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pour financer l’O.P.A sur Conoco (91)

Afin d’utiliser les nombreuses possibilités offertes par les euro-crédits, voyons l’un de ses objets certes exceptionnels mais d’un intérêt financier évident puisqu’il a concerné en 1981 la plus importante opération boursière de tous les temps : “l’offre publique d’achat” sur Conoco par quelques-unes des plus grandes sociétés mondiales.

Pourquoi Conoco fut-elle convoitée ?

Les raisons ont été techniques et financières. Tout d’abord la double activité de la société attirait l’attention : neuvième groupe pétrolier américain (avec un approvisionnement diversifié, notamment au Moyen-Orient et en mer du Nord) ; deuxième producteur américain de charbon (avec des réserves considérables sur le sol des Etats-Unis, estimées à trois siècles au rythme de production de l’époque). Ensuite la sous-évaluation boursière : le cours des actions était de USD 49 début Mai, capitalisant moins de la moitié de la valeur des actifs (91) – Yves Simon et Delphine Lautier, les techniques financières internationales, Ed. Economica,

de la société.

Qui convoita ?

Le premier à se déclarer a été Dome Petroleum. Ensuite de nombreux noms ont été cités : Texaco, Marathon Oil, Standard Oil of California…

En fait trois sociétés jouèrent les rôles les plus actifs : Seagram, société canadienne, numéro un mondial des spiritueux mais aussi multinationale diversifiée ; Du Pont de Nemours, le premier fabricant américain de produits chimiques (et quatrième mondial) en quête d’une intégration verticale par contrôle des matières premières qu’il utilise ; Mobil Oil, troisième compagnie pétrolière américaine et mondiale dont l’activité s’étend sur une grande partie du monde.

Comment convoiter ?

Le moyen retenu a été l’O.P.A (« take over bid »). Les moyens utilisés ont été en partie les euro-crédits.

La bataille boursière fut vive. La première O.P.A est lancée le 7 Mai 1981 par Dome Petroleum qui offre 65 dollars par action pour acquérir 20 % du capital. Le 25 Juin, Seagram surenchérit à 73 dollars par action pour 40 % du capital. Le 5 Juillet vient le tour de Du Pont de Nemours : 40 % du capital à 87,5 dollars par action. Le 11 Juillet Seagram contre-attaque : USD 85 mais pour 51 % du capital.

Passons sur les diverses péripéties pour arriver au dernier venu, Mobil Oil qui pousse l’O.P.A à des niveaux jamais atteints : 51 % du capital pour USD 105 par action le 29 Juillet et USD 120 le 3 Août, soit environ neuf milliards de dollars !

Mais comment proposer de telles sommes ? la plupart des intervenants se retournent vers les banques. Comme toujours pour de pareils montants, l’euro-crédit est la solution.

En Juillet 1981, les statistiques d’euro-crédits connaissent une progression habituelle. Selon la Morgan Guaranty Trust le montant des opérations signées à l’échelon international est de USD 51 milliards en Juillet au moment de l’O.P.A. Une dizaine d’entreprises américaines, toutes liées au secteur pétrolier à l’exception de Du Pont, recourent à l’euro-crédit pour un montant total dépassant USD 40 milliards soit plus de 50 % de l’ensemble des euro-crédits recensés durant l’année 1980 !

Certains journaux spécialisés ont qualifié ces crédits syndiqués d’accumulation de « trésors de guerre » destinés à financer ou, le cas échéant, à repousser d’éventuelles « take over bids » liées ou non à la bataille pour la prise de contrôle de Conoco. En fait, cette O.P.A est intervenue à une période où des opérations ou tentatives de ce genre se sont

multipliées ; citons entre autres, les O.P.A, réussies sur Kenecott et Saint Joe Minerals ou l’O.P.A avortée sur Amax.

Détaillons quelques-uns de ces euro-crédits dont l’objet est la disposition des fonds nécessaires à l’O.P.A. Soulignons que si toutes ces opérations doivent normalement être considérées comme des euro-crédits véritables (car libellées en dollars, à taux flottant et comprenant un syndicat de banques de diverses nationalités), Elles comportent le plus souvent pour le choix du taux d’intérêt de référence une option LIBOR ou prime rate les rendant, dans le second cas, proches des crédits domestiques américains.

Trois des plus gros emprunteurs du mois de Juillet 1981 ne furent pas des postulants officiels au rachat de Conoco, même si leur intervention n’était pas à écarter. Il s’agissait de :

o Texaco : il fut alors le premier à battre le record du plus gros euro-crédit jamais réalisé : USD 5,5 milliards, durée 8 ans, option LIBOR (+ 3/8 les 5 premières années, +1/2 les 3 dernières) ou prime rate (sans spread les 5 premières années, + 1/4 ensuite), syndication de plusieurs dizaines de banques tant américaines qu’étrangères ;

o Gulf Oil qui bat un nouveau record : USD 6 milliards, durée 12 ans pour une tranche de 1 milliard et 4 ans pour celle de 5 milliards, option LIBOR ou prime rate. Le syndicat comprend plus de cinquante banques, dont une trentaine sont européennes ou japonaises ;

o Marathon Oil : USD 5 milliards, 3 ans, LIBOR (+ 3/8 %) ou prime rate « sec » (c’est-à-dire sans spread), syndicat comprenant 57 banques américaines et étrangères ;

o Conoco : USD 3 milliards, 10 ans, option LIBOR ou prime rate ;

o Du Pont : USD 4 milliards à 10 ans, LIBOR ou prime rate, syndicat de 38 banques dont environ moitié de non américaines ;

o Mobil Oil : USD 6 milliards, 8 ans, LIBOR (+ 3/8 pendant 4 ans, + 1/2 % ensuite) sans option prime rate. La totalité des fonds est immédiatement tirée et placée sur des comptes porteurs d’intérêts de plusieurs banques du syndicat. Le syndicat ne comportait, d’ailleurs, que 41 banques (21 européennes, 11 américaines, 4 canadiennes, 5 japonaises), mais la participation de chacune était très élevée :

 Lead-manager ………. USD 325 Millions  Manager ……… USD 300 Millions  Co-manager ………..USD 150 Millions  Participant ……… USD 75 Millions

Nous sommes loin du minimum de USD 1 million habituellement exigé pour être participant de beaucoup crédits. Peut-être faudrait-il distinguer trois sortes d’euro-crédits : le « jumbo », le « regular » et le « baby » ou « mouse loan », le choix entre ces deux dernières expressions étant permis.

Quel fut le dénouement

Pour le comprendre il faut savoir qu’à côté de la bataille financière qui vient d’être évoquée s’est jouée une bataille juridique et politique qui a été capitale pour la décision des actionnaires.

La bataille juridique a été provoquée par Conoco qui souhaitait une fusion avec Du Pont et craignait la réussite de Mobil Oil dont l’offre était plus alléchante. Pour l’évincer, Conoco a demandé, au nom de la sacro-sainte loi anti-trust, au tribunal fédéral de Columbia d’interdire l’O.P.A à Mobil qui aurait constitué, en cas de réussite, un groupe dont le chiffre d’affaires se serait sensiblement rapproché de celui d’Exxon, la première compagnie mondiale. Exxon se déclara d’ailleurs prêt à entrer dans l’arène au cas où Mobil obtiendrait l’accord de l’Administration, c’est-à-dire la mise entre parenthèses de la législation anti-trust. La procédure fut entamée et le dossier alla jusqu’au Justice Department qui imposa un délai de réflexion fatal à Mobil, puisque dépassant la date limite de l’O.P.A de Du Pont.

Le deuxième grand concurrent de Du Pont à éliminer était Seagram. Il succomba dans la bataille politique qui s’engagea sur deux fronts. En premier lieu, l’Emirat de Dubai, où Conoco avait des concessions, fit savoir qu’il lui déplairait que Seagram devienne majoritaire du fait de ses sympathies sionnistes. Deuxième attaque, le Gouvernement d’Oslo, sous la pression des lignes anti-alcooliques, déclara que si le distillateur d’alcool canadien prenait le contrôle de Conoco, les licences accordées dans la zone norvégienne en mer du Nord seraient à revoir.

Devant toutes ces menaces, les actionnaires de Conoco préférèrent tenir que courir et le 5 Août 1981 Du Pont de Nemours annonça sa victoire. Le coût de l’opération était d’environ 7 Milliards de dollars, soit la plus gigantesque OPA de l’histoire, loin devant l’absorption de Belridge par Shell Oil, précédent record se montant à seulement USD 3,6 Milliards.

Finalement, signalons que Seagram n’échoua pas totalement puisque, en cédant à Du Pont les actions Conoco qu’il avait lui-même acquises, il reçut en échange des actions Du Pont qui lui permirent de devenir, avec 20% du capital, le plus gros actionnaire de la firme chimique américaine (92).

Paragraphe VII

Les financements internationaux sous forme d’euro-crédits libellés en ECUS :