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L’espace dialectal salentin : une étude sociolinguistique

Les phénomènes du corpus :

1. L’espace dialectal salentin : une étude sociolinguistique

Avant de nous plonger dans l’étude linguistique et cladistique des données salentines, nous estimons qu’il est important d’essayer de connaître davantage ce domaine dialectal toujours très peu connu par les non-spécialistes. Cette brève étude a pour but de présenter les habitudes langagières des dialectophones salentins à travers les résultats d’une enquête sociolinguistique qui nous permettra d’évaluer le niveau diglossique de la péninsule.

1.1. Débuts et renouveau de la connaissance du Salento dialectal

« Vègnu te lu Salentu e quannu mpunnu parlu dialettu/ e nno bbete filu no/ ca l’italianu nollu sacciu54 » dit un groupe musical salentin qui chante en dialecte la beauté de cette péninsule ainsi que son histoire, ses traditions, sa langue et sa condition de terre du Sud.

La redécouverte que les jeunes salentins font, depuis quelques années, de la langue et de la culture dialectale de leur région est surprenante : elles les charment, les intriguent. Cette fascination parmi les jeunes se manifeste aussi dans la musique : les groupes musicaux qui chantent en dialecte et qui ont surgi dans les dix ou quinze dernières années sont en effet nombreux. Cela nous rappelle que ce dialecte est toujours vivant, et que s’il était naguère encore la marque d’une classe « inférieure », il devient maintenant pour les nouvelles générations un moyen de communication reconnu et même apprécié de tous.Ce changement d’attitude vis-à-vis du dialecte nous a poussés à mener une enquête d’ordre sociolinguistique afin de vérifier le degré d’utilisation actuel du dialecte dans les trois parties - septentrionale, centrale, méridionale - du Salento.

Les premières études concernant les dialectes du Salento remontent à la deuxième moitié du XIXe siècle, époque à laquelle Giuseppe Morosi publiait l’essai intutulé “ Il vocalismo del dialetto leccese” (1874) sur les particularités phonétiques du dialecte de Lecce, chef-lieu du Salento. Cette étude a été plus tard étendue par Salvatore Panareo au dialecte de Maglie dans un travail intitulé “Fonetica del dialetto di Maglie”, publié en 1903. Ces deux études marquaient dèjà les premières différences entre les dialectes propres à la partie septentionale, de type napolitain (Tarante, Brindisi), la partie du chef-lieu de la Terre d’Otrante (Lecce-Gallipoli) et la partie la plus extrême qui était celle du Capo di Leuca, de type sicilien (Ugento-Leuca-Otranto).

De la cladistique à la linguistique.

Dans le cadre de cette étude, nous commencerons d’abord par la présentation des données géographiques et économiques du Salento afin de fournir quelques informations extralinguistiques utiles à la connaissance de l’espace dialectal étudié. Nous présenterons ensuite le questionnaire sociolinguistique, la méthodologie utilisée et le déroulement de l’enquête, ainsi que les résultats obtenus.

1.2. Contexte géographique, historique et économique

La péninsule du Salento, appelée également Terra d’Otranto, englobe la partie la plus méridionale des Pouilles.

Figure 72 : carte géographique de la région Pouilles

Cette région, qui compte environ 19 365,6 Km² d’extension et 3 983 487 habitants55 est limitrophe du Molise au Nord-est, de la Mer Adriatique à l’Est, de la Campanie et la Basilicate à l’Ouest, du Salento et de la Mer Ionienne au Sud (carte fig. 72). Le Salento s’étend de la Soglia Messapica au Capo di Santa Maria di Leuca. Aux extrémités des reliefs des Murge nous avons Tarante et Brindisi, qui marquent la ligne de séparation entre les Pouilles et le Salento. Le territoire salentin est plat avec seulement deux reliefs importants : les Murge et les Serre Salentine, d’une altitude assez modeste qui ne dépasse pas les 200m environ.

L’histoire des Pouilles a longtemps été différente de celle du Salento. Dès le XIe siècle av. J-C. les Pouilles ont été soumises à la domination d’une population appelée Iapigia, divisée en trois groupes : Dauni au Nord, Peucezi au Centre, Messapi au Sud. A partir du Xe

De la cladistique à la linguistique.

La Daunia et la Peucezia constituaient l’Apulia, une région qui connut une période florissante jusqu’à la première moitié du VIIIe siècle av. J-C. A partir de ce moment commença la colonisation grecque, à laquelle la population des Messapiens essaya de s’opposer, et de la Grande Grèce. Tarante fut une des premières, et peut-être la plus importante des colonies grecques, avec Gallipoli et Otrante.

Le Salento subit aussi la domination des Grecs et entre le VIe siècle et le IVe siècle av.

J-C. la péninsule présentait une économie, une culture et une civilisation de type grec. Au cours du IVe siècle av. J-C., les Romains entreprirent la domination de ces populations qui allait durer environ deux siècles. Autour de la première moitié du VIe siècle après J-C ce fut le tour des Byzantins, tandis que les Turcs et les Français arrivèrent dans ce territoire entre 1430 et 1528, suivis en 1600 par les Espagnols qui influencèrent le folklore et l’architecture de cette région (Sobrero et al. 2002).

L’économie du Salento, en revanche, ne se différencie pas beaucoup de celle des Pouilles. Nous indiquerons ici les données économiques essentielles à la compréhension de l'évolution de cette région, en nous inspirant des indices donnés par la Chambre de Commerce de Lecce, chef-lieu du Salento56.

Les trois provinces qui forment le Salento (Lecce, Brindisi, Tarante) présentent des caractéristiques communes. Toutes les trois ont une densité démographique supérieure à la moyenne nationale avec un fort pourcentage de la population juvénile (15,9% pour la province de Lecce, 17,4% pour Brindisi, 17,2% pour Tarante, contre 14,4% au niveau national).

La structure productive des trois provinces est composée de plus de 75% d'entreprises individuelles, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale (59,3%) et elle est l'expression d'un système économique traditionnellement basé sur l'agriculture et sur les activités artisanales et commerciales. Mais, tandis que le commerce et l'agriculture ont un gros impact sur l'économie générale de ces provinces, l'activité artisanale, elle, n'est vraiment répandue que dans la province de Lecce.

L'économie du Salento est en pleine croissance depuis quelques années. En 2002 le taux de croissance des entreprises a été tout à fait surprenant : Lecce était en effet la première province italienne avec un taux de croissance égal à 7,6% par an, grâce au taux de naissance des entreprises le plus élevé du pays (14,1%). Brindisi et Tarante présentent des taux moins

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notamment pour Tarante, tandis que l'occupation dans le domaine de l'agriculture place le Salento dans les premières provinces italiennes (14ème place).

Voici quelques informations concernant les systèmes de production propres au Salento : a. L’industrie textile, avec en particulier la production de chaussettes, chemises, cravates. Les zones de concentrations de ces entreprises sont les villes du Salento méridional. Dans cette même zone est également présente une forte production artisanale, qui est devenue un important facteur de compétition pour le marché interne et international.

b. L’industrie de la chaussure, particulièrement présente dans cette zone grâce au développement des années 1950. Casarano a sûrement été pendant longtemps la ville leader dans cette production avec l’entreprise Filanto (d'Antonio Filograna), actuellement délocalisée dans les pays de l'Est, dont une filiale se trouvait à Patù. A la même famille appartient Adelchi de Tricase (toujours dans le Salento méridional).

c. Le tourisme est présent dans la quasi totalité de la côte salentine (Ionienne et Adriatique).

Ce domaine a connu une forte croissance grâce aussi à l’intensification de la présence étrangère qui a poussé la région à une amélioration des structures d’accueil qui est lente mais progresse constamment.

La production agricole et alimentaire, quant à elle, est répandue dans tout le Salento et est spécialisée dans les produits typiques comme le vin, l’huile, les confitures, les produits laitiers, la farine, les pâtisseries, les pâtes.

1.3. L’utilisation du dialecte en Italie et dans les Pouilles : les données officielles

D’après les résultats obtenus par l’ISTAT suite à des questionnaires effectués au cours de l’année 2000 et confirmés en 2006, nous assistons en Italie, au cours de ces dernières années, à une diminution importante de l’utilisation exclusive du dialecte. Cette exclusivité serait remplacée par l’alternance entre les deux codes (italien et dialecte), ce qui permet donc au dialecte de garder une place dans la communication et dans le patrimoine linguistique de l’Italie, tout en ayant perdu sa priorité. Au niveau national, seul 19,1% de la population parle exclusivement dialecte en famille, 16% avec les amis, 6,8% avec les étrangers. Seulement 6%

de la population italienne parle le dialecte dans les trois contextes.

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- 17,7% des personnes interrogées parlent le dialecte en famille (82,3% parleraient soit italien soit les deux alternativement) ;

- 13,6% des personnes interrogées parlent le dialecte avec les amis (86,4% parleraient soit italien soit les deux alternativement) ;

- 5,6% des personnes interrogées parlent le dialecte avec les étrangers (94,4%

parleraient soit italien soit les deux alternativement).

Cela est valable pour les Pouilles, mais que se passe-t-il dans le cas du Salento?

1.4. Déroulement de nôtre enquête : nos données sur le Salento

Avant de procéder à l’analyse des données exprimées dans les tableaux (cf. annexe 2), et avant d’exprimer nos premières impressions sur l’utilisation du dialecte dans la péninsule du Salento, nous expliquerons comment nous avons réalisé notre enquête.

Compte tenu de l’extension du territoire salentin et des difficultés qu'un travail de terrain peut entrainer, nous avons restreint notre enquête sociolinguistique à neuf villages. Nous avons choisi trois villes (une grande, une moyenne, une petite) dans chaque partie du Salento- septentrionale, centrale, méridionale. Notre choix a concerné les villes de Brindisi, Mesagne, Latiano (Nord) ; Lecce, Nardò, Galatone (Centre) ; Gallipoli, Taurisano, Ruffano (Sud).

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Voici quelques données concernant les villes : Ville57 habitants Km²

Brindisi 91 664 328,4

Mesagne 27 718 122,6

Latiano 15 350 54,8 Lecce 83 237 238,4

Nardò 30 807 190,5

Galatone 15 768 46,5 Gallipoli 20 513 40,4 Taurisano 12 349 23,3 Ruffano 9 465 38,8

Les tranches d’âge choisies ont été les suivantes : moins de 20 ans, entre 20 et 40 ans, entre 40 et 60 ans, plus de 60 ans. 108 personnes ont été interrogées au total, 27 pour chaque tranche d’âge et 12 pour chaque ville.

Les questionnaires ont été effectués pendant le mois d’août 2003 dans les rues, ce qui n’a pas été très facile étant donné la température élevée qui pouvait parfois rendre les gens facilement irritables et donc peu disponibles.

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Nous avons également choisi d’interroger des personnes qui habitaient la ville depuis toujours (une absence d’un an ou deux ans au maximum pouvait être tolérée pour les personnes de plus de quarante ans). Un élément gênant a été le nombre élevé de touristes durant cette période, ou d’italiens émigrés revenus dans leur région pour les vacances.

Cependant nous pouvons affirmer que la plupart des sujets interrogés ont répondu à nos attentes de façon très significative, en intervenant d’abord pour eux-mêmes et en nous aidant ensuite pour la participation d’amis, de collègues ou de membres de la famille. Cette disponibilité a été favorisée par la clarté des questions et par le fait que nous ayons rempli nous-mêmes le questionnaire, en fonction des réponses, sans que les sujets aient à le faire.

Le questionnaire (rédigé et effectué en langue italienne, cf. annexe 1) a été inspiré de celui publié dans Profili linguistici delle regioni (Sobrero 2002) et adapté à nos besoins.

1.5. Présentation des résultats

Nous présentons ci de suite les graphiques récapitulatifs des résultats.

GRAPHIQUE 1