Chapitre 1- Développement du nautisme maritime
1.1. Développement et diversification de la plaisance
La plaisance, le nautisme, les loisirs nautiques, autant de termes utilisés
presque indifféremment pour qualifier ce qui a trait, de près ou de loin, à la
navigation pour le loisir à partir d’une embarcation ou d’un engin se déplaçant
sur l’eau.
Mais peut-on parler de plaisance pour qualifier le canyoning, le terme nautisme
est-il approprié pour parler de la croisière hauturière ? La plaisance pour un
juriste recouvre-t-elle la même réalité que pour un géographe, un économiste et
un sociologue…? La question des termes, de leur définition et de leur limite
mérite d’être posée en préalable.
Le mot plaisance recouvre initialement les activités pratiquées pour l’agrément,
pour le loisir : résidence de plaisance, camping-car, aviation « de loisir » et
bien évidemment la navigation de plaisance à bord d’une embarcation à voile
ou à moteur qui par extension est devenue « La plaisance ».
D’une manière générale trois critères sont communément reconnus pour
qualifier La plaisance : le moyen (l’embarcation) ; l’objectif (le loisir) ;
l’espace, ou l’élément (l’eau). Selon les définitions ou les approches,
l’importance de chacun des critères peut varier.
En droit, par exemple, l’embarcation et son registre d’immatriculation sont les
premiers critères retenus. On parlera de plaisance ou plutôt de navigation de
plaisance pour qualifier les activités utilisant une embarcation de plaisance,
c’est-à-dire relevant du registre d’immatriculation « plaisance » et non pas de
celui du « commerce », de la « pêche », ou de l’ « armée ».
Dans la navigation de plaisance, le droit distingue la plaisance professionnelle
de la plaisance récréative. Ainsi, les charters à la journée ou les voiliers loués
avec équipage font partie de la plaisance professionnelle, et les mêmes
embarcations louées sans équipage sont inclues dans la plaisance récréative. Le
critère n'est donc plus uniquement l'embarcation, mais aussi le caractère
professionnel (rémunéré) ou non de l'équipage qui mène l'embarcation.
Si la plaisance fait référence aux embarcations de plaisance et de voile légère,
l’administration a su s’adapter à la multiplication et la diversification des
embarcations utilisées. Les Affaires maritimes utilisent volontiers le terme
loisirs nautiques pour évoquer les statuts particuliers des véhicules nautiques à
moteur (jet-ski), des planches à voile, des kayaks… dans la réglementation.
Aussi peut-on considérer comme relevant de la plaisance toutes les
embarcations d’agrément à voile ou à moteur non considérées comme engin de
plage : il s’agit, d’une part, des dériveurs et petites embarcations à moteur de
23
plus de 3,70 mètres ou possédant un moteur de plus de 4,5 chevaux, et d’autre
part des embarcations de croisière d’une taille inférieure à 25 mètres (voile,
moteur).
La plaisance peut être fluviale ou maritime, c’est pourquoi les juristes
préféreront utiliser le terme neutre « embarcation », le bateau étant réservé au
domaine fluvial et le navire au domaine maritime. Dans le cadre de notre étude
nous utiliserons indifféremment les termes embarcation, bateau ou navire pour
parler de la plaisance maritime.
Le nautisme stricto sensu est l’ensemble des pratiques de sport se déroulant sur
l’eau. Le critère prédominant ici est moins le type d’embarcation utilisé que le
caractère récréatif de l’activité (le terme « desport » en ancien français signifie
amusement). Ainsi, une course en annexes, par exemple, peut relever du
nautisme mais pas de la plaisance puisque l’annexe est considérée comme
engin de plage. Le nautisme serait un loisir pratiqué sur l’eau, impliquant un
exercice physique et pouvant donner lieu à des compétitions. Mais il recouvre
en réalité un éventail très large d’activités, de la balade en mer ou en rivière à
la glisse « fun », en passant par la pêche de loisir, la croisière, la voile sportive,
la course hauturière ou le motonautisme [Duchêne P., 1995]. Certains auteurs
considèrent aussi dans le nautisme les pratiques de plage comme le char à voile
ou le speed sail… [Bernard N., 1997].
Les loisirs nautiques et le nautisme recouvrent des réalités très proches même
si le terme « loisirs nautiques » fait peut-être moins référence au caractère
sportif des activités qu’il considère. Il s’agirait en quelque sorte du nautisme
sans introduire la notion d’exercice physique ou de compétition. On notera par
ailleurs que les loisirs nautiques se distinguent des loisirs aquatiques qui se
pratiquent dans ou sous l’eau.
On observe que l’utilisation des mots plaisance, nautisme ou loisirs nautiques
relève d’une distinction terminologique mettant en évidence l’évolution de la
plaisance au sens large, à savoir sa diversification, mais qu’ils recouvrent des
réalités très proches fondées sur un aspect structurel (le loisir), un aspect
fonctionnel (l’embarcation), et un aspect spatial (surface de l’eau).
Dans les travaux de recherche réalisés sur le thème de La plaisance, quelles
que soient les disciplines à l’exception de travaux réalisés en droit s’attachant
justement à l’évolution juridique du statut de la navigation de plaisance
[Vachet P., 1969], aucune distinction réelle n’est opérée dans l’utilisation des
différents termes. En sociologie ou en Sciences et techniques d’activités
physiques et sportives (STAPS), par exemple, La plaisance est souvent étudiée
dans le champ des loisirs sportifs [Michot T., 1998, Sardou C., 1995] et un
éventail très large d’activités est considéré. Les géographes étudient eux-aussi
généralement La plaisance dans son sens le plus large et dans un espace donné
(une baie, un port, un bassin de navigation…) [Bernard N., 1993, Clerc
Giraudo C., 2002, Retière D., 2003]. On notera parfois l’utilisation du terme
loisir sportif en géographie pour réduire le champ d’étude à une ou plusieurs
activités nécessitant une embarcation ne relevant pas directement de la
définition juridique de bateau de plaisance (le surf, la planche à voile…)
[Augustin J.-P., 1994].
1.1.2. Le modèle français : du yachting à la plaisance
Le yachting apparaît au XVII
esiècle aux Pays-Bas, où la prospérité
économique, l’existence de plans d’eau abrités et l’agrément croissant que
trouvent les membres de la cour royale hollandaise dans les promenades en
voiliers encouragent ce loisir, favorisé également par les progrès techniques,
notamment en matière de construction navale. Le roi d’Angleterre s’intéressera
à ce divertissement et quelques régates seront organisées dans les cercles de la
noblesse. Aux XVIII
eet XIX
esiècles, le yachting fait progressivement des
adeptes dans toute l’Europe, les États-Unis, le Canada, l’Australie.
En France la première société nautique est créée en 1838 (la Société des
régates du Havre) mais le yachting et la navigation pour le loisir demeurent
jusqu’à la seconde guerre mondiale une activité réservée aux milieux aisés, aux
yacht-clubs et aux sociétés de régates. L’image d’un yachting pour les riches,
souvent associée à un certain snobisme, ne doit pas faire oublier que les
bateaux et la navigation sont pour la plupart des adeptes d’abord une passion,
comme l’évoquent les propos de Virginie Hériot
7: « quel grand bonheur
d'avoir pu échapper à cette vie de luxe, à ses mondanités et à ses corvées […].
Je me suis mise à aimer les bateaux comme des êtres chers » [Hériot V., 1923].
Ainsi jusqu'au milieu du XX
esiècle les propriétaires de bateaux de plaisance ou
plutôt de yachts s'appellent Rothschild, Charles Schneider avec le superbe
ketch Ailes Blanches, Jean Marin, président de l’AFP, l’ancien ministre
Aymar-Achille Fould, Marcel Chassagny le fondateur de Matra, Cointreau,
Hennessy, Bolloré [Barrault J.-M., 2002]. En marge de ces yachts
spectaculaires, la navigation pour le loisir est une activité pratiquée par des
navigateurs amateurs sur des petits voiliers ou des pêcheurs qui se satisfont de
promenades à la journée entre amis ou en famille.
À partir de 1950 et surtout des années 1960, tout ira très vite pour la France et
son destin nautique. Selon les chiffres du Secrétariat d’État à la Mer le nombre
de bateaux de plaisance immatriculés est passé de 20 000 à 552 000 entre 1951
et 1981. Ce chiffre atteint aujourd’hui près de 800 000 unités qu’utilisent
quatre millions de pratiquants ; on est dès lors bien loin du yachting circonscrit
à un petit cercle de familles fortunées ou d’amateurs. Cette croissance
spectaculaire de la plaisance en France est liée à de nombreux facteurs qu’il est
difficile d’isoler mais dont les effets conjugués ou alternés ont joué un rôle
important dans l’évolution de la demande d’activités tournées vers la mer.
•Une ouverture sur la mer pour le loisir
Dès le milieu du XX
esiècle les loisirs de nature et le tourisme social se
réclamant peu ou prou des « trois D », « fonctions majeures du loisir » selon
Joffre Dumazedier : délassement qui délivre de la fatigue, divertissement qui
délivre de l’ennui et développement de la personnalité qui délivre des
7
Navigatrice, Virginie Hériot (1890-1932) est la fille du Commandant Hériot, richissime
25
automatismes de la pensée et de l’action quotidienne, trouvent écho auprès des
Français [Dumazedier J., 1962, Richez J.-C., Strauss L., 1995].
Parallèlement se développent et s’organisent des structures associatives pour
favoriser les loisirs pour tous : des temps de repos pour vivre autrement, hors
de son environnement quotidien et autour d’une vie sociale. C’est dans ce
contexte qu’en 1947, dans le cadre du Centre de formation international (CFI),
Philippe Viannay installera un premier camp sur l'île du Loc'h dans l'archipel
de Glénan où les anciens déportés et enfants de déportés pourront se reposer
aux îles et apprendre la voile. Le CFI deviendra quelques années plus tard
l’école de voile Les Glénan. En 1965 le rapprochement de l’Union des centres
de montagne et de l’Union nautique française marquera la création de l’Union
des centres de plein air (UCPA). Ces deux associations constitueront les deux
piliers de la vulgarisation du nautisme.
La découverte de la mer par une jeunesse en quête de loisirs sportifs et de
nature est confortée par la littérature et la médiatisation d’événements
nautiques. Flammarion publie les marins : la circumnavigation de Le Toumelin
sur Kurun, les aventures du cap hornier Bardiaux sur Les 4 Vents, et en 1961
La longue route de Bernard Moitessier. Le Bulletin du Yacht club de France
ainsi que les revues Le Yacht, les Cahiers du Yachting, Bateaux et
Neptune-Nautisme sont déjà à la fin des années 1950 les porte-parole des navigateurs et
des passionnés. La victoire d’Éric Tabarly sur Pen Duick IIdans la transat de
1964 est largement médiatisée, encourageant ainsi les Français dans la
course-croisère.
•
Technologie et équipements au service de la plaisance
Le milieu du XX
esiècle est aussi marqué par des progrès technologiques
importants dans la fabrication des bateaux. En effet les chantiers qui jusqu'alors
n'imaginaient d'autres constructions qu'en bois, bordés sur membrures, selon
une technique qui n'avait guère varié depuis des siècles, envisagent le
contreplaqué et, dès la fin des années 1950, le polyester [Barrault J.-M., 2002].
À partir des années 1960 naît en France une industrie nautique de plaisance :
les chantiers Bénéteau, Jouët, Lanaverre développent leur filière construction
de plaisance en utilisant ces nouveaux matériaux. En un demi-siècle s’est ainsi
constituée une industrie nautique française performante, dans un premier temps
largement appuyée sur son marché intérieur (72 % des ventes en 1981) [Decré
B., et al., 1989], et qui s’est par la suite imposée sur le marché mondial (fig. 3).
Elle a su s’adapter aux réglementations rigoureuses et tirer parti des retombées
des grandes courses au large. Les victoires remportées par des sportifs tels que
Poupon, Jeannot, Pajot sur des prototypes de conception et de construction
françaises (Fleury Michon, Crédit Agricole, Elf Aquitaine) confortent la
réputation internationale des bateaux français et sont à l’origine d’innovations
technologiques qui ont pu, par la suite, être transposées sur la production
destinée au grand public [Decré B., et al., 1989]. La construction de bateaux
représente aujourd’hui un chiffre d’affaire de plus de 800 millions d’euros hors
taxes [FIN, 2002], et la France est le second constructeur mondial de bateaux
de plaisance : 1
errang mondial pour la construction de voiliers avec le groupe
Bénéteau-Jeanneau © et pour les bateaux pneumatiques avec la société
Zodiac © (fig. 4). Parallèlement les organisations publiques impliquées dans
l’aménagement du territoire et les promoteurs privés suivent l’évolution de la
0
200
400
600
800
1000
Figure 4- Evolution du chiffre d'affaire annuel de la construction de bateaux de plaisance
en France entre 1985 et 2003 (hors entretien et réparation)
en millions d'euros HT
Source : FIN, estimation pour 2003
285 316
338 366
442 489 424
355
321 330 345 319 354
465
557
671
878 902 905
0
100
200
300
400
500
600
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 1986 1985 1987 1988 1989 2003Source : FIN, estimation pour 2002
en millions d'euros HT
Figure 3- Distribution des ventes de la production française de bateaux de plaisance
entre 1992 et 2002 (hors entretien et réparation)
France Export