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Les phénomènes du corpus :

3.1.3. La Campanie : ….et encore de l’histoire !

Cette région a une valeur unique dans l’histoire du passage du latin vulgaire à l’italien. C’est en Campanie que s’est fait en réalité le premier pas vers l’enrichissement du système vocalique et c’est de là que partit la diffusion des nouveaux types vers la Sicile, via la mer, et vers les Pouilles et la Calabre par la via Appia. En effet, les modifications apportées à la prononciation des voyelles latines et diffusées jusqu’à Rome grâce à l’apport démographique campanien, commençait avec l’introduction dans l’alphabet étrusque des voyelles /ĭ/ et /ŭ/. Cette dernière finit par remplacer la voyelle /o/, tandis que

l’introduction de la voyelle intermédiaire entre le /e/ et le /i/ augmente le système vocalique qui, par rapport au système pentavocalique du latin, compte désormais six voyelles. Le système latin à cinq voyelles s’est conservé à la frontière méridionale, vers la Lucanie et la Calabre septentrionale. Entre temps, le système symétrique à sept voyelles, s’est affirmé en Sicile et en Calabre méridionale mais, puisque la Calabre septentrionale a resisté en conservant le système à cinq voyelles, voici que celui-ci a du arriver en Sicile par la mer, en passant obligatoirement par la Campanie, le Cilento méridional, en dessous de Salerno, conserve une trace de cette période où on connaît un seul /i/ et un seul /u/. La série symétrique à neuf voyelles s’est diffusée dans toute la Campanie qui présente aussi des voyelles finales très faibles par rapport à celles de la Calabre et du Latium. Seulement dans le Cilento, les voyelles finales sont prononcées de façon tendue (it. sole < sōlem ; it. neve < nĭvem = Cilento : suli, nivi ; Campanie : sol, nev).

Ce phénomène de réduction nous le retrouvons dans notre corpus, à Alfano, en Campanie méridionale, tout comme à Sarno (Centre), où on remarque parfois une chute de la voyelle finale, et Tranzi (Nord) où, en revanche, nous assistons surtout au maintien de la finale comme le montrent les exemples qui suivent.

Les phénomènes du corpus :

873CamS : Réduction de la voyelle finale (V#) moyenne –e et haute – u ; délatérlisation par occlusivation simple (CAPELLOS > [kapidd´]) ; rhotacisme (SUDOREM > [suror´], GENUCULUM > [rinućć´u]) ;

abaissement de la voyelle moyenne mi-fermée (PEDEM > [pr´]) ; spirantisation de l’occlusive vélaire (CUBITUM > [ƒuvitu=], CRITARE >

[rira]) ); spirantisation de la bilabiale sonore initiale et intervocalique.

837CamC : Rhotacisme (PEDEM > [peer´]) ; apocope (BRACHIUM

>[Bračč]) ou réduction (CAPELLOS > [kapid````d`i]) et centralisation de la V#

(ODOREM > [addur´]) ; spirantisation et réduction de l’occlusive labiodentale sonore (VIDERE > [Bẹre]) après bétacisme ; spirantisation et réduction de l’occlusive labiodentale primitive (BOCCAM > [ Bọ@kka]) ; introduction d’une voyelle épenthétique réduite post- tonique (PEDEM > [peer´], RIDERE >

[riir´], DENTEM > [ree=nt`´]).

813CamN: Abaissement de la voyelle comme pour 917 ; rhotacisme (VOCEM > [roč´]) ; spirantisation de l’obstruante dans un groupe consonantique initiale composé de l’occlusive + approximante liquide (BRACHIUM > [vračču]) et palatalisation de l’occlusive dorsale ; apocope d’une syllabe CV entière post-tonique (RIDERE > [rire]) ou de l’attaque de la syllabe tonique avec réduction de la voyelle constituant le noyau (VEDERE >

[v´e=re]) ; palatalisation de l’occlusive vélaire initiale (CUBITUM > [ĭuvitu]) et spirantisation de la bilabiale ; palatalisation de la latérale –L (CILIAM >

[čilèl@u]) et de –LL (CAPELLOS > [kapil@l@@@i]).

Le phénomène qui fait que les dialectes campaniens entrent dans le groupe des dialectes centre-méridionaux est surtout la métaphonie par /ī/ ou /ŭ/

mais qui n’est pas visible dans nos exemples de corpus. A titre purement explicatif, la règle qui régie la métaphonie napolitaine est la suivante : lorsqu’un mot se termine par /ī/ ou /ŭ/, avant que cette voyelle s’affaiblisse,

elle restreint complètement la voyelle précédente : ē > i, ĕ > ie, ō > u, ŏ> uo (ex. pl. mis (les mois), sing. mes (le mois) ; fem. ner (noire), masc. nir (noir).

Pour ce qui est de l’histoire du consonantisme campanien et pour ce que nous pouvons également observer à partir des exemples du corpus, il faut rappeler le rapprochement entre les consonnes –b/-v, -d/-r(l), -g/-j (ex. vocca <

būccam (bouche), vévere < bĭbere (boire), vattere < battŭere (battre)). A côté de cette forme il existe une variante renforcée, -b > -bb que l’on trouve soit dans un contexte de renforcement phonosyntactique (che bbuoi´´´´ (qu’est ce que tu veux)) soit comme issue de la langue littéraire, où elle était prononcée avec beaucoup de zèle (ex. bbiell´´´´ (beau), bbuon´´´´ (bon). Une autre forme de renforcement est donnée par l’introduction en napolitain d’un préfixe -a(b) (ex. abbasca < esp. basca (essoufflement)). Le groupe –br passe également à – vr dans vraccio (bras), vruolo (bouillon).

Parallèlement on observe le passage des consonnes dentales à liquides qui remonte à l’époque ombrienne et qui est arrivé dans le Mezzogiorno via les montagnes. Dans la Campanie septentrionale on dit o dit´´´´ pour « il dito » (le doigt), tandis qu’à Naples o rit´´´´ et à Ischia u lit.

D’autres innovations qui intéressent plus la Campanie entière sont :

Les trois évolutions de –ll : en province de Salerno, où –ll > -dd ([kuo-dd´]ou bien - [cuoÍÍ´] < cŏllum (cou)) ; à Naples, plus conservatrice où –ll > -ll ([kill´] ĕccum ĭllum (celui-là)) ; dans la zone plus septentrionale où on observe un début de palatalisation, -ll > ([ki´] (celui-là).

La triple solution de –l devant consonne : soit elle devient –u (ex. caldāriam > [kauraru] (chaudronnier), soit elle subit le rhotacisme (ex. scalpĕllum > [skarpju] (graveur) soit elle tombe lorsqu’elle est précédée de –u ou de –o (vŏlvitam > [vota]

(fois), pullicēnum > [pučino] (poussin).

Des consonnes dites prosthétiques peuvent apparaître dans des formes désormais privées de la consonne initiale: v devant –a, -o, -u dans la zone de Caserta (u vatt´ ´ ´ ´ (chat), a valina (poule), u valə (coq)), -j devant –e, -i (u jefi´´´´ (palier)). Le –v prosthétique subit gémination dans un contexte phono syntactique (à Naples : sing. o vut´´´´ < cŭbitum (coude) ; plur. e bbot´´´´).

A signaler est aussi la différence de traitement pour les groupes avec –p, fortement palatalisés : -pl > -chj (chiù (plus)) ; -bl > j, avec affaiblissement de la bilabiale sonore (janch´´´´ (blanc)) ; -fl

> š ([šamma] (flamme)). Ce phénomène est probablement dû aux relations maritimes non seulement avec la Sicile mais aussi avec la Ligurie, s’agissant des restes d’un substrat ligurien méditerranéen survécu dans deux aires particulièrement liées à la mer.

Les occlusives sourdes en position intervocalique subissent une lénition après une nasale : -np, -nt, -nc > -nb, -nd, -ng (mondə < mŏntem (mont);

rombə < rŭmpere (rompre); angora < hănc hōra (encore)).

3.1.4. La Basilicate :

L’histoire linguistique de cette région est assez particulière : en effet, si d’un côté, les courants latins successifs qui ont porté le système vocalique de cinq à neuf voyelles se sont arrêtés à la frontière calabraise, de l’autre, le manque de communication terrestre entre Rome et la Calabre a permis, dans la zone méridionale de la Lucanie, la conservation du système sarde à cinq voyelles, sans aucune distinction entre les voyelles ouvertes et fermées. Le /ī/

et /ĭ/ latins sont traités de la même manière, tout comme le /ŭ/ et le /ū/ ; la distinction entre /ĭ/ et /ē/ est conservée au même titre que le /ō/ et le /ŏ/. Ce premier caractère assez conservateur associe la Basilicate à la Sardaigne, mais ce n’est pas la seule particularité. En effet, il existe un système vocalique asymétrique avec distinction d’ouverture pour les voyelles /e/, /o/, /i/, mais pas pour /u/. Mais il existe encore un autre système simplifié, dans la partie nord-orientale de la région (comme dans certaines zones des Pouilles et du Cilento), qui unifie le /ĭ/, le /ē/ et le /ĕ/, le /ŭ/, le /ō/ et le /ŏ/ (Devoto et al. 1991).

Dans la région septentrionale et orientale de la Lucanie, les dialectes s’associent aux dialectes apuliens et napolitains pour la prononciation de la voyelle finale comme /´/ (ex. à Matera on prononce [nak´] < cūnăbŭlam (berceau), [or´] < āurum (or)). Dans la partie sud-occidentale, on observe en revanche une prononciation distincte de type siculo-salentin (ex. à Maratea on prononce [ronna] < dŏminam (femme), [primu] < prīmum (premier)).

Dans la zone de Potenza, les influences gallo-italiques (dont la découverte remonte à Rohlfs et sont d’origine piémontaise et monférrina plutôt

que lombardo-émilienne) ont agit en deux directions : d’un côté, en superposant à la métaphonie ordinaire une métaphonie plus légère, car elle se base seulement sur l’action du /ī/ et non sur celle du /ŭ/, et importée du Nord (ex. sing. porch´´´´ < pŏrcum ( porc), où le /o/ n’est pas influencé par le /u/

final ; plur. purc’ > pŏrci, où le /o/ est influencé par le /i/ final ; sing. zopp <

clōppum (boiteux), plur. zupp) ; de l’autre côté, en introduisant une sonorisation des consonnes intervocaliques (ex. fuoghu (feu), nev´´´´gha (il neige), savé (savoir), cavegli (cheveux) , c´´´´voda (oignon)). Pour la dentale sourde intervocalique, après la sonorisation il peut y avoir rhotacisme (d > r), comme dans cadena > carena < cate##nam (chaine) ou nepode > n´´´´vor´ ´ ´ ´ <

nepotem (neveu).

À travers ces éléments nous pouvons retracer trois aires dialectales en Basilicate, que Melillo a appelées de la façon suivante : aire « apulienne » au Nord-est ; aire « apennine » au Centre-ouest et aire « calabro-sicilienne » au long de la frontière calabraise28.

Les phénomènes du corpus :

917BasS: Apocope ou réduction de la voyelle finale (BRACHIUM >

[Brazz], SUDOREM > [sudor´]) ; centralisation de la voyelle basse (FICATUM

> [fek´t], CUBITUM > [guB´t]) et abaissement de la voyelle haute tonique ; spirantisation de l’occlusive bilabiale sonore (BOCCAM > [Bọč]) et parfois réduction [Bukk] ; affrication de l’occlusive dorsale.

28 Melillo, M., (1955), Atante fonetico lucano.

Nous remarquons dans ce parler correspondant à la ville de San Martino, dans la partie sud-occidentale en provence de Potenza, que la voyelle finale, qui normalement est prononcée de façon distincte, est réduite ou, le plus souvent, éliminée. En revanche, celle-ci est prononcée à la napolitaine (//) dans tous les exemples du parler central de Tricarico (point 907), entre Potenza et Matera, e a Rionero (Basilicate septentrionale).

907BasC: Atérisation de la voyelle moyenne intérieure tonique (PEDEM > [pẹr´]) ; rhotacisme de l’occlusive coronale voisée ; réduction de la voyelle en finale de mot [pẹr´, vç=kk´, kapi=dd´] ; abaissement de *i dans FICATUM > [fE=k´t´] ; affrication dentale (BRACHIUM > [vrazz´] ; spirantisation de l’obstruante dans un groupe consonantique initiale composé de l’occlusive + approximante liquide (BRACHIUM > [vrazz´]) ; délatéralisation médio-palatale (CILIAM > [či=g@g@´]) ; délatéralisation par occlusivation simple (CAPELLI > [kapidd]).

902BasN: réduction de la voyelle en finale de mot et rhotacisme de l’occlusive coronale voisée [per´] ; affrication dentale et spirantisation de l’obstruante dans un groupe consonantique initiale composé de l’occlusive + approximante liquide (BRACHIUM > [vrazz´]) ; délatéralisation par occlusivation simple (CAPELLI > [kapiĭdd´]) ; abaissement de -i dans groupe consonantique O+L > -v.