Le nouveau financement repose sur le calcul de frais en forfaits journaliers ou horaires sur base desquelles l’ONE paye les services des prestataires. Au total, 50 millions euros ont été accordés à l’aide à l’enfance et à la famille en 2011 (Kurschat, 2010b) et le budget était de 64,5 millions euros en 2012 (Kurschat, 2012 ; RTL, 2011b).
En 2008 et sous format de projet pilote, deux institutions stationnaires28 ont testé avec succès le fonctionnement de ce nouveau mode de financement (Kurschat, 2008). Sa mise en œuvre définitive en 2012 a démontré qu’il fonctionne bien pour les aides stationnaires, comme les foyers d’enfants qui travaillent avec des forfaits journaliers, mais s’avère d’usage plus difficile pour les aides ambulatoires qui travaillent avec des forfaits horaires (Kurschat, 2012).
L’acteur politique vise un travail professionnel efficace et de haute qualité. Ce travail nécessite du personnel qualifié et donc coûteux, tandis que le nouveau financement fonctionne avec des forfaits et des tarifs strictement déterminés. La question se pose de savoir si plus de professionnalisme pourrait être atteint avec moins de coûts (Kurschat, 2009a,d,e, 2010b, 2012).
Dans la discussion des coûts s’ajoutent les cas d’exceptions ne pouvant pas être accompagnés au pays et qui sont alors transmis à l’étranger. L’accueil de ces jeunes à l’étranger s’avère cher pour l’Etat luxembourgeois et la participation financière des parents ne se présente pas comme une solution (Kurschat, 2009d). Il serait donc important d’augmenter les places thérapeutiques au Luxembourg pour pouvoir accueillir ces jeunes en difficulté (Kurschat, 2009d, 2012).
6 L’acteur professionnel
Le champ de la protection de la jeunesse se caractérise par des approches professionnelles variées, notamment les interventions juridiques, pédagogiques, psychologiques, sociales ou médicales (Association de Protection des Droits de l’Enfant asbl, 2001).
Concernant l’intervention professionnelle, Alberth, Bühler‐Niederberger et Eisentraut (2014) définissent une typologie de mandat. Cette typologie se base sur la compétence d’attribution, la relation avec l’usager et la transformation des connaissances en applications pratiques. La contribution d’attribution est définie par le secteur professionnel qui est principalement social, médical, éducatif ou psychologique. Idéalement, la relation avec l’usager vise à centrer davantage le regard sur l’enfant et le parent dans l’élaboration de l’intervention. Pour finir, les professionnels transforment la connaissance de leur métier dans la pratique quotidienne (Alberth et al., 2014). Nous
28 Les deux institutions du projet pilote du nouveau mode de financement étaient le Kannerhaus Junglinster de la Caritas et le Foyer Norbert Ensch de la Croix Rouge (Kurschat, 2008).
Etude 1 : Analyse du discours luxembourgeois sur la protection de la jeunesse 90
distinguons d’abord les acteurs professionnels principaux pour identifier ensuite les objectifs d’intervention visés dans le discours sur la protection de la jeunesse.
6.1 Les acteurs principaux
Dans le volet sous contrainte, les acteurs professionnels se composent du Parquet général, du tribunal de la jeunesse, du juge de la jeunesse et des agents du service central d’assistance sociale (SCAS). Le SCAS est un service sous mandat judiciaire du Parquet général et prend le rôle d’enquêteur et d’exécutant du tribunal de la jeunesse par le biais de contrôle et d’aide psycho‐ sociale (SCAS, 2012). D’une part, ce service mène des enquêtes sociales sur l’état de l’enfant susceptible d’être en danger. Les signalements émanent de différents demandeurs, notamment la police, le parquet ou les services sociaux. D’autre part, le service propose des assistances éducatives en famille par la mise en place d’un réseau social et vérifie que la famille assure le bien‐être de l’enfant (SCAS, 2013). Le discours sur la protection de la jeunesse exprime le souhait que le tribunal et le juge de la jeunesse soient considérés comme dernier recours d’une situation critique (RTL, 2011b). En outre, le rôle des agents de police en uniforme qui exécutent le retrait des enfants dans une procédure formelle est discuté dans le discours (Kurschat, 2013).
Le volet volontaire est coordonné par l’Office National de l’Enfance (ONE) qui a pour mission de veiller à la mise en œuvre de l’aide sociale aux jeunes en détresse. Il s’agit d’une instance administrative et coordinatrice qui vise à garantir l’aide et la qualité de l’aide offerte à l’enfant et à sa famille (RTL, 2011b). L’ONE agit en respectant les compétences des autorités judiciaires relatives à la protection de la jeunesse (AEF, art.5). D’importantes compétences diagnostiques sont attribuées à l’ONE qui décide cas par cas sur la mesure d’aide à appliquer (Kurschat, 2009b). Les questionnements actuels concernent une inquiétude que les projets d’intervention validés et financés par l’ONE le soient principalement dans un esprit de réduction du coût économique (Kurschat, 2008) et à savoir si le travail socio‐éducatif est contrôlé par l’ONE (Kurschat, 2009d, 2010a, 2012).
Les coordinateurs de projets d’intervention (CPI) orientent, évaluent et coordonnent l’aide (Ministère de la Famille et de l’Intégration, 2013). Les compétences professionnelles du case management ou de l’aide individualisée sont surtout attribuées à cet acteur professionnel (Kurschat, 2009b ; Woxx, 2012).
6.2 Les objectifs d’intervention
Le positionnement initial de l’acteur professionnel dans le discours sur la protection de la jeunesse ambitionne une meilleure structure et mise en réseau des offres d’aide (Kunzmann, 2003 ; Kurschat,
Etude 1 : Analyse du discours luxembourgeois sur la protection de la jeunesse 91
2008, 2009a ; RTL, 2011b) afin de créer des ententes entre professionnels sur la compétence professionnelle. Un aspect de mise en réseau est l’accès par tous les acteurs impliqués au dossier du jeune (Association de Protection des Droits des Enfants asbl, 2001).
6.2.1 La mise en réseau
Dans les dispositifs actuels d’accompagnement, la question centrale concerne une meilleure articulation des différentes décisions et interventions autour de l’enfant et de sa famille, mais aussi par rapport à la prise en considération des compétences de la famille dans le but d’évoluer et d’assurer la continuité éducative (Naves, 2008). Le discours luxembourgeois interroge la relation entre l’ONE et le SCAS et fait émerger des doutes concernant une collusion d’intérêts ou de concurrence (Kurschat, 2006) et un manque de coopération (Kurschat, 2008). L’entente et la collaboration partenariale impliquent de manière implicite la relation à statut égal et la coordination des offres existantes (Messmer, 2007).
Pour la France par exemple, Patriarca (2010) énonce le risque que la prise en charge dans l’intervention socio‐éducative se centre trop sur l’articulation des missions institutionnelles et sur les contraintes économiques imposées par l’Etat dans l’organisation, la gestion et le contrôle du dispositif de protection de l’enfance. Transposé au Luxembourg, ce risque est associé à l’introduction de l’ONE, perçu comme instance plutôt administrative qui contrôle les dépenses liées à l’aide à l’enfance et à la famille, ce qui ne semble pas favoriser la mise en réseau des acteurs professionnels. 6.2.2 Autres ambitions D’autres ambitions apparaissent moins fréquemment, notamment en ce qui concerne le diagnostic socio‐éducatif et l’accord sur le développement de la qualité. La notion de diagnostic socio‐éducatif et son compréhension commune apparaissent dans le discours professionnel. Selon Schintgen (2009), le diagnostic socio‐éducatif comprend la situation personnelle et familiale du jeune en analysant les ressources et les problèmes afin de réagir de manière adéquate à son encadrement (p. 38‐39). Nous observons que ces compétences professionnelles sont mises en œuvre dans les deux volets – sous contrainte et volontaire. Dans le système de la protection de la jeunesse, l’enquête sociale est destinée à permettre cette vision diagnostique sur le jeune et sa situation de vie. Dans le système de l’aide à l’enfance, chaque prestataire et surtout les coordinateurs de projet d’intervention sont censés réaliser ce diagnostic lors de l’élaboration d’un projet d’intervention.
Etude 1 : Analyse du discours luxembourgeois sur la protection de la jeunesse 92
Les accords de développement de la qualité se définissent aussi bien dans les normes et les procédures d’évaluation de la qualité des services offerts que dans les mesures appropriées pour l’assurance de la qualité des services (Messmer, 2007).
Le Forum (2009) conceptualise les difficultés de l’acteur professionnel à trouver un accord entre les procédures professionnelles et les normes sociales imposées, et les motivations parentales et les normes familiales rencontrées. Les réflexions peuvent être résumées comme suit : « Comment une institution, comment un travailleur social pourrait‐il, à l’avenir, encore motiver ces parents, déjà déficitaires, sinon le placement de l’enfant ne se serait pas avéré nécessaire, à collaborer et à reprendre leur vie en main pour qu’ainsi le retour de l’enfant dans son milieu familial puisse se faire dans les meilleurs délais? » (Forum, 2009, p. 4‐5).