la crise et le temps des cicatrices. L’urgence mène à des interventions fortement encadrées, tandis que la crise peut constituer un élément favorable pour dépasser les souffrances initiales par le déclenchement d’un processus de résilience (Delage, 2008). Le temps des cicatrices est une période longue qui détermine l’orientation de la famille face au passé traumatique. Cette orientation tourne soit vers un processus de résilience, soit vers une souffrance durable et transgénérationnelle (Delage, 2012).
Nous pouvons observer que les différents principes d’intervention définis par Walsh (2006) et Delage (2008) sollicitent une attitude professionnelle particulière face à la famille. Cette attitude se caractérise par l’écoute active chez Delage (2008) et par l’empathie, l’encouragement et l’optimisme chez Walsh (2006). L’intervenant stimule la réflexion de l’usager, par exemple par le principe de donner un sens aux expériences de crise (Walsh, 2006) ou par le soutien au processus de mentalisation (Delage, 2008). La relation intervenant‐famille et le rapport au temps dans l’accompagnement s’avèrent également importants. Finalement, l’intervention se réalise dans le contexte de vie de la famille (Delage, 2008).
Les pratiques balisées sur une approche de la résilience visent à développer des cadres d’intervention et des modes d’accompagnement qui préviennent ou réduisent l’impact des risques (Anaut & Cyrulnik, 2014). Longtemps, le modèle d’action sociale était basé sur le problème (problem‐ focused) ou la pathologie, ce qui ne s’accorde pas avec un raisonnement écosystémique de résilience (Waller, 2001). Dans ce raisonnement, une approche de la résilience familiale attire l’attention sur les forces de la famille au lieu d’en cibler les déficits et fonde l’intervention sur les capacités de la famille (Walsh, 2002). Le raisonnement de la résilience reconnaît l’existence de problèmes, mais se concentre davantage sur la mobilisation de ressources des personnes, de leur entourage et de la communauté (Manciaux, 2001). Le développement de ces pratiques est aussi désigné par le terme de « résilience assistée ». L’accompagnement de résilience assistée prend appui sur les forces de la personne en situation de risque et sur les facteurs familiaux et environnementaux de protection (Ionescu & Jourdan‐Ionescu, 2010).
5 La parole et le récit dans le processus de résilience
Dans le point précédent, nous avons observé que la communication occupe une place importante dans le processus de résilience. Le présent point propose une réflexion sur la place de la parole et du récit de vie dans ce processus. La méthode du récit de vie est aussi bien employée comme méthode de recherche que comme méthode d’intervention. Concernant les réflexions sur le récit de vie, elles
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sont partiellement reprises d’une contribution présentée et discutée au IVème congrès international du Réseau International Francophone de la Recherche Qualitative (RIFReQ) en juin 2013 à Fribourg en Suisse. Ces réflexions s’orientent davantage vers la recherche, mais cela n’exclut pas leur importance pour l’intervention également. Cette communication intitulée « Le récit de vie comme outil d’enquête de la résilience? » se trouve intégralement en annexe 1.
Pour Cyrulnik (2001), l’expression narrative de la souffrance contribue à la transformation du vécu afin de retrouver une cohérence personnelle et de soutenir les relations nouvelles. La parole est ainsi un travail actif qui modifie le fonctionnement du cerveau. Grâce au récit, les personnes travaillent sur leurs blessures et peuvent élaborer une résilience au lieu de chercher à éviter les blessures et rester dans le non‐sens. Ce travail de résilience est à la fois biologique, affectif et socioculturel (Cyrulnik, 2013). La narrativité apparaît ainsi comme un outil de résilience.
5.1 Le récit de vie
Dans le domaine de la recherche, le récit de vie est considéré comme une méthode d’enquête, une forme particulière de l’entretien narratif (Bertaux, 2010). Il inclut deux registres de données. D’une part, il tient compte d’événements, d’une réalité objective et historique, et d’autre part, il se réfère à des significations, à l’expression subjective du vécu de l’histoire (Orofiamma, 2008). Le récit de vie décrit à la fois la vie intérieure du narrateur, mais aussi ses contextes sociaux traversés (Bertaux, 2010). Il remplit plusieurs fonctions, notamment la reconstruction du temps par la conscientisation de la biographie, l’action de production de savoirs par la construction commune de réflexions et la relation du parcours de vie au propre rapport au savoir (Lani‐Bayle & Milet, 2012). Le critère central de validation se définit dans la véracité de la personne interviewée et dans la validité communicative22, assurée dans la construction commune de la narration (Scheele & Groeben, 2010). L’intérêt particulier au récit et les questions posées guident la narration, ce qui fait que la reconstruction du passé contient une « coloration » (« Färbung ») dans une direction particulière entraînant des réactions spécifiques (cf. Rosenthal, 2010).
Selon des limites méthodologiques bien connues, nous savons que la dialectique de l’expression à la fois objective et subjective, de même que la prise de référence simultanée de l’histoire sociale et personnelle, peut prêter à confusion (Bourdieu, 1986), s’avérer trompeuse (Clot, 1989), ou encore amener à une indisponibilité du narrateur (Ruppert, 2010). Il s’agit donc d’accepter le caractère artificiel et incomplet de la production de connaissance (Bourdieu, 1986 ; Pourtois & Desmet, 2007), tout
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en reflétant le contexte dans lequel la trajectoire se déroule et dans lequel la perspective subjective devient, par juxtaposition banale, l’objet d’étude (cf. Bourdieu, 1986 ; Clot, 1989 ; Pourtois & Desmet, 2007 ; Ruppert, 2010). Il semble majeur de préciser et d’expliciter le(s) contexte(s) du récit, du narrateur, du chercheur et de l’étude, tout en procédant à divers triangulations, afin de raisonner et d’inférer sur les divergences linguistiques, culturelles et axiologiques (cf. Bourdieu, 1986 ; Pourtois & Desmet, 2007) risquant d’affecter la scientificité de l’étude.
5.2 Rapport au temps et résilience familiale
L’approche du concept de résilience entraîne un changement des postures et des méthodes de recherche. L’éclairage interdisciplinaire et la connaissance issue de la pratique deviennent des champs investigués par les chercheurs (Cyrulnik, 2001). En sociologie, le temps peut être pourvu d’un sens d’anticipation par lequel l’individu investit son avenir proche. En philosophie, l’individu forme sa situation actuelle par un réseau de protentions (images d’avenir) et de rétentions (souvenirs du passé) qui construit le sens de son histoire et de son présent. Le paradigme philosophique communicationnel établit même la relation entre le discours linguistique et la construction identitaire dans laquelle l’histoire personnelle se produit par la communication et se structure dans une trajectoire temporelle (Lahaye, 1996). En psychologie systémique, l’échange permet le retour sur l’expérience vécue dans l’objectif de prendre conscience du passé afin d’accéder à un avenir qui oriente la trajectoire de vie (Darnaud, 2012). Ces différentes approches se réfèrent au processus de (re)construction dans le langage, qui est mis en œuvre par le récit de vie (Lahaye, 1996).
L’histoire familiale constitue un guide narratif. Elle crée un espace d’associations entre les générations dans lequel les relations entre les personnes et les événements partagés existent et se développent (Kauppert, 2010). Le récit de vie appliqué à l’histoire familiale permet donc de revenir au niveau des générations afin de préciser les processus de déplacement social, mais aussi les buts et les souffrances qui y sont associés (Lainé, 2010). Il s’agit d’un mécanisme de structuration et de questionnement entre des processus à la fois psychiques et sociaux, qui offre un repère à l’histoire collective et à l’histoire individuelle (de Gaulejac & Legrand, 2010). Le récit de vie est contextualisé et permet l’accès aussi bien à l’expérience éprouvée et vécue de la personne, qu’aux contraintes et ressources liées à son milieu de vie (Jamoulle, 2013). La narration structure les souvenirs et les mythes familiaux pour pouvoir les partager et les solidariser dans les représentations de la famille (Cyrulnik, 2014). Le récit de vie constitue donc un outil de résilience, aussi bien pour la personne ou la famille concernée par un traumatisme que pour les intervenants utilisant la parole afin de favoriser un processus de résilience chez l’usager.