Dans les travaux de la littérature anglophone qui abordent la résilience du système familial, celle‐ci est décrite comme un processus dynamique de transitions touchant les environnements multiples de la famille, par lesquels l’interaction de nombreux facteurs est possible(1). La plupart des auteurs définit le processus de résilience comme les capacités et stratégies d’adaptation de la famille en vue d’assurer son bien‐être et celui de ses membres(2). La résilience familiale est également présentée comme le produit de relations familiales positives, dans lesquelles la notion d’attachement joue un rôle important(3). De plus, le développement de résilience implique un jugement subjectif et une perception constructive de la situation(4). Certains auteurs parlent de la capacité d’un maintien du fonctionnement familial lors d’un processus de résilience(5). D’autres argumentent en faveur d’une
récupération (recovering) du fonctionnement familial(6). De même, certains auteurs font usage de la
notion de rebondir (bounce back) pour opérationnaliser la résilience familiale(7).
Dans la littérature francophone, les auteurs s’accordent sur le fait que la résilience familiale n’est pas seulement une somme de résiliences individuelles. La résilience familiale est non seulement définie comme la capacité d’adaptation de la famille, ce qui implique son évolution malgré une situation défavorable(23), mais aussi comme la possibilité d’un rebondissement face à l’adversité (Genest & Gratton, 2009 ; Rosenfeld & Duret, 2010). En outre, certains auteurs attribuent le développement de ressources et la réalisation d’apprentissages au processus de résilience familiale (Amoros et al, 2009 ; Genest & Gratton, 2009 ; Bouteyre, 2010 ; Goussé, 2010 ; Amoros et al, 2011).
Dans la littérature germanophone, la résilience du groupe familial est présentée d’une part, comme un système immunitaire de la famille (Ochs, 2008) et comme une forme de résistance de la famille face à la situation adversaire (Ochs, 2008 ; Reis, 2009 ; Borst, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011). Elle constitue ainsi le revers de la vulnérabilité (Borst, 2011). D’autre part, la résilience familiale est définie comme un processus d’adaptation de la famille face à la situation problématique (Retzlaff, 2008 ; Thyen et al, 2009 ; Irmler, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011).
Dans tous les travaux, le concept de résilience n’est pas nécessairement lié à la situation – par exemple, la maladie du parent – dans laquelle la résilience est investie. La résilience familiale constitue un raisonnement sur le développement favorable de la famille, malgré les conditions de vie difficiles.
Etude 2 : La place des parents dans la résilience familiale 108
Pour synthétiser, la conception de résilience familiale décrit l’évolution favorable de la famille, malgré des conditions de vie difficiles et constitue ainsi le revers de la vulnérabilité. La plupart des auteurs définit la résilience familiale comme les capacités et stratégies d’adaptation de la famille face à la situation défavorable en vue d’assurer le bien‐être. Le processus de résilience est dynamique et interactif : il est lié à l’évolution familiale dans le temps et dans les environnements multiples. Parmi les adaptations entreprises dans le processus de résilience, nous retrouvons les stratégies du rebond face à la situation adverse, de résistance face à l’exposition, de maintien du fonctionnement familial ou de récupération (recovery) de celui‐ci, de posture constructive face aux circonstances,
d’entretien de relations familiales positives, mais aussi de stratégies de développement de ressources et de réalisation d’apprentissages.
3.1 Les facteurs protecteurs favorisant la résilience familiale
Dans la littérature anglophone, plusieurs facteurs contribuent au processus de résilience familiale, nous y retrouvons des facteurs individuels, des facteurs familiaux et des facteurs communautaires. Parmi les facteurs protecteurs individuels, le sentiment d’efficacité personnelle (self‐efficacy) d’un membre de la famille peut conforter le processus de résilience du groupe familial (Benzies & Mychasiuk, 2009 ; Chadwick et al, 2012 ; Cowling & Garrett, 2012). Les autres facteurs individuels
se composent de la régulation émotionnelle, de la santé, du locus of control, du niveau d’éducation et
du tempérament de la personne(8).
Dans les facteurs liés à la famille, nous retrouvons :
‐ la communication intrafamiliale, caractérisée par la dimension explicite, la sincérité et la chaleur émotionnelle(9) ;
‐ la qualité des relations des membres de la famille, caractérisée par la confiance, l’attachement, l’authenticité, le soutien mutuel et la convivialité chaleureuse(10) ;
‐ la résolution conjointe des problèmes(11) ;
‐ le mode d’organisation familial, caractérisé par une structure souple36 répondant aux besoins des personnes et impliquant des pratiques cohérentes dans la vie commune(12) ;
‐ la spiritualité exprimant le système de croyance et de valeurs de la famille et incluant des pratiques religieuses, mais aussi l’usage de l’humour et la posture d’espoir(13) ; ‐ la vision positive et partagée sur l’avenir, susceptible de promouvoir le développement d’une identité familiale positive(14) ; ‐ l’évaluation de la situation stressante et le sentiment de contrôle sur celle‐ci(15) ; 36 En littérature anglophone, le terme « flexibility » est souvent employé pour désigner un mode d’organisation familiale favorable au processus de résilience.
Etude 2 : La place des parents dans la résilience familiale 109 ‐ la cohésion familiale, comprenant la mise en accord des membres de la famille et le sens de la cohérence familiale (sense of family coherence)(16) ; ‐ l’endurance familiale (family hardiness), définissant une résistance ainsi qu’un courage face à la situation adverse(17) ; ‐ le temps passé en famille et en convivialité, ce qui inclut le partage de loisirs et la réalisation d’activités communes(18) ;
‐ l’établissement de routines et de rituels, comme le repas commun ou la célébration d’anniversaire(19) ;
‐ la gestion financière des ressources économiques(20) ;
‐ la tendance à se porter vers les performances scolaires, vers le travail et vers la réussite professionnelle (Bell‐Tolliver et al, 2009 ; McCabe, 2009 ; Minnaert et al, 2009).
Dans la littérature anglophone, beaucoup d’importance est accordée au soutien social (social support) ou à la présence d’un réseau de soutien (support network), que ce soit au niveau formel par
l’aide communautaire ou au niveau informel par la famille élargie ou les amis(21). Au niveau formel,
nombreuses réflexions sont entreprises en faveur d’un paradigme d’intervention. Ces conceptions passent d’une approche pathogène à une approche salutogène, autrement dit une approche mettant l’accent sur les facteurs protecteurs et les forces des familles et non sur les risques(22).
Ces derniers facteurs se trouvent en lien étroit avec les facteurs protecteurs communautaires. Ces facteurs concernent l’implication dans la communauté, l’acceptation par les pairs, la présence de personnes‐ressources, la sécurité des quartiers, mais aussi l’accès aux services de garde d’enfants, aux institutions de formation et aux soins de santé (explicitement chez Benzies & Mychasiuk, 2009 ; Weine & Siddiqui, 2009 ; Fincham & Beach, 2010 ; Greeff et al, 2011 ; Weine et al, 2012).
Plusieurs facteurs soutenant la résilience familiale sont formulés dans la littérature francophone, à savoir la présence de tuteurs de résilience, en d’autres termes la présence d’un environnement soutenant(24), la possibilité d’exprimer des émotions (Paradis et al, 2009 ; Duriez, 2009 ; Dupays‐Guieu, 2010 ; Ghyssel & Goffinet, 2012), la clarté des rôles intrafamiliaux (Paradis et al, 2008 ; Magnen‐Desdouits & Flahaut, 2012), la sécurité des liens familiaux (Duriez, 2009 ; Genest & Gratton, 2009), la flexibilité/souplesse (Genest & Gratton, 2009 ; Goussé & Lovato, 2009), l’ouverture vers l’avenir (Genest & Gratton, 2009), les ressources financières (Bouteyre, 2010) et le partage de valeurs (Bekaert et al, 2012). Dans la littérature germanophone, tous les auteurs décrivent des facteurs contribuant au processus de résilience familiale, à savoir les bonnes relations intrafamiliales (Retzlaff, 2008 ; Reis, 2009 ; Doege et al, 2009 ; Lenz & Kuhn, 2011), la capacité de gérer des crises (Reis, 2009 ; Thyen et al., 2009 ; Hildenbrand, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011), la spiritualité (Reis, 2009 ; Hildenbrand, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011), la mise en
Etude 2 : La place des parents dans la résilience familiale 110
œuvre d’un potentiel d’autonomie et d’action (Reis, 2009 ; Thyen et al., 2009 ; Hildenbrand, 2011), le sentiment de cohérence familiale (Retzlaff, 2008 ; Doege et al, 2011), la communication à propos des situations qui posent problème (Hildenbrand, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011), l’organisation intrafamiliale claire (Hildenbrand, 2011 ; Lenz & Kuhn, 2011), les ressources socio‐économiques de la famille (Retzlaff, 2008 ; Hildenbrand, 2011) et la présence de rituels (Borst, 2011).
En résumé, plusieurs facteurs contribuent à la résilience familiale. La présence d’un environnement social soutenant la famille occupe une place très importante dans les publications des trois langues examinées. En outre, plusieurs facteurs liés au fonctionnement familial sont mentionnés, notamment la communication intrafamiliale, la relation affective entre les membres de la famille, la capacité conjointe à gérer la crise ou à résoudre le problème, l’organisation familiale souple et la présence de valeurs et de visions communes en famille. 3.2 Les contextes de résilience familiale Concernant les contextes d’apparition de la résilience familiale, nous pouvons observer dans la table de synthèse qu’un nombre élevé (67 de 166) parmi les travaux anglophones se situe dans le domaine de la santé. Ce domaine est suivi du contexte d’intervention auprès de la famille avec 25 parutions qui mettent l’accès prioritairement sur la pratique professionnelle.
Les autres publications se dispersent comme suit : 17 travaux abordent une problématique de
violence, 16 travaux mettent l’accent sur les structures (ou restructurations) familiales, 13 travaux se concentrent sur le contexte de migration, 9 travaux examinent les difficultés socio‐économiques et 9 travaux reflètent le fondement théorique de la résilience.
Dans le contexte sociétal, trois travaux interrogent le fonctionnement familial et les processus de résilience au sein de la famille après une catastrophe naturelle, comme l’ouragan Katrina aux États‐ Unis (Garrison & Sasser, 2009 ; Hackbarth et al, 2012) ou les cyclones tropicaux en Australie (McDermott & Cobham, 2012). Roizblatt et al. (2011) examinent les expériences des familles suite au régime politique de dictature militaire au Chili dans les années 1970 et 1980.
Dans un autre contexte, Jacob et al. (2008) abordent la problématique d’organisation temporelle
dans la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Pour finir, Solem et al. (2010) analysent la validité d’un questionnaire évaluant le stress parental dans l’éducation des enfants.
Un nombre élevé (6 de 14) des travaux francophones s’inscrit dans le domaine de la santé (Paradis et al, 2008 ; Goussé & Lovato, 2009 ; Vandevonder & Haelewyck, 2009 ; Bouteyre, 2010 ; Goussé, 2010 ; Magnen‐
Etude 2 : La place des parents dans la résilience familiale 111
Desdouits & Flahaut, 2012). Les autres publications se répartissent comme suit : trois travaux (Amoros et al 2009, 2011 ; Duriez, 2009) se concentrent sur l’intervention auprès de la famille en formulant des perspectives de soutien à la résilience familiale. Deux publications (Genest & Gratton, 2009 ; Ghyssel & Goffinet, 2012) abordent la résilience familiale dans le contexte des restructurations familiales suite à la mort de l’adolescent. Rosenfeld et Duret (2010) interrogent la résilience dans la situation d’adoption dans le contexte des structures familiales. Dupays‐Guieu (2010) traite la résilience familiale dans le contexte de la violence, voire de la maltraitance. Bekaert et al. (2012) fournissent un outil métrique pour évaluer les facteurs de résilience.
La table de synthèse indique que la moitié des travaux germanophones s’ancre dans le domaine de la santé en abordant une problématique centrée sur le handicap de l’enfant (Retzlaff, 2008 ; Doege et al, 2011) ou la maladie de l’enfant (Thyen et al, 2009) ou du parent (Lenz & Kuhn, 2011).
Les autres publications se dispersent comme suit : Le travail d’Ochs (2008) se concentre sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Chez Reis (2009), la résilience familiale apparaît dans le contexte sociétal autoritaire. Borst (2011) aborde la résilience familiale dans le contexte des restructurations familiales suite à la mort d’un proche. Hildenbrand (2011) analyse dans son travail la situation d’intervention pour soutenir un processus de résilience familiale. Quant à Irmler (2011), elle présente l’intervention dans un contexte d’immigration.
Pour résumer, le contexte de la santé est le plus investi dans les travaux analysés. Ainsi, la santé d’un membre de la famille est compromise pour des causes physiques ou psychiques et la résilience familiale offre des perspectives pour la gestion familiale des difficultés liées à la santé de son membre.
3.3 Contexte et culture des travaux analysés
La synthèse des significations multiples issues de travaux en provenance de contextes et de cultures différents n’est pas une démarche simple (Bondas & Hall, 2007). Elle exige une compréhension particulière du phénomène (Beaucher & Jutras, 2007). Pour Aisenberg et Herrenkohl (2008), la conception de la résilience est déterminée le plus souvent par la culture dominante d’une société. Par conséquent, la résilience apparaît davantage comme un succès individuel et exceptionnel. Bala et Kramer (2010) interrogent le caractère universel des résultats relatif au processus de résilience familiale. Dans chaque recherche, la question se pose quant à la généralisation ou la transférabilité des résultats. À ce sujet, certains auteurs (par exemple, Black & Lobo, 2008 ; O’Brien & Mosco, 2012 ;
Etude 2 : La place des parents dans la résilience familiale 112
Weine et al, 2012) mettent en évidence la présence de facteurs communs à travers des groupes culturels et ethniques différents. D’autres auteurs reconnaissent la particularité culturelle de la résilience familiale et sa variabilité selon la culture et le contexte de développement et
d’évolution(25). Par la recherche, il s’agit donc de prendre en considération les dimensions culturelles
spécifiques de la résilience dans des milieux et des cultures différents afin de connaître les points de repères culturels significatifs des familles(26).
Dans cette perspective, la confrontation de nombreuses productions au sujet de la résilience
familiale permet de repérer quelques indices transversaux. Néanmoins, il paraît important
de découvrir et de considérer les particularités et même les singularités à l’intérieur des repères transversaux afin de comprendre réellement les processus divers de résilience familiale.