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Partie I. L’italo-roman méridional

1.1. Les dialectes Italo-romans méridionaux

Le terme « italo-roman » fait référence aux parlers des Iles et de la Péninsule italiennes qui ont choisi depuis longtemps la langue italienne comme langue « guide ». A l’intérieur du système IR, il est facile de distinguer de nombreux parlers, tellement différents entre eux qu’il n’y a pas d’égaux non seulement en Italie mais aussi dans la Romania et en Europe(Pellegrini 1977).

Dans le diasystème IRM, des variétés italo-romanes côtoient des variétés gallo-italiques. Nous utilisons ici le terme diasystème dans le sens weinreichien du terme12, c’est-à dire dans le sens d’un système linguistique vu sous forme d’hologramme basé sur un modèle cumulatif et distributionnel.

Weinreich avait une vision plutôt hétérogène du système linguistique et ne prévoyait pas de hiérarchisation des variables. Dans son article de 1954, « Is a structural dialectology possible ? », il envisageait des variables étudiées en fonction de principes d’organisation structurale tels que la corrélation, les oppositions, les phonotypes. Le souci était de maîtriser la variation en terme de système projetable dans l’espace et réfléchissant la dynamique aréale de la variation phonologique. Avec cette façon de voir la langue, Weinreich

12 Weinreich, U., (1954), Is a structural dialectology possible? dans "Word" X, pp. 388-400.

apportait un regard nouveau sur la dynamique variationnelle et l’architecture phonologique. Il envisageait un système ouvert, fait d’unités phonémiques discrètes et organisables en ensembles de correspondances interdialectales.

Revenons donc à notre diasystème IRM.

En Sicile il y aurait une vingtaine de variétés gallo-italiques, parmi lesquelles celle de Corleone, point ALI 1021, qui fait partie de notre corpus.

Rohlfs a également parlé de colonies gallo-italiques en Lucanie, plus exactement à Tito, Picerno, Pignola e Potenza(Rohlfs 1997). D’origine gallo-romane (francoprovençale) sont les villages de Celle San Vito, point ALI 818 dans les Pouilles, faisant également partie de notre corpus, et Faeto. D’après Rohlfs, dans le Mezzogiorno italien on observe une très forte expansion des influences de l’Italie du Nord et de la langue nationale en Sicile. Cette région, par son isolement géographique naturel, devrait être à l’abri des courants novateurs alors qu’elle témoigne d’une grande influence de l’italien littéraire qui stupéfait les visiteurs. Ceci est valable aussi pour la Calabre méridionale.

En venant de Naples et la Campanie, on s’aperçoit tout de suite de la disparition des diphtongues qui caractérisent en général les autres régions méridionales et qui sont remplacées par les voyelles. En Sicile on trouve des diphtongues seulement dans quelques variétés comme celle de Palerme où le phénomène de la diphtongaison s’est généralisé comme en Toscane (ex. it.

piede/piedi (pied/ pieds)). En Calabre méridionale l’assimilation de –mb et –nd

> -mm et -nn n’existe pas, tandis qu’elle est toujours présente dans la partie centrale et septentrionale de la Calabre jusqu’à l’Ombrie (ex. [monno] <

mŭndum (monde)). Cette démarcation de la Sicile et la Calabre par rapport au reste du Mezzogiorno, est présente aussi dans le domaine lexical. En général, les mots les plus anciens sont remplacés ici par des mots plus récents. Par exemple, pour indiquer l’agneau, ces deux régions utilisent le mot agnedduà

la place de aino ou aunu. Malgré leur couleur méridionale, ces dialectes présentent des conditions linguistiques plutôt récentes. Cela est probablement dû au fait que jusqu’au Moyen-Age les Calabrais parlaient le grec. Les dialectes romans parlés dans cette zone ne sont donc pas impliqués dans le processus de latinisation mais sont le résultat d’une néoromanisation récente (Rohlf 1933). La même hypothèse pourrait être valable pour la Sicile. En effet, pendant les cinq siècles de domination de l’île par les Byzantins et ensuite par les Sarrasins, la culture latine de la Sicile était profondément affaiblie. Après avoir chassé les Arabes, la latinité a dû être refaite ex-novo (Rohlfs 1969). A cette époque, des populations accoururent vers la Sicile, en provenance de la Ligurie et de l’Italie Padane, mais aussi du Mezzogiorno même, ce qui donna naissance à une forme de néo-colonisation. Le nouvel idiome qui naquit, n’était donc plus le sicilien de l’époque romaine, mais une forme d’italien revêtu d’une couche indigène. C’est pour cette raison que souvent, lorsqu’on compare la Sicile avec l’ensemble du Mezzogiorno, on a l’impression que, le sicilien, qui est le dialecte le plus méridional de l’Italie, est en réalité le moins méridional du Mezzogiorno. La situation de la Sicile est comparable à celle de la Calabre ; l’unique différence est la grande quantité d’hellénismes en Calabre par rapport aux arabismes de la Sicile(Rohlfs 1969). En 1925, au cours d’une enquête de terrain, Rohlfs découvre aussi l’existence de parlers gallo-italiques près de Potenza. En s’appuyant sur l’étude des matériaux offerts par le nouvel Atlante Linguistico-Etnografico d’Italia de Jaberg et Jud, après une étude comparative avec les dialectes de la haute Italie, démontra que les caractéristiques de ce groupe méridional renvoyaient au Piémont. Voici certains des phénomènes qui différencient les dialectes de type septentrional de ceux du type toscan méridional :

Haute Italie > Lucanie

a. VpV > VvV (it. sapeva > [savia] il savait) ; b. VtV > VdV ( it. ruota [roda] roue) ;

c. VcV> VgV (it. amica [amiga] amie).

Une des caractéristiques principales des dialectes gallo-italiques de la Sicile est le traitement cacuminal de –l en position initiale :

-# l > ÍÍ (lat. luna > [ÍÍuna] lune)

On observe le même phénomène à Potenza, où en revanche, nous avons une dégémination de la dentale rétroflexe (lat. linguam > [Íengua] (langue);

lana > [Íana] (laine)).

Un autre phénomène typiquement septentrional (vénitien, piémontais, milanais, émilien) que nous retrouvons dans les variétés gallo-italiques de Sicile et de la Lucanie, est la disparition fréquente de la dentale finale dans les participes passés. On observe en effet les formes sanà à côté de sanádu (guéri), trouvà avec trouvádu (trouvé), volù avec volúdu (voulu).

En ce qui concerne le vocalisme, on observe d’autres phénomènes assez significatifs. Dans tous les dialectes du Mezzogiorno, la voyelle -ĕ du latin reste intacte lorsqu’en finale il y a un -a ou un -e (ex. pĕdem > [pεde] (pied);

mĕlem > [mεle] (miel); tĕpidam [tεpida] (tiède))(Rohlfs 1988), tandis qu’elle diphtongue sous effet d’un –i ou –u (ĕ > ie : pĕdem [pjdi], tĕpidum [tjpidu]).

Dans les parlers gallo-italiques de Calabre, la métaphonie existe mais elle est limitée à l’influence de –i, tandis que –u n’agit pas (ex. apĕrtum > [apertu], apĕrti > [apjerti] (ouvert/ouverts)). La même chose est valable pour la voyelle – ŏ du latin (ex. mŏrtum > [mrtu], mŏrti > [mworti] (mort/morts)). Ces phénomènes sont également présents dans les variétés de Trieste (Vénétie), Canton Ticino (Suisse), Cuneo (Piémont) (Rohlfs 1988).

Tous ces processus s’éloignent donc du système linguistique typique du Mezzogiorno et se rapprochent plus du développement des dialectes septentrionaux. En outre, quasiment tous les phénomènes cités se retrouvent en Sicile. Cette concordance entre les trois groupes du Mezzogiorno laisse entendre que la formation des colonies gallo-italiques remonte à la même époque. Pour la Sicile la période des migrations est fixée entre le XIIe et le XIIIe siècle ; on peut donc supposer qu’à ce même moment, des groupes de colons se soient installés en Lucanie. Il s’agissait probablement de groupes d’hérétiques qui, pour échapper aux persécutions dont ils avaient souffert dans le Piémont, allaient se réfugier dans le royaume de Frédéric II, moins intolérant et moins orthodoxe.

La zone du Cilento, une zone plus montagneuse à l’ouest du fleuve Alento, en dessous de Salerno en Campanie, constitue à son tour une sorte de conjonction linguistique entre l’aire calabro-lucanienne et l’aire grecque de Naples. Le Cilento, situé entre Acropolis et Policastro, se trouvait certainement à une époque dans un milieu linguistique et culturel qui naissait des centres grecs de Paestum et Velia. On peut supposer que, après la destruction de ces deux villes et la dispersion de ses habitants, les éléments d’origine grecque soient arrivés jusqu’aux villes avoisinantes. En effet, les dialectes modernes du territoire Cilentano, conservent certains hellénismes qu’on ne trouve pas dans le nord du Mezzogiorno. Il s’agit en outre d’éléments correspondant aux hellénismes de Calabre méridionale (Rohlfs 988).