Chapitre 4- Présentation de l’archipel de Glénan
5.1. L’étude de fréquentation appliquée aux activités nautiques de loisir :
5.1. L’étude de fréquentation appliquée aux activités nautiques de
loisir : approche méthodologique.
Aborder la fréquentation, même touristique, comme objet d’étude ne relève pas
du domaine strictement géographique. Les économistes, les sociologues, les
biologistes… ont en effet eux aussi recours aux études de fréquentation dans
leurs domaines de recherche scientifique. Les méthodes et techniques utilisées
par les géographes pour étudier la fréquentation touristique (entretiens,
questionnaires, comptages, observation…) relèvent des sciences sociales, donc
de la géographie, mais pas exclusivement. L’approche géographique de l’étude
de fréquentation est pourtant spécifique : au-delà des approches qualitative et
quantitative, le géographe privilégie l’approche spatiale des phénomènes
sociaux. En France, les travaux universitaires en géographie portant
spécifiquement sur l’étude de la fréquentation touristique sont assez peu
nombreux [Breton E., 2004, Brigand L., 1994, Brigand L., et al., 1998, Brigand
L., Peuziat I., 2003, Brigand L., et al., 2003, Péron P., 1994, Richez G., 1988,
Richez G., 1992, Richez G., 1996] ; le phénomène de fréquentation est
cependant généralement abordé dans la plupart des recherches sur le tourisme
et les usages [Baron-Yellès N., 1997, Duhamel P., et al., 2002]. En revanche,
les productions scientifiques portant sur la fréquentation nautique de plaisance
dans les espaces « naturels » sont presque inexistantes. Ainsi, au-delà des
éclairages qu’elle apporte sur notre travail, la présentation de la méthodologie
retenue pour étudier la fréquentation nautique présente en-soi un intérêt.
5.1.1. Les objectifs de l’étude de la fréquentation nautique
La production d’informations scientifiques sur la fréquentation nautique de
plaisance est un objectif important de notre travail. Les données quantitatives,
qualitatives et comportementales relatives à la fréquentation nautique des
Glénan, et des espaces insulaires métropolitains en général, sont très
insuffisantes au regard des enjeux que représente le développement de la
plaisance sur ces espaces. Pire, les informations existantes ou fournies par les
gestionnaires sont parfois erronées et en décalage avec la réalité de la
fréquentation, ce qui a pour conséquence la mise en œuvre de politiques de
gestion quelquefois inadaptées.
La production d’informations spatialisées amène le géographe à se poser trois
questions principales comme le soulignent A. Bailly et H. Seguin (1995) dans
leur ouvrage Introduction à la géographie humaine : qui ? quoi/comment ? et
où ? La première question se rapporte aux groupes occupant le territoire, avec
leurs valeurs, leurs modes de fonctionnement, leurs caractéristiques. La
seconde concerne les productions économiques et sociales des ces groupes via
l’élaboration d’organisation, la gestion des ressources, l’intensité des échanges,
la diversité des technologies adoptées. Enfin, la question « où ? » traite des
localisations, reflet des choix de société [Bailly A., Béguin H., 1995].
À travers ces interrogations, notre objectif est de caractériser la fréquentation
de plaisance, d’analyser son organisation dans l’espace et dans le temps et de
comprendre les relations qu’entretiennent les plaisanciers avec les lieux qu’ils
fréquentent. Ces informations permettent entre autres d’alimenter les réflexions
sur la fréquentation des espaces touristiques et d’évaluer les pressions ou les
conflits (réels ou potentiels) liés au développement des activités nautiques de
loisir dans les espaces insulaires.
Le recueil des informations nécessaires à l’étude de fréquentation nautique
implique un important travail sur le terrain et la mise en œuvre d’une
méthodologie basée sur des techniques et procédés assez classiques dans
l’étude des phénomènes sociaux.
5.1.2. Les techniques et méthodes utilisées
Les données utilisées pour évaluer la fréquentation nautique de l’archipel de
Glénan ont été recueillies lors de missions de terrain effectuées sur une période
de quatre années, de mai 1999 à août 2003 (tab. 11). Au total, 73 journées ont
été consacrées à cette étape. Des périodes de terrain ont été programmées à
toutes les époques de l’année, l’accent étant néanmoins mis sur les mois de
printemps et d’été dans la mesure où ils correspondent aux moments de plus
forte fréquentation. Les équipes étaient constituées, selon les opérations, de
deux à neuf personnes.
Bien que n’appartenant pas à la population des plaisanciers, les excursionnistes
débarquant avec les bateaux de liaison ont parfois été pris en compte, de
manière à fournir des éléments complémentaires d’informations touristiques,
mais nous n’en ferons qu’un usage limité dans le cadre de cette recherche
centrée sur la fréquentation plaisancière.
Les données recueillies sont quantitatives, qualitatives et comportementales.
Elles s’appuient sur des comptages, des enquêtes et des entretiens auprès des
différents acteurs et des observations de terrain.
125
Tableau 11– Les missions menées sur l’archipel de Glénan entre 1999 et 2003
Dates Objectif de la mission Nombre de
personnes jours de terrain Nombre de Nombre de jours par
personne
1999
13 mai - 15 mai Étude de la fréquentation nautique 10 3 30
13 juin Étude de la fréquentation nautique 2 1 2
15 juil. - 19 juillet Étude de la fréquentation nautique 9 5 45
3 sept.- 4 sept. Étude de la fréquentation nautique 5 2 10
2000
12 mars Étude de la fréquentation nautique 2 1 2
8 avril Étude de la fréquentation nautique 3 1 3
3 juin - 4 juin Étude de la fréquentation nautique 2
4 août - 6 août Étude de la fréquentation nautique 6 3 18
14 août - 15 août Étude de la fréquentation nautique 2 2 4
2001
31 mars Étude de la fréquentation nautique 4 1 4
25 juin - 30 juin Étude de la fréquentation nautique
Impact du mouillage sur l’herbier
de Zostera marina
6 6 36
10 août - 16 août Étude de la fréquentation nautique 5 7 35
21 août - 22 août Étude de la fréquentation nautique 3 2 6
26 août Étude de la fréquentation nautique 3 1 3
17 sept. - 21 sept. Étude de la fréquentation nautique
Impact du mouillage sur l’herbier
de Zostera marina
6 5 35
2002
15 juin Étude de la fréquentation nautique 3 1 2
1 juil. - 5 juillet Étude de la fréquentation nautique
Impact du mouillage sur l’herbier
de Zostera marina
6 5 35
19 juil. - 26 juillet Étude de la fréquentation nautique 5 8 40
26 août - 31 août Étude de la fréquentation nautique
Impact du mouillage sur l’herbier
de Zostera marina
6 6 36
17 déc. - 20 déc. Étude de la fréquentation nautique 1 4 4
2003
12 juin - 14 juin Étude de la fréquentation nautique
Impact du mouillage sur l’herbier
de Zostera marina
5 3 15
15 août – 17 août Étude de la fréquentation nautique 2 3 6
29 août Étude de la fréquentation nautique 2 1 2
Le comptage des bateaux : des données statistiques spatialisées
Les objectifs de ces comptages sont d’une part de connaître le nombre de
plaisanciers dans l’archipel et leur répartition en fonction des sites (mouillages,
îles) ou des types d’embarcation utilisés, d’autre part de comprendre le
déroulement et le fonctionnement du phénomène de fréquentation dans le
temps et dans l’espace. Pour cela, différents types de comptages ont été
réalisés :
Le comptage à heure fixe des bateaux au mouillage : Pour réaliser ces
comptages nous utilisons un pneumatique, permettant de faire le tour de
l’archipel en vérifiant tous les sites de mouillage. Le temps d’une tournée peut
varier de quarante cinq minutes à deux heures, voire plus exceptionnellement,
en fonction des conditions de mer et surtout du nombre de bateaux présents.
Seuls les bateaux au mouillage sont répertoriés, afin d’éviter d’éventuels
doubles comptages. Les bateaux au mouillage sont comptabilisés et localisés
trois fois par jour (tôt le matin, en début d’après-midi et le soir) afin de mesurer
la variation intra-journalière de la fréquentation. Lors des comptages, pour
chaque mouillage, les embarcations sont identifiées selon leur type (voilier,
vedette, pneumatique…) et leur longueur (moins de 5 mètres, 5 à 10 mètres…),
(annexe 7). Au total, 112 comptages ont été effectués, dont un peu plus de la
moitié durant les mois de juillet et août.
Le comptage des mouvements de bateaux dans les archipels : cinq journées ont
été consacrées à l’évaluation du trafic et des flux nautiques dans l’archipel. Les
embarcations sont caractérisées (type, taille, sens de navigation…) lors de leur
passage (heure par heure) dans les principaux chenaux de navigation de
l’archipel par des observateurs localisés sur des points stratégiques (îlots,
points hauts, cale). Cette série de comptages permet de prendre en compte les
mouvements de bateaux dans l’archipel et donc l’intensité des activités
embarquées. Elle vient aussi affiner les informations recueillies lors des
décomptes des bateaux au mouillage, concernant notamment les heures
d’arrivée et de départ ou encore les déplacements des plaisanciers entre les
différentes îles de l’archipel.
Les enquêtes et entretiens : des données subjectives sur les pratiques et les
représentations des plaisanciers
Au total 187 entretiens ont été réalisés auprès des plaisanciers à différentes
périodes de l’année entre 1999 et 2002. Ces rencontres peuvent durer entre
quinze minutes et une heure selon les cas. Menés sous le mode semi-directif,
les entretiens nous renseignent sur les pratiques des plaisanciers, leurs
aspirations et nous permettent d’approcher de près leur vécu, leur rapport aux
lieux et leurs représentations des espaces qu’ils investissent.
Deux grilles d’entretien (que nous appellerons questionnaires) ont été
spécialement élaborées pour l’étude de la fréquentation nautique. La première
est destinée aux plaisanciers utilisant les mouillages organisés de La Pie et de
La Chambre situés à proximité de l’île de Saint-Nicolas, et la seconde aux
plaisanciers pratiquant le mouillage forain (à l’ancre), dans les nombreuses
zones d’abri naturel de l’archipel. Cependant, les plaisanciers n’ont jamais
127
accès directement au questionnaire (annexe 8) : les entretiens sont réalisés par
des enquêteurs qui abordent les plaisanciers de manière aléatoire
55à bord de
leur embarcation, ou à l’occasion de leur débarquement sur les plages et
l’estran des différentes îles.
Ces questionnaires sont construits de manière à répondre à quatre objectifs :
1- connaître le plaisancier et ses pratiques de navigation en général ;
2- identifier et analyser les activités et les pratiques nautiques au sein de
l’archipel (à bord comme au débarquement sur les îles) ;
3- comprendre les rapports que les plaisanciers entretiennent avec l’archipel et
les différentes îles qui le composent (leurs motivations, leurs attentes, leur
perception des lieux, de la fréquentation, du déroulement des activités…) ;
4- Évaluer le degré de sensibilité des plaisanciers à l’environnement.
L’accueil des enquêteurs par les plaisanciers a été très favorable : aucun refus
n’a été essuyé, et sur les 187 questionnaires recueillis seuls 7 n’ont pas été
traités parce qu’incomplets ou parce que les réponses nous sont apparues très
fantaisistes.
L’observation des plaisanciers : des données objectives sur la fréquentation des îles.
Les techniques d’entretien, de questionnaire, de sondage ou d’interview
permettent d’atteindre une réalité sociale en privilégiant « l’aspect relations
interindividuelles des phénomènes sociaux au détriment de leurs aspects
collectifs » [Loubet Del Bayle J.-L., 1991]. Le chercheur en sciences sociales
ne peut donc se passer de l’observation directe sur le terrain de la réalité
étudiée. Dans le cadre de notre recherche sur la fréquentation nautique de
plaisance, l’observation présente deux intérêts principaux :
1- elle permet de mieux appréhender la structure et l’organisation de la
fréquentation nautique. À savoir, d’une part, identifier des ensembles et des
sous-ensembles au sein de la population des plaisanciers, en fonction de leurs
pratiques, de leurs comportements, de leur répartition… D’autre part,
comprendre comment ils interagissent entre eux mais aussi avec l’espace et les
milieux. Ces aspects nous sont particulièrement précieux dans la perspective
d’une analyse de la pression qu’exerce la fréquentation nautique de plaisance
sur l’environnement insulaire.
2- elle permet le recueil de données objectives sur le comportement des
plaisanciers, leurs pratiques, leurs activités, leur manière de vivre les espaces
qu’ils investissent. Ces informations, comme celles issues des comptages,
confrontées aux résultats des entretiens sont parfois riches d’enseignements,
notamment sur la perception de la fréquentation et de leur rapport aux
autres par les plaisanciers eux-mêmes.
La technique d’observation utilisée est le plus souvent « désengagée » dans la
mesure où les observateurs arrivent tôt le matin sur les îles et durant toute la
journée collectent les informations sans s’intégrer réellement aux groupes de
55
le terme aléatoire est ici utilisé avec circonspection. Nous ne revendiquons pas avoir eu
recours à une méthode d’échantillonnage aléatoire dans la mesure où, dans le cadre de nos
recherches, il était impossible de disposer préalablement d’une liste de l’ensemble de notre
population dans laquelle nous aurions pu choisir de manière strictement aléatoire nos sujets.
plaisanciers. Lors de ces observations, l’approche spatiale est privilégiée : les
observateurs localisent les phénomènes observés sur une carte ou une
photographie aérienne à grande échelle. Les embarcations et les équipages sont
individuellement identifiés (type, taille, heure d’arrivée, nombre de personnes à
bord…), les activités, les comportements, les déplacements des équipages sont
détaillés durant toute la journée, aussi bien à bord du bateau que lors du
débarquement sur l’estran et les îles. Ces observations sont réalisées sans
difficultés particulières puisque la plupart des îles de l’archipel (à l’exception
de Saint-Nicolas), ne sont fréquentées que par des plaisanciers où des stagiaires
du centre nautique.
Enfin, des observations impliquant de manière plus importante les observateurs
dans les groupes étudiés sont réalisées. Sur le plan d’eau par exemple, puisque
nous disposons d’une embarcation pneumatique et pouvons nous confondre
aux plaisanciers lors des observations. Ou encore, lors des grandes marées,
l’intégration des observateurs aux pêcheurs à pied facilite de manière
substantielle le recueil des données sur la fréquentation de l’estran.
Les informations recueillies lors des différents comptages et entretiens ont été
intégrées à une base de données et traitées sous le logiciel Microsoft Excel.
5.1.3. Les limites de la méthode et la fiabilité des résultats
Un protocole lourd, fortement soumis aux contraintes insulaires
Dans l’étude de la fréquentation nautique, si le protocole envisagé s’est avéré
efficace pour répondre à nos objectifs, sa mise en œuvre a impliqué une forte
mobilisation de moyens techniques et de personnes.
La dispersion des sites de mouillage et des îles aux Glénan rend indispensable
l’utilisation d’une embarcation pneumatique, pour le recueil des données
quantitatives notamment. Cela nécessite une logistique rigoureuse et la
présence, lors de toutes les missions, de personnes qualifiées pour le
maniement du matériel. Plus fondamentalement, le comptage des bateaux au
mouillage par voie maritime est fortement contraint par les conditions
météorologiques et surtout l’état de la mer, ce qui complique à l’évidence
l’acquisition de données en période hivernale. Dans le cadre de notre travail de
recherche sur les Glénan, ces aspects ne remettent pas en cause la fiabilité des
résultats. En effet, l’archipel ne constitue pas un abri fiable, de sorte que la
fréquentation nautique par gros temps y est très limitée, voire nulle. Cependant,
dans la perspective d’une application de la méthode utilisée à d’autres sites
insulaires cette limite doit être prise en compte.
La mobilisation de moyens humains importants est un autre aspect non
négligeable pour la conduite d’une étude de la fréquentation nautique. Cela est
d’autant plus vrai dans les archipels, où le recueil des données doit se faire de
façon simultanée sur l’ensemble des îles afin d’avoir une vision globale et des
éléments de comparaison entre les différents sites. Aux Glénan, durant les 73
journées de missions, un peu plus de 5 personnes en moyenne étaient présentes
sur le site pour le recueil des données (tab. 11). Au-delà de la difficulté à réunir
un nombre suffisant d’observateurs, l’équipe de chercheurs est confrontée à
une réalité insulaire, à savoir le manque d’hébergements. Cet aspect ne doit pas
129
être négligé dans la mesure où la méthode retenue (fréquence des comptages,
observations durant des journées entières, nombre de personnes sur le
terrain…) ne permet pas d’envisager l’hébergement de l’équipe sur le continent
situé à environ 10 milles nautiques de l’archipel.
Pour pallier ces limites, le chercheur peut envisager d’avoir recours aux prises
de vues aériennes permettant l’acquisition de données quantitatives
spatialisées. Cette technique, testée dans le cadre de cette recherche et sur
d’autres espaces insulaires par le laboratoire Géomer UMR 6554, donne de très
bons résultats, pour le comptage des bateaux au mouillage notamment. Elle
présente aussi l’avantage de permettre la localisation précise des embarcations
et l’intégration des informations à un Système d’Information Géographique, ce
qui a été fait ici. Le recours aux survols aériens dans le cadre d’une étude de la
fréquentation nautique présente aussi certaines limites. Celle du coût d’abord,
qui ne permet pas d’envisager des fréquences de comptage aussi importantes
que par voie maritime. Mais surtout, les survols ne permettent pas de prendre
en compte les modalités majeures de l’activité de plaisance (pratiques et
représentations des plaisanciers, déroulement des activités au
débarquement…). L’utilisation de clichés aériens dans la conduite d’une étude
de fréquentation s’avère donc plus adaptée dans le cadre de la mise en place
d’un suivi, point sur lequel nous reviendrons dans la discussion des
perspectives offertes par ce travail.
Des marges d’erreurs inévitables mais réductibles
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