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Chapitre 1- Développement du nautisme maritime

1.2. Les conséquences du développement du nautisme maritime

Motivée certes par un besoin croissant de places d’amarrage, la création de

ports de plaisance maritimes a aussi rapidement été perçue comme un enjeu de

développement économique, touristique et immobilier sur le littoral. À partir

des années 1960, les créations de ports et de marinas (réglementées en 1973)

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809 826 immatriculations au 31/08/2003 selon le Département des Systèmes d’Information

des affaires maritimes et des gens de mer (DSI).

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Source : Fédération des Industries Nautiques. Augmentations observées pour les années 2000

et 2001 en France métropolitaine.

sont allées bon train, permettant la constitution d’un réseau d’infrastructures

d’accueil basé essentiellement sur la réalisation de ports lourds. En 2001, La

Fédération des industries nautiques chiffre à 306 le nombre de ports de

plaisance maritimes en France métropolitaine. Il s’agit pour la plupart de ports

d’une capacité d’accueil importante (plus de 300 places), représentant au total

plus de 150 000 postes d’amarrage.

Les ports de plaisance apparaissent progressivement comme de gros

consommateurs d’espace ayant un fort impact sur des sites littoraux d’une

grande qualité paysagère et particulièrement fragiles. À partir de la fin des

années 1970, cette prise de conscience a progressivement complexifié le

montage des dossiers de création de port : obligation de procéder à une étude

d’impact (décret du 12 octobre 1977), concertation nécessaire avec les

riverains (lois du 18 juillet 1985), renforcement de la protection du littoral face

aux aménagements (loi du 3 janvier 1986)… On peut y voir la raison pour

laquelle très peu de sites portuaires nouveaux aient été créés depuis 12 ans

(Trébeurden, Saint-Quay-Portrieux, Port Guillaume).

Une étude plus récente du bureau d’étude Act-Ouest basée sur les chiffres du

ministère de l’Équipement, de la Fédération des industries nautiques et de la

Fédération des ports de plaisance évalue à environ 163 000 le nombre de places

dans les ports et à 60 000 le nombre de mouillages disposant ou non d’une

autorisation d’occupation temporaire (AOT) [Duchêne P., 2003] (fig. 10).

1.2.2. Des ports saturés et une multiplication des sites de mouillage

Si l’on compare la capacité d’accueil des infrastructures de plaisance (223 000

postes) au nombre de bateaux actifs en France (450 000 environ), un

déséquilibre apparaît nettement. Il est évident que nombre d’embarcations

(vedettes de moins de 6 mètres, pneumatiques, jet-ski…) ne demandent pas un

stationnement à flot ; néanmoins le déséquilibre entre l’offre et la demande de

postes d’amarrage est important. Une réalité à laquelle les gestionnaires, les

décideurs et les usagers du nautisme sont confrontés.

La saturation des ports de plaisance n’est pas un phénomène récent : depuis

une dizaine d’années chaque salon nautique donne l’occasion d’un débat sur le

sujet. De grands espoirs ont, un moment, été fondés sur le développement de

ports à sec mais la solution a été un peu boudée par les Français. Il en existe

cependant, surtout en Méditerranée (Martigues, Mandelieu, Marseille, Carnon,

Hyères, Port-Saint-Louis du Rhône…). La question de la gestion de l’offre

portuaire est un problème complexe que nous ne développerons pas ici. Il

s’agit d’un problème national qui recouvre des réalités locales. La plaisance est

en effet un monde multiforme et les attentes varient selon les plaisanciers en

fonction de la taille de leur embarcation, du budget qu’ils souhaitent allouer

pour obtenir une place, de leurs habitudes de navigation (éclusage,

mouillage…), autant de paramètres qui compliquent l’adaptation entre l’offre

et la demande.

Figure 10- Estimation de l'offre de stationnement dans les ports et mouillages sur les

grandes façades littorales métropolitaines en 2003

OCÉAN

ATLANTIQUE

MANCHE

MER

MÉDITERRANÉE

postes au mouillage (AOT ou sauvage)

postes dans les ports (concession de plaisance)

25 %

50 %

75 %

100 %

Capacité totale des sites de plaisance

(nombre de postes d'amarrage) :

Nature et part des structures d'accueil :

9 000

18 500

28 000

65 000

*

Pour ces secteurs l'estimation du nombre de mouillages

mériterait d'être validée.

Sources : FIN, ACT-OUEST, Direction des Transports maritimes des Ports et du Littoral. D'après Ph. Duchêne, 2003.

Conception et réalisation : I. Peuziat, 2004.

Nord, Picardie, Basse et Haute Normandie Bretagne Pays de Loire, Poitou-Charentes, Aquitaine

*

Languedoc-Roussillon (PACA

*

) Corse

*

L'offre de stationnement est variable selon les régions, la Bretagne et la région PACA

représentent à elles seules plus de 55 % des postes d'amarrage français (ports maritimes et

mouillages confondus). On notera cependant qu'en Bretagne l'offre de mouillages est presque

équivalente à celle des places de port alors qu'en région PACA, 96% des places offertes le sont

dans des ports de plaisance uniquement.

Provence, Alpes, Côte d'Azur

Des solutions sont proposées et des projets de créations de port, bien que

limités, voient le jour (Port Médoc). Les perspectives s’orientent davantage

vers des extensions de ports existants, des reconversions de zones portuaires à

la plaisance, une densification des mouillages, des aménagements de ports à

sec. Aujourd’hui, concrètement, on estime à 54 000 le nombre de places à créer

pour satisfaire la demande réelle des plaisanciers [Duchêne P., 2003]. Une

demande qui risque de s’accentuer si la courbe des nouvelles immatriculations

poursuit sa croissance au rythme de ces dernières années.

Cette situation favorise d’une part l’augmentation de la pression sur les cales

de mise à l’eau

10

, d’autre part le développement des sites de mouillage

existants et la création ex nihilo, parfois sans autorisation préalable, de

nouvelles zones de mouillage. Si toutes les régions ne se prêtent pas à ce type

de scénario, la Bretagne, par exemple, avec ses nombreux abris naturels (baies

et abers) et une plaisance essentiellement locale, est particulièrement

prédisposée au développement du mouillage. Il constitue dans cette région près

de 50 % de l’offre de stationnement : 32 000 mouillages, autorisés ou non, ont

été recensés contre 33 000 places dans les concessions de ports de plaisance. Il

s’agit d’une pratique encore peu encadrée, héritée d’usages littoraux anciens

mais qui, avec le développement de la plaisance, ne doit plus être appréhendée

de la même façon. À l’image de toutes pratiques mineures et marginales

devenant une pratique « de masse », de nouveaux problèmes se posent :

conflits avec d’autres usagers (pourquoi un concession de plaisance plutôt

qu’une concession aquacole ?), dégradation de l’environnement, banalisation

des paysages littoraux…

1.2.3. Des conflits d’usages et une pression croissante sur le milieu

L’activité de plaisance consomme de plus en plus d’espace et constitue une

pression supplémentaire, non négligeable, sur des littoraux déjà très convoités

et sensibles. La multiplication des sites aménagés pour l’accueil des bateaux de

plaisance (ports, mouillages…) et l’augmentation du nombre d’embarcations

sur l’eau, en été surtout, ne sont pas toujours bien perçues et génèrent de

nombreux conflits (plus ou moins violents) avec d’autres activités littorales.

Les exemples de conflits d’usages mettant en cause les plaisanciers ne

manquent pas. Parmi les plus souvent évoqués on peut citer les « coups de

gueule » des ostréiculteurs qui retrouvent parfois leurs parcs endommagés par

des pratiques de navigation inadaptées ou encore le mécontentement des

plaisanciers qui considèrent les parcs ostréicoles comme une entrave à l’accès

au littoral par voie maritime. On peut aussi évoquer l’éternelle querelle entre

pêcheurs professionnels et plaisanciers (parfois pêcheurs eux-mêmes de

surcroît) et la difficile reconnaissance, aux yeux des professionnels, d’une

utilisation récréative de la mer et de ses ressources. Sur les littoraux insulaires,

l’augmentation du trafic plaisancier et certaines pratiques génèrent parfois

aussi des dissensions avec les compagnies maritimes assurant la desserte des

îles : les jet-ski jouant dans les vagues générées par les navettes ou les cales

d’accostage encombrées d’annexes et de pneumatiques irritent parfois

10

Pour nombre de plaisanciers l’achat d’une embarcation transportable (pneumatique, petite

vedette ou voilier de moins de 6 mètres) représente une solution souple et moins onéreuse pour

palier le manque de place dans les ports.

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profondément les capitaines des navettes de passagers. Les plaisanciers diront,

quant à eux, « qu’en matière de civilité nautique, les navettes ne montrent pas

l’exemple non plus lorsqu’elles passent à toute vitesse dans les zones de

mouillage… ». On peut ainsi décliner à l’infini les exemples de conflits (le mot

est d’ailleurs, dans la plupart des cas, un peu excessif) mettant en cause les

plaisanciers et d’autres activités (pêche, navigation, protection de la nature…)

mais aussi les plaisanciers entre eux (conflits voile/moteur…). Les conflits

d’usage, qu’ils soient motivés par des intérêts économiques, sociaux ou

culturels, sont presque inévitables lorsque se recoupent des territoires de

pratique. Dans le cas des activités plaisancières, largement individuelles, les

situations de blocage sont relativement rares, en proportion du nombre de

pratiquants, ou localisées. Néanmoins l’organisation de plus de plus fréquente

des plaisanciers en association est souvent l’occasion pour ceux-ci d’afficher

haut et fort leurs revendications d’usagers du littoral.

Enfin, bien que le nautisme bénéficie d’une image environnementale positive

(accès privilégié aux paysages marins, navigation à la voile, etc.) et concerne

souvent des usagers soucieux de préserver un rapport privilégié à la nature, les

impacts sur l’environnement du développement de la plaisance, en termes

d’usages mais aussi d’infrastructures (ports, mouillages…), sont loin d’être

négligeables. La question de la préservation de l’environnement et du

développement des activités nautiques est au cœur de la problématique de notre

travail de recherche, nous l’évoquons donc ici de manière générale et

seulement introductive, en insistant davantage sur la question des ports qui sera

par la suite secondaire dans notre réflexion sur la gestion environnementale des

loisirs nautiques dans les espaces peu ou pas aménagés pour l’accueil des

plaisanciers.

Le constat, dans les années 1970, de la destruction irréversible de milieux

particulièrement riches sur le plan patrimonial (habitats, flore, faune,

paysages…) pour la construction de ports de plaisance, et de stations

touristiques en général, a été le facteur déclencheur de la prise de conscience de

la menace que pouvaient constituer la plaisance et son développement non

maîtrisé pour l’environnement. Alertés par certains excès en matière

d’urbanisation et par la mobilisation d’associations de protection de la nature,

les pouvoirs publics ont initié, à partir de ce moment, une politique de

préservation et d’aménagement de l’environnement littoral. Au nombre des

plus marquants parmi les textes législatifs venus préciser le cadre dans lequel

devait s’inscrire l’aménagement des espaces littoraux, on peut citer :

- la loi du 10 juillet 1975 portant sur la création d’un outil foncier pour la

protection des espaces naturels côtiers, le Conservatoire du littoral ;

- la loi n°76.629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et

instaurant l’obligation de procéder à une étude d’impact pour certains

aménagements (dont les ports de plaisance) ;

- la directive d’aménagement national relative à la protection et à

l’aménagement du littoral du 25 août 1979 ;

- la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en

valeur du littoral.

Ces outils juridiques, auxquels on peut ajouter le décret mouillage du 22

octobre 1991, ont permis de maîtriser progressivement la création des

infrastructures d’accueil pour la plaisance et leurs impacts sur l’environnement

(remblais de zones humides, créations de digues et d’enrochements perturbant

les milieux…). Néanmoins les impacts relatifs à l’entretien, au fonctionnement

des infrastructures de plaisance (dragages notamment) ainsi qu’au déroulement

de l’activité plaisancière (pollution chimique ou bactériologique, destruction

d’habitat par les ancres…) restent très importants. À l’instar des mesures prises

pour maîtriser les aménagements portuaires, il existe aujourd’hui de

nombreuses mesures juridiques visant à remédier ou du moins à prévenir les

impacts de la plaisance sur l’environnement marin. Parmi les textes et ouvrages

de référence on peut citer :

- le code des ports maritimes ;

- la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 ;

- le décret interdisant l’utilisation des peintures marines anti-salissures

contenant des composés organostanniques

11

pour les embarcations de

plaisance ;

- les décrets de 1979 et 1987 portant respectivement sur la récupération des

huiles usagées et sur la mise en vente et le déversement de détergents ;

- enfin le décret de 1996 réglementant les normes de construction et de vente

des bateaux de plaisance.

Il s’agit néanmoins de textes « épars », généralement non spécifiques à la

plaisance, dont il est difficile pour les gestionnaires d’avoir une vision globale

et de mesurer l’application.

Les enjeux de la préservation de l’environnement face aux développements de

la plaisance aujourd’hui dépassent largement le contexte des concessions

portuaires, dont le caractère naturel a souvent été irrémédiablement réduit et

l’environnement largement pollué par des substances rémanentes.

L’augmentation du nombre de plaisanciers, les nouvelles technologies

appliquées aux instruments de navigation (Système de positionnement par

satellite, traceur de carte), la motorisation importante des bateaux (même les

voiliers) sont autant de facteurs qui favorisent l’augmentation de la pression

exercée par les activités nautiques sur des espaces littoraux jusqu’alors

relativement préservés et d’un intérêt patrimonial fort. Parmi les sites

particulièrement exposés aux activités plaisancières, les îles et les archipels

accessibles à la journée depuis les ports et mouillages continentaux

apparaissent au premier chef. Or dans le contexte actuel de conservation de la

nature au plan national, européen, et international, la prise en compte des

activités nautiques et de leurs impacts dans la perspective d’une gestion

environnementale durable semble nécessaire et inévitable. La plaisance doit

pour cela être appréhendée de manière plus large, en termes de fréquentation

nautique de plaisance.

11

Un composé organique de l’étain (organostannique), le tributylétain (TBT), présent dans les

peintures marines anti-salissures utilisées sur les coques des navires avant ce décret n° 85-233

du 12 février 1985 (abrogé par celui du 2 octobre 1992), a été identifié comme responsable de

perturbations importantes dans la reproduction et la croissance des mollusques.

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