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1 Problématique

1.7 Les difficultés de l’enseignement des sciences

En didactique, l’enseignement peut être défini comme étant « l’ensemble des activités déployées par les enseignants, directement ou indirectement, afin qu’au travers de situations formelles (dédiées à l’apprentissage, mises en place explicitement à cette fin), des élèves effectuent des tâches qui leur permettent de s’emparer de contenus spécifiques (prescrits par l’institution, organisés dans une discipline…) » (Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013, p. 91). Une définition qui témoigne du passage de programmes centrés sur l’enseignement à des programmes centrés sur l’apprentissage, ce qui rend la transposition didactique interne moins évidente (Granger, 2014).

En pratique, l’enseignant risque d’adopter deux positions vis-à-vis certains savoirs relativement complexes : soit il renonce à en expliquer les détails et se limite au strict nécessaire, comme c’est souvent le cas dans l’enseignement du concept de mole, soit il approfondit les notions dont l’appréhension dépasse le niveau de maturité cognitive de l’élève et espère qu’elles seront comprises plus tard au cours du parcours scolaire (Astolfi et al., 2008).

1.7.1 Les représentations des enseignants et les approches constructivistes

Minier et Gauthier (2006) ont mené leur recherche auprès de six enseignants volontaires du primaire pour repérer leurs représentations de la transposition didactique, identifier leur modèle pédagogique et préciser le lien entre leurs représentations et leur pratique. Les chercheurs ont montré que cinq des six enseignants soutiennent, dans leur discours, l’efficacité des perspectives constructivistes mais appliquent, dans leur pratique, des méthodes transmissives. Ces enseignants apprécient la facilité des méthodes transmissives qui n’exigent ni la conceptualisation, ni la création de liens entre l’expérimentation et la théorie. Mais enseigner un concept ne consiste pas uniquement à le définir mais à établir des liens avec d’autres concepts et à présenter son évolution socio-historique (Azcona, et al., 2002 ; Furio et al., 2000 ; Padilla et Furio-Mas, 2008). Par conséquent, les pratiques traditionnelles risquent de réduire le savoir enseigné à un texte dénudé des dimensions importantes du savoir savant et de le « dramatiser » sous forme d’exposés, au risque de parfois ajouter au savoir savant « des éléments qui n’y sont pas contenus » (Philippe, 2010, p. 94). Ces pratiques expliquent en partie les difficultés d’apprentissage de la mole présentées ci-dessus (section 1.5).

« Apprendre les sciences est quelque chose que les élèves font, pas quelque chose qui leur est fait » (National Research Council, [NRC], 1996, p. 20). Selon cette approche, l’enseignant planifie une situation d’apprentissage au cours de laquelle l’élève peut questionner la nature et chercher des réponses en manipulant et en expérimentant avec du matériel qui lui est familier. Cette approche favorise le développement d’attitudes et d’habiletés scientifiques ainsi que des ruptures épistémologiques et des changements conceptuels chez l’élève et présente le potentiel de rendre le rapport de l’élève aux sciences positif (Thouin, 2017a). Gill-Pérèz (1993) et Hofstein, Maoz et Rishpon (1990) relèvent l’efficacité de l’enseignement à l’aide d’activités ancrées dans des pratiques quotidiennes et enrichies par des démarches expérimentales. Cette approche est plus efficace que la simple vérification de lois scientifiques puisqu’elle mobilise des compétences de haut niveau, alors que la vérification se limite habituellement à une exécution de tâches qui vise surtout le développement de techniques de manipulations (Hattie, 2009). Philippe (2010) confirme que ce processus d’enseignement, selon la stratégie de Decroly, où l’élève confronte des situations réelles globales, favorise une appropriation de savoirs théoriques, abstraits et formels. Allier ces activités constructivistes avec

le contenu des programmes de formation donne plus d’authenticité au savoir enseigné (Hofstein, Maoz et Rishpon, 1990) mais rend la planification de l’enseignement plus exigeante (Granger, 2014).

Toutefois, plusieurs enseignants fuient les exigences des approches constructivistes et ne déploient pas suffisamment d’effort pour acquérir les notions disciplinaires correctes ou enrichir leur culture scientifique et technologique (Thouin, 2017a). De plus, bien que leur formation initiale permette aux enseignants de se familiariser avec ces approches, elle contribue parfois très peu à leur pratique effective qui n’est souvent pas exigée lors des stages dans le milieu scolaire. Par conséquent, plusieurs enseignants évitent de les appliquer, de peur de se sentir démunis face aux questions posées par leurs élèves qui tentent de résoudre des problèmes scientifiques et technologiques (Bachtold, 2012 ; Boilevin, 2013 ; Gill-Pérez, 1993 ; Hattie, 2009 ; Philippe, 2010).

1.7.2 Les pratiques d’enseignement

Il semble que les décideurs institutionnels et politiques ignorent encore souvent les résultats des recherches en didactique des sciences (Weil-Barais et Golfard, 2005). L’idée qu’il suffit de bien maitriser la matière (Weil-Barais et Golfard, 2005) ou de s’y intéresser véritablement (Philippe, 2010) pour bien l’enseigner est toujours assez répandue dans le milieu scolaire. Dans leurs pratiques, les enseignants se heurtent à des obstacles « où se mêlent le sociétal, l’institutionnel et le personnel » (Cifali, 1996, p. 120). Seuls les enseignants réflexifs arrivent à surmonter ces obstacles au fil de l’évolution de leur identité professionnelle (Pérèz- Roux, 2010).

Potvin (2011) propose différentes situations d’apprentissage ouvertes (SAO), chacune étant un problème comportant plusieurs contraintes que l’élève doit surmonter en vivant un conflit cognitif intra-personnel et interpersonnel (dans le groupe). Dans chacune de ces situations, l’élève doit rechercher, sélectionner, justifier et exécuter des choix de solutions. Au cours de l’apprentissage, l’enseignant, concepteur de la situation, vérifie, guide, oriente et argumente pour garantir l’authenticité du savoir enseigné en regard du savoir savant. L’acquisition, par l’enseignant, d’un savoir disciplinaire pertinent, d’un esprit critique et d’une aptitude à travailler en équipe, est nécessaire pour la réussite de ce type de méthodes

d’enseignement. Néanmoins, le développement de telles pratiques enseignantes dépend des formations initiales, des conditions institutionnelles et personnelles ainsi que des formations continues.

Toujours dans cette perspective constructiviste, Brousseau, Brousseau et Warfield (2001) proposent une démarche didactique d’introduction à la probabilité et aux statistiques destinée à des élèves du primaire. Les élèves s’engagent dès la première séance dans la construction de diverses notions. L’enseignante qui participe à la recherche possède les connaissances et les compétences lui permettant de concevoir un environnement propice à la construction du savoir par les élèves et d’éviter la rupture du contrat didactique. Toutefois, la démarche décrite comportait 27 situations didactiques d’une durée de 15 à 30 minutes, ce qui pouvait être considérée comme peu réaliste par la majorité des enseignants et risquait de diminuer grandement leur intérêt pour une telle démarche.

Toutes les recherches de ce genre montrent que pour être en mesure d’appliquer des approches constructivistes, l’enseignant doit bénéficier de conditions favorables sur le plan 1) institutionnel et organisationnel (exemples : ressources humaines, matériel, temps) ; 2) pédagogique (gestion de la classe) et 3) didactique (exemples : gestion du contenu, méthodes d’enseignement). Tenir compte des résultats de ce genre de recherches permet à la noosphère de concevoir des programmes de formation compatibles avec les méthodes d’enseignement qui ont montré le plus d’efficacité pour que l’élève puisse construire le « savoir enseigné » (Duit, 2007, p. 9-10).

Les difficultés d’enseignement décrites ci-dessus, qui sont dues en bonne partie à une certaine méfiance des enseignants à l’égard de la mise en pratique des approches constructivistes, se répercutent dans l’enseignement du concept de mole.

1.7.3 L’enseignement du concept de mole

« La mole permet de “ compter en pesant ” » (Levy, 2015, p. 168). Mais c’est un concept qui a souvent été mal compris des enseignants eux-mêmes, durant leur parcours scolaire, et qui est négligé dans les formations universitaires.

Pour mieux comprendre l’importance d’enseigner le concept de mole en chimie, un aperçu historique sur l’introduction de ce concept, dans les savoirs savants en chimie, peut être

utile. Rappelons tout d’abord, que la chimie est née quand certains alchimistes commencèrent à faire des études quantitatives (Levy, 2015). L’essor de la chimie, nouvelle science, a commencé vers la fin du XVIIIe s. quand Richter, mathématicien a introduit la stœchiométrie en utilisant des rapport de masses (Padilla et Furió-Mas, 2008). Toutefois, cette approche, qui définissait le paradigme d’équivalence en masse, ne pouvait pas expliquer les différentes combinaisons entre deux éléments (comme les différentes formules d’oxydes d’un même métal) (Furió et al., 2000 ; Padilla et Furió-Mas, 2008). Le concept de mole fut introduit, par Ostwald, comme une masse normale dans le cadre du paradigme de l’équivalence en masse. Mais, quand le paradigme atomique, selon lequel la matière est formée d’atomes, fut introduit par Dalton, le concept de mole évolua pour désigner une quantité d’entités chimiques à l’échelle sous-microscopique. Avec cette nouvelle perception du concept de mole, les problèmes de la stœchiométrie ont été résolus et l’analyse quantitative des composés chimiques a pris un nouvel élan (Padilla et Furió- Mas, 2008). Ces liens entre le concept de mole et les autres concepts de chimie, comme la stœchiométrie, les équivalences dans un dosage, l’analyse quantitative, l’atome et autres, sont essentiels, autant dans le savoir savant que dans le savoir scolaire. L’annexe 2 montre les liens que l’enseignant doit tisser entre le concept de mole et d’autres concepts scolaires (stœchiométrie, analyse quantitative, structure de la matière etc.) et souligne l’importance d’enseigner ce concept pour faire construire à l’élève un réseau conceptuel pertinent en chimie.

L’enseignement du concept de mole n’est pas évident puisque d’une part il relie le domaine sous-microscopique abstrait au domaine macroscopique observable et d’autre part il n’est pas mesurable mais calculable à partir d’autres constantes physiques. Pour surmonter ces difficultés, Furió et al. (2002) mettent l’accent sur l’utilité des analogies pour expliquer ce concept. Malheureusement, l’analogie la plus utilisée est celle des douzaines et des centaines d’objets. Kolb (1978) montre que l’utilisation de ces analogies est efficace pour aider les élèves à comparer deux quantités (exemple : 1 mol d’atomes de sodium et 1 mol d’atomes de lithium) et à comprendre le rapport stœchiométrique, mais qu’elles peuvent causer des obstacles didactiques quand vient le temps de comprendre le monde sous-microscopique. Vogel (1992) et Gorin (1994) dénoncent l’utilisation d’analogies dans lesquelles le nombre de l’ensemble est dénombrable (exemple : une douzaine), parce que les élèves risquent de croire que le nombre d’Avogadro est, lui aussi, dénombrable. À noter que plusieurs chercheurs (entre autres, Furió et al., 2000 ; Gorin, 1994 ; Vogel, 1992) considèrent que le nombre d’Avogadro est « non

dénombrable », au sens de presque impossible à compter, puisqu’il est utilisé pour des regroupements d’entités chimiques à l’échelle sous-microscopiques qui sont non observables à l’œil nu et aussi non observables à l’aide d’instruments optiques couramment accessibles. Selon ces chercheurs, il ne faut pas introduire uniquement l’aspect « nombre », puisqu’il n’aide pas l’élève à saisir le sens du concept de mole. Il est préférable d’introduire l’aspect « nombre » et l’aspect « masse » en même temps. Mais les recherches sur le sujet ne mentionnent aucune analogie qui permettrait d’introduire ces deux aspects simultanément.

L’enseignement du concept de mole risque de créer des obstacles didactiques chez les élèves (Furió et al., 2002) en provoquant des conceptions résultantes. Par exemple, étant donné qu’en physique la masse est la quantité de matière, et qu’en chimie la mole désigne une quantité de matière, l’élève risque de construire la conception que la mole est la masse. De plus, les manuels et les enseignants affirment souvent que la masse molaire est égale au nombre de masse A, ce qui laisse également croire à l’élève que A est une masse.

Un enseignement des sciences centré sur les apprentissages ne peut être efficace que si l’enseignant utilise le matériel didactique adopté avec scepticisme et vigilance, vit un changement conceptuel au sujet de méthodes traditionnelles d’enseignement et anticipe les obstacles épistémologiques et didactiques chez ses élèves. Un enseignant qui s’approprie certaines connaissances et compétences professionnelles en investissant dans des dispositifs de formation continue et de développement professionnel a plus de chances d’y parvenir.