

Portugais, Andalous, Catalans, Génois et Napolitains » et leur permettent « d’y modeler des traditions et des genres de vie millénaires » (Doumenge, 1965).

Si la sardine fait l’objet de captures saisonnières en bordure de Méditerranée depuis l’Antiquité, son exploitation le long des côtes nord-ouest européennes – de la Cornouaille anglaise jusqu’à la péninsule ibérique – débute plutôt au cours du bas Moyen-âge. Entassées dans des barriques, conservées dans une saumure, les sardines y sont pressées pour en extraire une huile destinée aux tanneries et à l’éclairage puis exportée en tonneaux des grands ports commerciaux atlantiques vers les principaux foyers de consommation sud-européens. Plusieurs