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Les phénomènes du corpus :

3.3. Les arbres diachoniques

Nous allons maintenant présenter les arbres évolutifs accompagnés chacun d’un commentaire ayant pour but la description détaillée des différents processus phonétiques et phonologiques qui affectent nos parlers.

Figure 23: graphe de BRACCIO < brachium (bras)

L’arbre ci dessus, comme nous pouvons le constater, a été construit à partir de l’étymon latin brachium qui, dans son évolution successive, a donné naissance à trois branches majeures. L’ancêtre A a évolué en deux directions représentant des processus phonétiques divers: d’un côté (B : [bbra]) en provocant un renforcement de la consonne sonore initiale et en subissant une apocope de la syllabe atone –chiu(m) ; de l’autre côté, il a donné une dyade

(deux sous-branches) composée de a. chute de la consonne bilabiale sonore initiale et successive réduction de la voyelle postérieure haute (-u > ´), en C et D ; b. conservation et spirantisation (comme en J et K) de la bilabiale unies à la palatalisation de la vélaire latine (comme en F) ou à l’affrication (comme en M). En effet, dans l’Italie méridionale, d’après Rohlf (1966), la consonne en position initiale absolue subit très souvent un renforcement emphatique. Dans le cas de /b/ initiale, nous observons plusieurs évolutions : /b/ > /v/ (jusqu’à la ligne Roma-Ancona) ou /b/ > /bb/, ou /b/ > /B/ (Lucanie), ou /b/ > consonne /O/ (Salento) ou encore /b/ > /v/ > /f/ (Lecce, Salento central). Les zones principales dans lesquelles on observe le passage de /b/ > /v/ sont la Campanie, la Lucanie, les Pouilles et la partie septentrionale de la Calabre. La Calabre méridionale est caractérisée par le passage de /b/ à /bb/. Parfois, le calabrais présente une voyelle d’appui qui précède la bilabiale initiale (ex. abbenda = it.

benda (bandage)). Les dialectes méridionaux ne connaissent donc pas, en concerne tous les phonèmes susceptibles d’être palatalisés, sauf les consonnes bilabiales) ; b. une palatalisation due à l’effet de /w/ secondaire, au Ve siècle, qui concerne uniquement les vélaires /k/ et /g/ suivies de voyelles antérieures et qui n’est pas un phénomène pan-roman. Le latin n’avait pas de consonnes phonémiquement palatales mais du point de vue phonétique celles-ci existaient en tant qu’allophones : /k/, /g/ > [k’], [g’] /___ voyelles hautes antérieures ; /k/,

/g/ > [k], [g]/____/a o u/. En résumant, le latin ne palatalisant pas dans ces

La configuration de cet arbre, comme celle de tous les autres, est basée sur la typologie des variétés étudiées. Nous avons suivi les principes établis en amont (continuité aréologique, parcimonie, unitarisme et vraisemblance), qui ont permis une certaine cohérence dans la construction de tous les arbres.

Ceux-ci, auraient pu être conçus d’une autre manière, en faisant dériver, par exemple, J de K dans l’arbre de brachium (> [vračču] > [Bračč]), mais alors la critérologie aurait été différente. Il y a en effet une hiérarchie implicite dans l’ordre des processus. Après avoir défini les branches majeures en fonction des phénomènes principaux comme a. le renforcement d’un côté (BR- > bbr-) et b.

la spirantisation (BR- > Br-/vr-) et c. l’apocope initiale (BR- > r-) de l’autre, les états internes ont suivi une certaine logique évolutive : ainsi, dans la branche spirantisante (J-K), la palatalisation de –CHIUM est suivie de l’affrication et réduction de la voyelle finale ; dans le cas du renforcement nous avons distingué [bbra] de [bbračču] en fonction de leur gabarit syllabique ; cet élément est en effet très utile dans la conception évolutive de l’arbre car il permet de hiérarchiser les différents processus phonétiques et phonologiques.

La figure 24 résume les principaux phénomènes à l’aide de représentations gabaritiques :

Figure 24 : structure gabaritique du mot BRACCIO < brachium (CCV, CV, CCCV)

En résumant, la bilabiale sonore latine dans le groupe T+R (où T = obstruante et R = sonante), peut avoir différentes évolutions (#br > br / bbr / r / vr / βr).

Ces changements produisent une modification du gabarit syllabique qui varie souvent en fonction de la variété diatopique.

Figure 25: graphe de GENGIVA < gengivam (gencive)

Le graphe de GENGIVA présente une structure multiple avec une ramification complexe qui prend en compte l’évolution de la consonne vélaire sonore /g/ en position initiale et en position intervocalique devant voyelle

antérieure. La forme latine étudiée s’est démotivée et la plupart des formes modernes sont des formes hybrides, croisant plusieurs étymons, avec des dérivations secondaires, diminutives. La même structure évolutive de K + e, i, est valable pour l’occlusive sonore correspondante G + e, i, mais elle n’est pas symétrique. Trois processus concernent directement le phonème /g/ + voyelle antérieure haute, en position initiale : a. d’abord une iodisation ; ensuite b. la palatalisation qui peut également aboutir à une affrication /d/, et qui est considérée comme une assimilation des consonnes aux voyelles (Tekavčič 1972) (/g/ > / d’/ > /ğ/ - /d/ ; nous avons déjà abordé ce passage pour la vélaire sourde dans « braccio ») ; d’un point de vue phonétique et articulatoire, l’assimilation des vélaires consiste en un déplacement vers le point d’articulation des voyelles hautes palatales /e, i/. Si on déplace le lieu d’articulation de /k’/ /g’/ vers l’avant dans la cavité orale, nous commençons petit à petit à prononcer /t’/ /d’/ et puis /č/ /g&/. Enfin, c. / g&/ peut aussi évoluer dans le sens d’une fricatisation alvéolaire et post-alvéolaire (/s/ et /š/).

Voici donc la hiérarchisation des processus d’après Tekavičič, donnant vie à une tripartition de l’Italie:

Figure 26: schématisation d’après Tekavičič 1972

En résumant : /g+i, e/ > /j/ > /g&/ > /d/ ou /š/.

Le sarde a maintenu l’articulation vélaire dans les dialectes centraux tandis qu’ailleurs l’articulation a été palatalisée. Le premier degré, très ancien, n’est pas documenté ; le deuxième correspond à l’affriquée pré-palatale /ğ/.

Dans l’Italie septentrionale s’est surtout développé le degré successif /d/ qui a ensuite donné //, avec perte de l’élément occlusif, ou /D/.

Contrairement à l’auteur cité, qui fait dériver /š/ de /g&/ pour les dialectes centre-méridionaux, dans la construction de notre arbre nous avons séparé trois évolutions distinctes : d’un côté le processus de iodisation ([inčili] / [iunčila]) ; puis la palatalisation avec successif renforcement [g&g&ang&i´] qui aboutit à l’affrication sourde [nzinzini] ou sonore [ZinZili]. Dans un troisième bloc, nous retrouvons les formes sibilantes alvéolaires en /s/ ([sang&ia]), à côté des formes post-alvéolaires en /š/. Voici le schéma :

Figure 27: schématisation d’après notre corpus IRM

Notre façon de procéder n’est pas meilleure ou plus logique que celle indiquée par la Grammatica Storica de Tekavčič ou de Rohlfs, mais elle suit les principes adoptés (P1 à P4) et en particulier celui de la continuité aréologique qui se base, nous le rappelons, sur une théorie graduelle de changement dont les étapes sont reconstructibles à partir des configurations spatiales et géolinguistiques des cartes étudiées. En effet, l’articulation post-alvéolaire /š/ se manifeste dans deux points des Pouilles méridionales (le Salento), faisant partie du corpus IRM étudié : les points 882 et 848 ; tandis que la palatalisation se produit dans les points 902 (avec renforcement qui se produit, selon Rohlfs, après un mot qui provoque renforcement phonosyntactique, comme dans le calabrais [a ğğelatu] (la glace), tandis que /š/

passe à /šš/ en apulien) et 818 (précédé de la nasale épenthétique due probablement à l’assimilation avec la nasale précédant la vélaire intervocalique) qui donne ensuite une affriquée (930). Ailleurs46, l’évolution de

46 Nous rappelons au lecteur qu’il s’agit ici du corpus de l’IRM formé à partir des cartes ALI et que celui ne peut être nullement exhaustif.

/g/ initiale latin montre le développement de la fricative alvéolaire sourde /s/

(868, 917, 907, 1021, 828 etc.), faisant partie de la branche apulo-lucano-sicilienne, ou encore un /j/ comme dans 949 ([ĭunčila]).

D’après Rohlfs, ce dernier résultat serait le plus répandu dans l’Italie méridionale, mais en réalité /j/ ne s’est pas conservé dans la partie sud-orientale de la péninsule, où nous avons plutôt eu le passage à /š/, commun, d’après lui, à la Lucanie orientale, au parler de Tarente, au salentin et au dialecte de Bari.

En ce qui concerne l’évolution de /g/ intervocalique devant voyelle palatale (GENGIVAM), celle-ci a conservé son ancienne articulation latine seulement en Sardaigne tandis qu’ailleurs elle s’est confondue avec /j/ latin (MAJUS) ou avec /dj/ (RADJUS) ou encore avec /gj/ (FAGEUS). Ces trois combinaisons ont toutes donné le même résultat : en toscan /g/ > / ğğ/ ; dans les dialectes méridionaux /g/ > /j/ ou /š/ (< /j/). Le premier résultat se manifeste surtout en Sicile, Calabre et Campanie, tandis que le deuxième caractérise notamment la Lucanie orientale et les Pouilles. Dans notre corpus la palatalisation (sourde ou sonore) prédomine et on observe également l’affrication dentale dans quelques cas (930, 818, 1015).

Figure 28: graphe de (lui) GRIDA < critare (il crie)

Le graphe ci-dessus, construit à partir de l’étymon latin CRITARE, présente une structure en triade, où A a évolué en B, puis en C et enfin en E, en générant des branches simplifiées ; E est lié à une dernière branche, G, qui génère à son tour une triade interne. Dans cet arbre nous prenons en compte l’évolution du groupe consonantique latin initial /CR-/ qui, en général, se conserve en italien (it, credere (croire), it, crescere (grandir), it, croce (croix) etc.). Le toscan présente toutefois le passage de la sourde à la sonore (cr- >gr-) et ceci se vérifie aussi régulièrement dans la zone ombrienne et latiale soumise à la lénition (Rohlfs 1933). Dans quelques cas assez rares, le groupe perd l’élément vélaire et évolue en /rr-/ (comme en SalC868 : [rrita] < critare).

L’évolution mise en avant par notre arbre de dérivation, comprend cinq processus : 1. maintien du groupe consonantique latin [krida] ; 2. sonorisation de la vélaire sourde, suivie de 3. renforcement [ggrit´] ; 4. perte de l’occlusive vélaire qui laisse place au renforcement de la liquide [rrita] ; 5. spirantisation de l’occlusive vélaire après sonorisation, qui caractérise notamment tous les points de la Calabre.

En résumant :

Figure 29: résumé schématique des processus

Un autre phénomène qui mérite d’être observé dans l’arbre de CRITARE, est l’évolution de l’occlusive dentale sourde intervocalique qui, généralement, se conserve dans l’Italie méridionale. Or, dans notre corpus, nous observons quatre processus : a. maintien de /-t-/ [rrita] ; b. sonorisation (/-t-/ > /-d-/ [grid´]) ; c. légère spirantisation (/d/ > /Dd/ [ƒridDda]) ; d. rétroflexion (/-d-/ > /-Í-/ [krida]) et e. rhotacisme (/-d-/ > /-r-/ [ƒrira]). D’après Rohlfs, la sonorisation serait plutôt une influence de la langue littéraire. Sur la côte orientale de la Sicile, /t/ > /d/ presque toujours, et dans la colonie gallo-italique de Novara existe aussi le passage à /dd/ (setam > [sidda] (soie)).

Figure 30: graphe de (lui) GRIDA < allocutare

L’arbre de la fig. 30, générant une monade suivie d’une dyade très simplifiée, est le résidu des variantes lexicales du mot relevées dans notre corpus. Compte tenu de deux étymons, nous avons donc été obligés de construire deux arbres différents.

Figure 31: graphe de SUDORE < sudorem (sueur)

L’arbre ci-dessus a été construit à partir de l’étymon latin SUDOREM qui donne naissance à une triade, comme le montrent les trois branchements

principaux. La structure montre l’évolution isolée du francoprovençal [s´ĭaĭ] (point 818 Celle San Vito) d’un côté, et de l’autre côté rassemble les formes appartenant aux autres points du domaine IR étudié. On remarque tout de suite la conservation de la consonne fricative alvéolaire sourde initiale pratiquement pour toutes les variétés, mais cette consonne peut également subir une palatalisation ou une sonorisation dans certains dialectes de cette aire, non attestées dans notre corpus. Pour la consonne occlusive dentale sonore, en position intervocalique, nous observons les mêmes processus que dans l’arbre précédent pour la correspondante sourde : a. le rhotacisme de /d/ > /r/ en Campanie, Lucanie et à Corleone, SicE1021 ([s´ror´], [suror´], [surur]), caractéristique aussi de certains dialectes toscans de la zone de Sienne et Florence ; b. la rétroflexion de /d/ > /Í/ en Calabre et dans le Salento méridional ([suuru], [suura]), comme en Sicile; c. la fricative interdentale en Calabre centrale (930) où on trouve [suDùr´] qui serait une caractéristique commune à l’Italie méridionale, bien qu’elle soit rare dans notre corpus ; d.

l’assourdissement de la dentale sonore ([suture] point 868).

Figure 32 : graphe de RIDERE < ridere (rire)

L’arbre obtenu pour le mot RIDERE présente une structure assez complexe qui met en évidence l’évolution de la dentale sonore intervocalique /d/ du latin, et de la sonante /r/ initiale. Comme pour l’arbre précédent, l’état ancestral A évolue en trois options principales : d’un côté nous avons isolé l’évolution du mot avec apocope de l’occlusive dentale intervocalique et

renforcement suivi de réduction de la consonne sonante initiale ([rriere] point 748 SarC) ; les deux autres branchements principaux ont été configurés en fonction de leur structure syllabique. Le premier (C, I, ....) montre des formes apocopantes avec perte de la syllabe CV intervocalique /–de/ du mot

latin : ([rir´] point 873CamS) et successif allongement

compensatoire de la voyelle haute palatale ( [riir´] point 902BasN, etc.) ou avec perte de la syllabe CV finale /-re/ comme en I ([ridDe]). Enfin, le deuxième branchement prend en compte la conservation de l’occlusive dentale intervocalique, suivie de rhotacisme ([ririri] 949CalC) avec conservation du même gabarit syllabique latin CVCVCV ; ou la dentale sonore latine avec successive rétroflexion (point CalS966) ou assourdissement ([rite=re=] 868SalC), mais avec un rallongement du gabarit dû au renforcement de la liquide en

position initiale ( [rridiri], 1037, 1017 ; [rrit´r´] 818). Les phénomènes qui affectent le phonème étudié dans le mot RIDERE ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui affectent ce phonème dans le mot SUDORE.

En effet, mis à part le rhotacisme, le passage de /d/ à /Í/ est ici beaucoup moins fréquent (point 966), et celui de /d/ à /D/ n’est pas complet ([ridδe] 882SalS). La réduction syllabique à travers l’apocope de la syllabe finale /-re/, semble être, d’après Rohlfs, plutôt une influence de la langue littéraire (Dante utilisait déjà la forme siè pour siede (il s’assoit)). La perte de la dentale sonore a été quelque fois remarquée dans des textes du Moyen-Âge (ex. siennois creo pour credo

(je crois)). La conservation de la dentale sonore primitive est également, probablement, une influence littéraire car le son latin se conserve dans cette langue. Enfin, contrairement à l’évolution de /d/ vers la fricative, constatée dans l’arbre précédent, ici le son /D/ semble avoir continué son évolution jusqu’au développement de la liquide /r/.

Figure 33: graphe de FORTE < forte (fort)

L’arbre de FORTE se développe en triade, avec une structure visiblement séparée entre une forme sicilienne présentant le renforcement de la consonne fricative sourde du latin ([ffuojt] 1021), suivi de diphtongaison de la voyelle moyenne entravée et iodisation de la vibrante /r/. D’après Rohlfs

(1966), ce phénomène est en relation avec le passage de /r/ pré-consonantique à /i/ en Ligurie, devant consonne labiale ou vélaire (coipu < corpus (corps)) ; mais, en Sicile, ce passage se vérifie aussi devant consonne dentale (forte >

[foitti] (fort) et provoque souvent un allongement de la consonne suivante. Le deuxième branchement montre la conservation de la fricative sourde simple du latin ayant perdu la voyelle finale ([fçrt] 930) tandis que la troisième partie de l’arbre se divise en deux sous-branches dont une, avec /f/ simple et alternance vocalique /i/ ou /´/ en finale de mot ; et l’autre avec /ff/ géminé ([fforte] 882).

Figure 34: graphe de ODORE < odorem (odeur)

Encore une structure en triade pour le mot ODORE, qui présente deux parties (B et C) avec la particularité d’une insertion « occasionnelle » de la liquide vibrante entre la voyelle initiale et l’occlusive dentale (848SalN) (probablement par assimilation avec la liquide de la syllabe finale);

et une épenthèse de la consonne nasale après l’apocope de la voyelle initiale pré-tonique (882SalS) qui pourrait être due à une contamination sémantique avec l’article indéfini ([nu#ndoru] (une odeur)). La troisième branche principale (D) développe une gémination du son intervocalique qui sera conservée de la Campanie centrale jusqu’aux Pouilles septentrionales, en passant par la Calabre et la Lucanie. La gémination peut aussi aboutir à une simplification par durcissement et successive rétroflexion de l’occlusive dentale.

Figure 35: graphe de VOCE < vocem (voix)

Le graphe ci-dessus, construit à partir de VOCEM, témoigne de la richesse de variantes présentées par la variable en question. Nous avons ici une structure en triade, avec la troisième branche qui se dédouble en développant, d’un côté, une bifurcation (D –L) avec une structure interne assez complexe ; et de l’autre côté une seule sortie représentée par la forme [çge] appartenant au point 748SarC. Pour le reste, nous avons la branche B avec le point francoprovençal 818 Celle San Vito, le seul à avoir une forme [ŭaĭ], et la branche C représentée par le point 1015, caractérisé par la prononciation renforcée de l’occlusive bilabiale sonore ([bbuči]).

La fricative labiodentale sonore, en général, se conserve en Italie.

Quelquefois elle peut prendre la forme d’une bilabiale, notamment en Lucanie méridionale (ex. [u Bin] (le vin)). La prononciation bilabiale aurait été d’après Rohlfs le point de départ pour le phonème /u9/47 attesté dans la partie septentrionale de la Campanie et en Calabre. Dans le reste de l’Italie méridionale, /v/ et /b/ initiales se sont confondues dans la prononciation [v], qui était probablement auparavant une bilabiale /B/ ; dans les plus anciens textes méridionaux (datés de l’an 960 environ), /v/ est notée /b/. Cela expliquerait également le passage de /v/ à /bb/ après des mots qui provoquent un renforcement phono syntactique de la consonne initiale ([bbuči] 1015SiE).

De plus, la consonne fricative sonore du latin, peut aussi subir une apocope en position initiale : cela peut se produire dans les dialectes siciliens (fait non attesté dans notre corpus), lorsque la consonne précède une voyelle vélaire. En Salentin cette chute n’est pas conditionnée ([uče] 868 SalC ou [enire] (venir), à Lecce SalC). En revanche, après les mots qui provoquent le renforcement

47 /w/ en API

phono syntactique, /v/ ne tombe pas mais elle passe à /bb/ ([e bberde] (il est vert)).

L’arbre prend des directions différentes en fonction de l’évolution de la voyelle qui suit la consonne fricative car, si d’un côté le /o/ ouvert tonique latin se ferme en /u/, de l’autre subit un allongement jusqu’à donner [vaaŭč´] avec dissimilation régressive de la voyelle vélaire48.

Figure 36: graphe de GOMITO < cubitum (coude)

L’arbre ci-dessus, construit à partir de l’étymon CUBITUM, présente un emboitement de dyades et triades internes non négligeable. En effet, après une évolution majeure (ou primaire) de A en B, P et R où l’occlusive vélaire sourde du latin se conserve ou se sonorise, tout en modifiant la structure syllabique par apocope de l’occlusive bilabiale post-tonique ou de la syllabe

48 Cette démonstration montre que ces arborescences sont davantage établies en fonction de critères typologiques et en vertu des trois principes énoncés supra, qu’en fonction des hypothèses philologiques.

post-tonique entière, la variante B suit son cours de façon tout à fait distincte.

Celle-ci, après la sonorisation de la consonne vélaire initiale et la spirantisation de la bilabiale intervocalique ([guB´t] 917BasS), développe une dyade qui en développe une autre à son tour qui aboutit à une triade. Dans cette évolution, la vélaire sonore se spirantise aussi, en passant par une étape intermédiaire entre /B/ et /ƒ/, et en donnant ensuite deux formes spirantisantes distinctes : [BuBitu]

949CalC, qui évoluera en [vuv´t´] 902BasN ; et [ƒuvitu=] 873CamS, qui évoluera à son tour en trois directions : a. assimilation régressive de la vélaire fricative ([FuFtu]) ; b. palatalisation et successive apocope de la consonne initiale ([ĭuvitu], [ùvitu]) ; c. passage de /ƒ/ initiale à /v/ avec apocope de la consonne intervocalique ([vuutu] 848SalN), qui aboutit à une forme apocopante ([uutu] 1025SiE). Ni Rohlfs ni Tekavčić, dans leurs volumes de la Grammatica Storica, ne citent le phénomène de spirantisation qui caractérise pourtant l’occlusive vélaire sourde initiale de notre corpus.

Figure 37: graphe de PIEDE < pedem (pied)

La complexité de cet arbre, obtenu à partir du mot latin PEDEM, montre, pour la consonne intervocalique dentale sonore /d/, le même traitement déjà rencontré plus haut. Ce qui est intéressant à voir maintenant est plutôt l’évolution de l’occlusive bilabiale sourde /p/ en position initiale.

Globalement, les processus mis en valeur par cette configuration sont : a. renforcement de la bilabiale sourde en position initiale (mais seulement dans la variété francoprovençale de Celle818 [ppia] et en Sicile orientale1015

[ppedi]) ; b. conservation de la bilabiale sourde en position initiale suivie, soit du rhotacisme de la dentale intervocalique sonore [pEre] soit de l’assourdissement [pEte] soit de la conservation [pedi] ; c. sonorisation et successive atténuation du son, avec apocope de la syllabe finale ([su bEi], [su

be]).

En effet, si en général, ce son se conserve en toscan, dans certains cas il peut soit évoluer en /b/ en position intervocalique (notamment dans la région du Latium : [u bebe] (le poivre)) ou lorsqu’il est précédé d’une consonne nasale (dans les dialectes méridionaux), soit se renforcer comme en sicilien et calabrais ([ppi]/[ppe] (pour))(Rohlfs 1933).

Or, dans notre arbre, l’allongement de la consonne initiale se vérifie en Sicile (1015SiE), qui présente la forme [ppedi], avec gémination et successive atténuation du son ; et encore dans les Pouilles méridionales, plus exactement dans la variété francoprovençale de Celle San Vito (818ApuS), où nous avons la forme [ppĭa], avec renforcement de la bilabiale et diphtongaison croissante de la voyelle moyenne ouverte tonique /E/ en /ia/, avec abaissement consécutif (/iE/ > /ia/).

En C c’est plutôt la voyelle moyenne ouverte tonique qui diphtongue en /ie/ suivie du rhotacisme de la dentale sonore de la syllabe finale ([pĭer ] 1021SiC).

Dans la deuxième partie de l’arbre (branches D-H-N-Q), qui présente une structure très complexe, la consonne initiale se conserve, sauf pour [bĭ]

(793) et [be] (748) en Sardaigne centre-méridionale.

Ici aussi, la structure gabaritique du mot a aidé à orienter l’évolution :

Figure 38: gabarit syllabique du mot PIEDE < pedem (pied)

Figure 39 : graphe de VEDERE < videre (voir)

Figure 39 : graphe de VEDERE < videre (voir)