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Les défaillances des banquiers-prêteurs (51)

Elles sont surtout apparues peu après la naissance des euro-crédits, notamment lors du premier choc pétrolier de 1974.

A cette époque le marché n'avait pas encore atteint sa pleine maturité et beaucoup de banques de modeste envergure s'intéressaient à ces opérations sans avoir les capacités nécessaires et sans prendre les précautions suffisantes; par exemple, octroyer des euro-crédits à moyen terme en se refinancant uniquement par transformation d'échéances (c'est-à-dire par des dépôts ou des emprunts à court terme) n'est pas sans danger quand la banque n'a pas une surface internationale lui permettant de trouver en toute occasion des ressources et d'avoir les moyens de les rémunérer au taux du moment.

D'une façon générale, les défaillances bancaires qui se produisirent en 1974 ne provinrent pas directement des euro-crédits et d'un risque d'insolvabilité des emprunteurs (puisque la plupart des opérations venaient d'être lancées) mais furent le résultat de spéculations abusives sur le marché des changes dans un climat d’instabilité monétaire. Les deux défaillances les plus célèbres de l'époque furent sans conteste celles d'une banque américaine et d'une banque allemande :

Faillite en Juin 1974 de la Franklin National Bank (New York).

Bien qu'étant la vingtième banque des États-Unis, elle ne put se relever d'une (51) – Philippe D’Arvisenet, Finance Internationale, 1983, p. 20.

succession de pertes de change dues notamment à une prévision erronée de baisse des taux d'intérêt qui l'incita à se refinancer à court terme.

Dépôt de bilan en 1974 de la Banque Herstatt.

Il constitua pour le monde financier allemand une brutale alerte. Lorsque le Gouverneur de la Bundesbank ordonna la fermeture de la Banque Herstatt, elle avait non seulement perdu six fois le montant de ses capitaux propres à la suite de spéculations hasardeuses sur les changes, mais elle était aussi en train d'effectuer avec des correspondants diverses opérations qui ne pouvaient plus être débouclées. Il s'ensuivit une certaine panique car des réactions en chaîne paraissaient possibles.

Tout le marché international fut ébranlé à la suite de ces deux affaires, n'oublions pas en effet que la plupart des banques octroyant les crédits à moyen terme en euro-devises doivent emprunter les ressources correspondantes. Or la suspicion régnant, les prêteurs devinrent rares, l'activité financière internationale ralentie et une crise bancaire mondiale fut annoncée par certains.

Les grandes banques reprirent toutefois rapidement le contrôle de la situation mais une nouvelle règle fut désormais établie : ne peut pas être euro-banquier qui veut.. La sélection devint plus sévère et les banquiers plus vigilants tandis que les Gouverneurs des Banques centrales, réunis à Bâle, constataient que les moyens « de fournir temporairement des liquidités au marché étaient disponibles et seraient utilisés le cas échéant » (Communiqué de presse financière internationale du 10 septembre 1974) (52).

Les quelques secousses qui agitèrent ultérieurement le monde des eurobanquiers eurent des causes différentes sans avoir toujours le même impact.

Les événements de 1982 et l'Affaire Ambrosiano.

En 1982, plusieurs faillites ébranlèrent l'euro-marché. Il y eut d'abord celles des firmes de courtage Drysdale Securities à New York et Penn Square Bank à Oklahoma City qui affectèrent à la fois les marchés obligataires américains et euro et des banques (détenant des participations dans ces firmes) aussi importantes que la Chase Manhattan et la Continental Illinois qui étaient parallèlement très engagées dans les trop nombreux euro-crédits accordés à des pays d'Amérique latine, alors incapables de rembourser leurs dettes. Il y eut ensuite et surtout la faillite du groupe Ambrosiano dont le caractère encore plus international mérite quelques commentaires.

Les événements, parfois macabres, de l'Affaire Ambrosiano, dont les tenants et aboutissants ne seront sans doute jamais complètement éclaircis, relèvent des romans de la « série noire », à moins de créer tout simplement un nouveau genre littéraire : la « finance fatale » ! Les morts suspectes sont nombreuses. Le président du Banco Ambrosiano, Roberto Calvi, est, le 18 juin 1982, à Londres, découvert pendu à un échafaudage sous le pont des Blackfriards qui surplombe la Tamise, à l'entrée de la City. Quelques jours plus tard, la secrétaire de Roberto Calvi tombe d'une fenêtre et le 1er octobre le directeur général adjoint, M. Guiseppe Della Cha, fait de même en sortant du Siège social de la banque par une fenêtre du quatrième étage! Les journalistes avancèrent plusieurs hypothèses en guise d'explications : vengeance de la Mafia lésée par des transactions tortueuses ; action des services secrets britanniques désireux de voir cesser le président Calvi financer des achats d'armes de l'Argentine, alors en conflit avec les Anglais aux îles Malouines... Par ailleurs, l'I.O.R. (Institut pour les Œuvres de Religion), c'est-à-dire la banque gérant les fonds du Vatican, fut également soupçonnée d'immixtion dans cette affaire.

Mais laissons là l'aspect anecdotique pour ne pas choquer l'âme sensible de certains financiers afin de voir l'importance du scandale qu'allait déclencher cette affaire dans la communauté bancaire internationale. Le président du Banco Ambrosiano, premier groupe bancaire privé italien, avait créé une filiale au Luxembourg (le Banco Ambrosiano Holding S.A.) qui lui permettait d'accéder au marché de l'euro-dollar sans faire intervenir la maison-mère ; d'autres filiales se trouvaient aussi dans des paradis fiscaux comme les Bahamas (dont l'un des administrateurs était Mgr Marcinkus, responsable de l'I.O.R.), Panama...

Fin août 1982, après l'effondrement des cours des actions de la Société à la Bourse de Milan, est prononcée la mise en faillite de la banque italienne dont le passif aurait atteint plus de 1,5 millard de dollars. Les autorités italiennes prennent aussitôt des mesures pour éponger ce passif dans leur pays ; trois banques nationalisées et trois banques privées italiennes sont contraintes d'assumer l'endettement du Banco Ambrosiano tandis qu'est constituée une nouvelle banque de dépôt, le Nuovo Banco Ambrosiano, dotée d'un capital de 600 milliards de lires.

La faillite s'appliquera évidemment à la filiale luxembourgeoise qui aurait contracté environ 450 millions de dollars auprès de quelque deux cent cinquante banques étrangères. La dilution de cette dette ne la rendait pas dramatique en soi pour l'avenir des créanciers mais elle entraîna chez les euro-banquiers un climat de vive inquiétude. La Banque d'Italie venait implicitement de refuser de couvrir l'endettement des filiales étrangères de la première banque privée de son pays, seules les dettes sur le territoire italien étant prises en compte.

Le principe de cette décision était grave. Fallait-il en effet penser que toute Banque centrale d'un pays industrialisé était en droit de faire totalement abstraction des agissements de ses banquiers nationaux sur l'euro-marché ? La presse financière mit alors en avant un rapport de la B.R.I. de septembre 1975 et resté confidentiel jusqu'en 1979, qu'elle appela «Concordat de Bâle ». En fait l'interprétation de ce rapport comme une promesse d'intervention des Banques centrales en dernier recours était abusive. Mais conclure qu'en cas de difficultés graves, les Banques centrales resteraient passives, pouvait remettre en cause l'existence même de l'euro-marché privé de tout élément sécurisant. Au cours des mois qui suivirent, les banques italiennes intervenant sur l'euro-marché furent pénalisées en acquittant une surprime de 0,125 % sur leurs emprunts tandis que certaines opérations d'emprunteurs non bancaires durent être reportées.

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