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Les divergences d'interprétation nées de l'arbitrage ad hoc

Avant l'adoption de l'AUA, plusieurs États de l'OHADA avaient déjà crée une institution permanente d'arbitrage. Il en était ainsi notamment de la Côte d'Ivoire (la Cour d'arbitrage de Côte d'Ivoire ; CACI, créée en 1997), de la Guinée (la Chambre d'arbitrage de Guinée a été créée en 1998), du Sénégal (le Centre d'arbitrage, de médiation et de conciliation de la Chambre de commerce, d'industrie et d'agriculture de Dakar, crée en 1998). Ces centres d'arbitrage étaient régis par des règlements qui leur étaient propres et inspirés pour la plupart de la Cour d'arbitrage de la CCI. Les principaux acteurs étaient des nationaux et donc le droit applicable était les droits nationaux particulièrement inadaptés aux enjeux des contrats commerciaux. Il convient toutefois de relever que ces centres avaient une activité très réduite voire inexistante à cause du très faible développement de l'arbitrage dans la plupart des États concernés. Ce qui explique l'inexistence de la jurisprudence arbitrale ainsi que sa faible diffusion.

Le Traité OHADA a adopté, le 11 mars 1999 à Ouagadougou au Burkina-Faso, un Acte uniforme relatif à l'arbitrage. Cet Acte uniforme est devenu le droit commun de l'arbitrage dans les États

membres de l'OHADA puisqu'il dispose qu'il a « vocation à s'appliquer à tout arbitrage lorsque le

siège du tribunal arbitral se trouve dans l'un des États parties ».

Le Traité OHADA en créant un arbitrage de droit commun dont les sources sont constituées del'AUA et des dispositions de droit interne non contraires institue l'arbitrage comme mode de règlement des litiges commerciaux. Le recours à l'arbitrage découle de l'autonomie de la volonté des parties. L'arbitre s'attachera prioritairement, dans ce cas, au respect de l'autonomie de la volonté : sa mission consiste à établir puis à sanctionner le contrat conformément aux attentes de celles-ci. Pour mener à bien sa mission, l'arbitre est appelé à interpréter le contrat et le droit applicable. Donc,

l'interprétation des contrats commence à retenir l'attention dans l'arbitrage451. Sans doute le

phénomène ne doit-il pas être isolé du renouveau d'intérêt pour le contrat, qu'il soit interne ou

international, que manifeste la doctrine452, mais plusieurs raisons d'ordre théorique et pratique

semblent propres au contrat international.

451V. Ch. del Marmol et L.Matray, « L'importance et l'interprétation du contrat (dans les relations avec l'arbitrage international) », Rev. dr. Int et dr. Comparé, 1980,158 ; Hormans, « L'exécution du contrat et le comportement des parties », ibid, p.301.

452En matière d'interprétation, V. J. Dupichot, « Pour un retour aux textes: défense et illustration du petit guide-âne des articles 1156 et 1164 du code civil » Études offertes à Jacques Flour, Paris 1979, p.179.

Les contradictions potentielles que l'on peut relever dans l'AUDCG ou les droits nationaux non contraires en dehors des maladresses de rédaction, volontaires ou involontaires ont pour origine la disparité des langages (nous avons relevé que l'AUDCG est traduit en espagnol, en portugais et en français) conduit à des incompréhensions réciproques et à des incertitudes partagées à cause du

choix de la langue (I) de la définition imprécise des termes et des notions (II) et de l'inexistence ou

du manque de diffusion de la jurisprudence des centres nationaux d'arbitrage (III).

I Les divergences d'interprétation nées du choix de la langue du contrat

La disparité des langages porte sur deux phénomènes : les agents économiques appartiennent à des systèmes linguistiques différents et il importe de trouver un dénominateur commun ou la langue qui divise le moins; mais, à côté de la diversité des langues prises comme moyen de communication, l'absence d'un langage technique international unifié dans un domaine où les innovations juridiques sont nombreuses et fréquentes risquerait d'introduire des distorsions graves car, là, elles toucheraient aux concepts. Les acteurs économiques à l'intérieur de l'espace OHADA appartiennent à des espaces linguistiques différents (hispanique, lusophone, francophone). En outre, le droit matériel de la vente commerciale inspirée de la CVIM et du droit civil français a introduit des concepts juridiques nouveaux que les arbitres locaux ne maîtrisent pas. Ces vocables pour la plupart inconnus des systèmes juridiques africains de l'espace OHADA peuvent donner lieu à des interprétations divergentes qui s'écartent même de la portée d'unification du droit dans l'espace du même nom. Enfin, les Actes uniformes doivent être traduits en espagnol et en portugais qui sont, outre le français, les langues de travail de l'OHADA.

La détermination de la langue du contrat est un acte important puisque c'est par ce moyen que les

parties vont communiquer453. Assez souvent la langue du contrat sera aussi celle de la procédure

arbitrale. Les parties ont le choix entre leurs langues officielles et une langue véhiculaire telle que leWolof, (Sénégal) le Bambara (Mali) ou l'arabe (les Îles Comores) venant s'ajouter ou se substituer aux langues officielles que sont le français, l'espagnol et le portugais. La langue véhiculaire est souvent approximative car elle est la traduction par les parties de stipulations pensées dans une autre langue et se rapportant à d'autres concepts. Il ne sera pas rare de rencontrer des contrats rédigés en langue française mais pensés en Arabe, Wolof, Bambara, et utilisant des concepts juridiques français. Il peut en résulter une certaine confusion et des contradictions entre les différentes « versions ».

II Les divergences nées de la définition imprécise des termes et des notions.

Le but poursuivi par les parties est d'utiliser des termes de référence ayant la même signification pour les uns et les autres, mais la recherche d'un vocabulaire commun va bien au-delà de

l'élaboration d'un glossaire en esperanto juridique454. En effet, au-delà des définitions; apparaissent

de nombreux concepts et usages qui sont des règles de fond et qui n'assurent pas la cohérence du système.

La théorie de l'imprévision est un exemple qui illustre bien l'imprécision de certaines terminologies dans l'AUDCG. Dans les contrats internationaux, l'exécution en nature du contrat peut s'avérer très onéreuse pour une partie, en raison d'une modification des circonstances depuis la conclusion du contrat, surtout lorsqu'il s'agit d'un contrat à exécution successive de longue durée.

Les parties peuvent prévoir une clause tenant compte de la modification des circonstances, et

tendant à un aménagement conventionnel de l'imprévision. La clause de hardship, appelée

également clause de sauvegarde, clause d'imprévision, clause de révision, clause de dislocation économique, a pour objet d'organiser un aménagement conventionnel de l'imprévision. Elle joue dans les mêmes conditions que l'imprévision. Ainsi, tout événement qui conduirait à une modification très importante de l'équilibre du contrat implique une nouvelle concertation entre les parties pour rétablir l'équilibre initial.

Le droit conventionnel est muet sur la réglementation de cette clause : on ne trouve rien par exemples, dans la Convention de La Haye du 15 juin 1955 ou dans la Convention de Vienne sur la

vente commerciale internationale de marchandises455.

De son côté, l'AUDCG ne traite pas directement de cette question. Son article 294 précise les cas dans lesquels l'inexécution est excusée, sans mentionner le changement de circonstances rendant

l'exécution non pas impossible mais excessivement onéreuse : « une partie n'est pas responsable de

l'inexécution de l'une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté, tel que notamment le fait d'un tiers ou un cas de force majeure. Constitue un cas de force majeure tout empêchement indépendant de la volonté et que l’on ne peut raisonnablement prévoir dans sa survenance ou dans ses conséquences »456.

Avant d'étudier la clause d'imprévision dans les différents systèmes juridiques qui composent

454Op. cit, note n°453

455 J. Louis Delvolvé : « L'imprévision dans les contrats internationaux », Travaux du Comité français de droit international privé, années 1988-1989, 1989-1990, p.147.

l'espace OHADA, il conviendrait de distinguer « force majeure » et « imprévision » à travers

l'expression « empêchement ».

Un empêchement peut être considéré comme un fait ou un événement rendant impossible tel ou tel acte. C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'article 294 de l'AUDCG recouvre la notion de

« force majeure » et non celle d'« imprévision » ou de « hardship ». En outre, l'article 294 prévoit l'exonération du débiteur victime d'un tel empêchement, alors qu'en cas de hardship la sanction est

généralement la renégociation ou l'adaptation du contrat457.

La plupart des systèmes juridiques et des instruments juridiques internationaux établissent d'ailleurs une distinction entre la force majeure, d'une part, qui rend impossible l'exécution du contrat, et le bouleversement de l'économie contractuelle, d'autre part, qui ne suppose pas une impossibilité

d'exécution, mais une distorsion substantielle des prestations458.

La force majeure suppose, comme pour l'imprévision (hardship), la survenance de circonstances imprévisibles et inévitables. La force majeure s'applique en cas d'impossibilité d'exécution tandis que l'imprévision peut trouver application en cas de déséquilibre des prestations qui aggravent les

charges d'une des parties459. La force majeure libère définitivement ou temporairement le

contractant de ses obligations tandis que l'imprévision tend généralement à la révision ou

renégociation du contrat460.

Il n' y a dans l'AUDCG aucun texte qui permette de fonder expressément la révision du contrat pour imprévision.

Les droits africains d'expression française n'admettent pas la révision du contrat pour imprévision.

La notion de « révision » est demeurée ignorée des rédacteurs des codes civils africains461 à l'image

des rédacteurs du code civil français462. L'article 97 du code des obligations civiles et commerciales

du Sénégal dispose que « Le contrat ne peut être révisé ou résilié que du consentement mutuel des

parties ou pour les causes prévues par la loi ».

tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Enfin, l'article 668 du code civil guinéen dispose que : « Les conventions légalement formées

tiennent lieu de Loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour des causes que la Loi autorise ».

Ces dispositions reprennent celles de l'article 1134 du code civil français.

On en conclut que les législations sénégalaise, malienne et guinéenne ignorent la théorie de l'imprévision comme l'ignore le droit des obligations français. En effet, le droit français tout comme le droit des obligations des États francophones membres de l'OHADA ont mis l'accent sur le principe de l'équilibre contractuel pour bannir la révision du contrat pour imprévision.

A cet égard, l'article 1134 du code civil dispose que « les conventions légalement formées tiennent

lieu de loi à ceux qui les ont faites ». C’est pourquoi la Cour de cassation, dans le très célèbre arrêt

Canal de Craponne du 6 mars 1876463, a rejeté au visa de ce même article, la théorie de

l’imprévision en droit privé.

Dans un contrat où est en cause la théorie de l'imprévision, les arbitres auront du mal à interpréter

457 D. Philippe, « Renégociation du contrat en cas de changement de circonstances dans la vente internationale », Revue droit des contrats, 01 juillet 2011, n°3, p.963.

458 J. Carbonnier, « Les obligations », vol.IV, PUF, 21 éd. 1998, n°144, p.270. Voir également, P.-H Antonmattei,« Contribution à l'étude de la force majeure », LGDJ, 1992, n°118, p.82; P. Voirin, « De l'imprévision dans les rapports de droit privé », Thèse Nancy, 1922, p.81-84.

459Op.cit, note n°458.

460B. Fauvargue-Cosson, « Le changement de circonstances », Revue des contrats, 01 janvier 2004, n°1, p. 67.

461L'article 96 du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal dispose que « Le contrat légalement formé crée entre les parties un lien irrévocable ».

462Ch. Jamin, « Révision et intangibilité du contrat, ou de la double philosophie de l'article 1134, alinéa 1 ducode civil », Dr. Et Patrimoine, mars 1998, p.48.

463De Galiffet c. Commune de Pélissane (Canal de Craponne), Civ. 6 mars 1876 « Dans aucun cas, il n’appartient aux

tribunaux, quelque équitable que puisse paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ».

cette clause. En effet, ils ne trouveront la solution ni dans le droit matériel de la vente commerciale ni dans les droits nationaux. L'absence de réglementation conduira donc les arbitres à interpréter. Nous ne sommes donc pas à l'abri de divergences d'interprétation.

Même si on se baigne toujours dans les eaux calmes du Canal de Craponne, la Cour de cassation française tend à confirmer qu'on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, en consacrant une

obligation de renégociation basée sur la bonne foi, depuis l'arrêt Huard de 1992464.

Il existerait donc des théories qui permettent de justifier l'admission de la révision pour imprévision dans les contrats que nous examinerons dans notre section II.

III L'inexistence et le manque de diffusion de la jurisprudence des institutions africaines d'arbitrage

Nous avons relevé que des institutions d'arbitrage existaient avant même l'adoption de l'AUA. Mais, il convient de rappeler que des centres d'arbitrages ont été également crées après l'adoption du droit uniforme sur l'arbitrage. Tel est le cas du Bénin (le Centre d'arbitrage, de médiation et de conciliation de la chambre de commerce, d'industrie au Bénin et le centre d'arbitrage crée par l'Association interprofessionnelle du coton), au Burkina-Faso (Centre d'arbitrage de médiation et de conciliation de Ouagadougou), au Mali (Centre d'arbitrage de médiation et de conciliation de la chambre de commerce du Mali). Ces institutions sont dotées d'un règlement d'arbitrage assez largement inspiré de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale.

Avec la création de ces centres d'arbitrage, nous pourrions, a priori, penser que le droit uniforme de l'arbitrage a contribué à l'essor de la pratique arbitrale sur le continent africain. Cependant, lorsque nous nous attachons à examiner l'activité de ces centres, nous ne pouvons que constater le très faible développement de l'arbitrage dans la plupart des États concernés. En effet, la plupart de ces institutions permanentes ont une activité très réduite. A titre d'exemples, le centre d'arbitrage du Bénin n'a enregistré depuis sa création jusqu'en 2010 que deux demandes d'arbitrage, celui du Mali dix demandes d'arbitrage. Ils ont donc une activité faible. Leurs sentences ne font donc pas jurisprudence dans la plus part des cas.

C'est pourquoi, même lorsqu'elle existe, la jurisprudence arbitrale ne fait l'objet d'aucune diffusion. Il n'y a pas de véritable jurisprudence arbitrale.

Certes l'arbitrage est par nature confidentiel mais cela n'empêche pas la diffusion par extraits de sentences arbitrales, au moins après avoir obtenu l'approbation des parties. L'attraction d'un centre

d'arbitrage dépend essentiellement de la qualité de la jurisprudence produite par les tribunaux arbitraux fonctionnant sous l'administration du centre.

En conséquence, le moyen le plus adéquat de se faire connaître d'utilisateurs potentiels, d'éviter les interprétations divergentes et la meilleure publicité pour un centre, résident dans la diffusion de sa

jurisprudence.