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Les Autochtones à Montréal après la Grande Paix

Chapitre 1 : Faire la diplomatie à Montréal

B. Les lieux de la rencontre diplomatique dans la ville

2. Les Autochtones à Montréal après la Grande Paix

Néanmoins, il suffit de quitter ce registre discursif officiel, celui du commerce, pour trouver bien des mentions de la présence des Autochtones du Pays d’en Haut à Montréal. Finalement, les échanges entre administrateurs de la monarchie et de la colonie présentent deux visions antinomiques : d’une part certains officiers s’inquiètent de la venue limitée des Amérindiens à Montréal, mais d’autre part, le contenu des missives semble indiquer qu’au contraire, la présence autochtone à Montréal est continue et fréquente.

En effet, de nombreuses lettres officielles continuent à présenter le passage des Autochtones du Pays d’en Haut à Montréal comme un évènement fréquent, voir incessant. Dès 1702, l’intendant Champigny inscrit ce passage continuel dans le prolongement de la période précédente en affirmant dans son mémoire que les Autochtones viennent « toutes les années »115, notamment pour commercer. Si des évènements ponctuels peuvent limiter la venue des nations à Montréal, comme les épidémies au tout début du XVIIIe siècle qui sont particulièrement craintes des Autochtones car très meurtrières116, le reste de la correspondance coloniale montre bien que leur venue ne se tarit pas, et ils sont mentionnés dans la majeure partie des lettres échangées. De plus leur venue n’est jamais montrée comme extraordinaire dans ces missives117, ce qui suggère qu’elle est fréquente.

Ainsi, la venue des Autochtones à Montréal, bien qu’en relative baisse avec la fin des foires d’été, reste continue tout au long du début du XVIIIe siècle, et, dans la lignée de la Grande Paix, les Amérindiens continuent à s’assembler en assez grand nombre dans la ville coloniale. Tout d’abord, puisque Montréal reste une ville frontière comme vu précédemment, les grands rassemblements autochtones dans la ville sont provoqués par le gouvernement de la Nouvelle- France pour des raisons militaires. Champigny note que les Autochtones installés autour de

114 Vaudreuil à Pontchartrain, 1709, ANOM, C11a, C-2382, vol 30, p. 75.

115 Mémoire de Champigny à Beauharnois, 1702, ANC, Fonds de la famille Beauharnois fol 285.

116 Vaudreuil et Beauharnois font remarquer à Pontchartrain « le petit nombre de sauvages qui y sont descendus

par la crainte de la maladie » en 1703. ANOM, C11a, C-2381, vol 21, p.3.

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Montréal ont toujours répondu présent et « ont été d’une grande utilité »118 lorsqu’il s’agissait de défendre l’île au siècle précédent : c’est donc une habitude qui est pérennisée au début du XVIIIe siècle. Plus encore, Vaudreuil fait au moins appel par deux fois à ses alliés dans des circonstances différentes : en 1703 lorsque l’alliance n’est pas encore parfaitement cimentée, et en 1711 lorsque les attaques britanniques posent menacent la Nouvelle-France. Dans le premier cas, Beauharnois rapporte en effet les précautions prises par Vaudreuil au Secrétaire d’Etat :

Il a pris la précaution de faire hyverner la plus grande partie des troupes aux environs de Montréal pour estre en état de repousser les sauvages au cas qu’ils voulussent ce hyver tenter quelque chose contre la colonie.119

Si ces troupes qui prennent leurs quartiers sur l’île de Montréal sont surtout composées de Français, les alliés domiciliés se rassemblent également autour de la ville. Leur présence permet de la défendre, soit contre une éventuelle attaque des nations iroquoises, qui sont comme le document l’indique encore considérées comme potentiellement dangereuses, soit contre les Britanniques eux-mêmes. C’est notamment le cas en 1711, lorsqu’à la suite de la prise de Port- Royal, Vaudreuil invite les nations alliées à descendre vers Montréal, en guise de « renfort de monde »120 dans le contexte du projet anglo-américain d’invasion de la colonie.

Cependant, les nations se rassemblent à Montréal surtout pour renouveler l’alliance de la Grande Paix. C’est le lieu par excellence dans lequel les conflits entre les nations vont être résolus par la rencontre entre les nations concernées121. Ces rassemblements dans la ville semblent être bien accueillis par les Montréalais selon d’Ailleboust d’Argenteuil, qui note à Pontchartrain en 1710 :

« Nous arrivames à Montréal vers la fin de juillet tous ensemble, l’on ne peut monseigneur faire connoistre plus de joy que le marqua tout le public présent. »122 Si aucune autre lettre ne fait état des réactions populaires à l’arrivée des Autochtones dans la ville, leur venue signifiait également de nouvelles occasions de commerce et de marchandage qui arrangeaient donc également les habitants.

Enfin, ces grands rassemblements étaient souvent la raison de mettre en scène le pouvoir et la paix, par l’organisation de festins. Vaudreuil rapporte par exemple au Ministre en 1705 que les

118 Mémoire de Champigny à Beauharnois, 1702, ANC, Fonds de la famille Beauharnois fol 259. 119 Vaudreuil et Beauharnois à Pontchartrain 1703 ANOM, C11a, C-2381, vol 21, p. 3.

120 Instructions pour faire descendre les sauvages à Montréal, 1711, ANOM, C11a, vol 32, fol 82-93v.

121 D’Ailleboust d’Argentueil montre un exemple dans sa lettre de 1710 à Pontachartrain, ANOM, C11a, vol, fol

185-188v.

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Iroquois sont repartis de Montréal « fort contens apres que je leurs ay eu fait un festin a tous pour renouveller leur ancienne alliance »123. Il s’agit donc de répéter les promesses de paix tout en procédant à une diplomatie culturelle alimentaire qui est à la fois commune pour les Européens124 et pour les Autochtones125. Le festin est utilisé au moins une autre fois durant la décennie, comme moyen de rassemblement avant le départ des Autochtones, en 1711, comme le rapporte Vaudreuil. En effet, ayant fait descendre ses alliés à Montréal, le gouverneur ne peut les y garder à cause de la saison avancée ; il les laisse donc repartir après « un festin général à tous les sauvages qui estoient au [M]ontréal tant domiciliers que autres afin de leur faire chanter la guerre. Ce festin fut de prest de Sept à huit cent personnes. »126 : c’est le plus grand rassemblement d’Amérindiens à Montréal après la Grande Paix.