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Garantir la paix pour respecter la Grande Paix de Montréal

Chapitre 2 : Les enjeux de la diplomatie montréalaise

A. Être garant de la paix inter nations

2. Garantir la paix pour respecter la Grande Paix de Montréal

Cette insistance dans la correspondance pour conserver la paix entre toutes les nations alliées découle directement du contenu de la Grande Paix organisée par Callières, qui met en place le principe de la médiation : Onontio passe d’une figure centrale de l’alliance au garant et médiateur de celle-ci.

330 Ibid.

331 « Etat ou se trouvent les fortifications de Montréal », 1704, ANOM, C11a, vol 22, C-2381, p. 95-8.

332 Pontchartrain à Vaudreuil, 1705, ANOM, B, vol 27, fol 222 ; Pontchartrain à Vaudreuil, 1708, ANOM, B, vol

29, fol 301-301v.

333 Pontchartrain à Vaudreuil, 1705, ANOM, B, vol 27, fol 222. 334 Pontchartrain à Vaudreuil, 1708, ANOM, B, vol 29, fol 301-301v.

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Le traité signé par les alliés pose en effet les bases du renouvellement des relations diplomatiques entre Français et Autochtones. La Grande Paix présente une médiation en deux phases distinctes : tout d’abord la paix entre les nations, puis la réparation au cas où celle-ci ne serait pas respectée, deux phases dans lesquelles le gouverneur général intervient directement. Ainsi, Callières affirme que les nations lui ont remis leurs « intérêts entre les mains [pour que] je puisse vous vous faire vivre tous en tranquillité (….) et je me saisy de nouveau de touttes vos haches et de tous vos autres instruments de guerre, que je mets avec les miens dans une fosse sy proffonde que personne ne puisse les reprendre pour troubler la tranquilité que je retablis parmy mes enfans en vous recommandant lorsque vous vous rencontrerez de vous traiter comme frères, et de vous accommoder ensemble »336. La tranquillité, c’est-à-dire la paix, est donc garantie par le gouverneur général qui s’occupe lui-même de mettre un terme au conflit. Plus encore, il devient premier garant des réparations :

S’il arrivait que quelqu’un de mes enfans en frapast un autre, celuy qui aura esté frapé ne se vangera point, ny par luy ny par aucun de sa part, mais il viendra me trouver pour que je luy en fasse faire raison.337

Le gouverneur général prend donc une position prépondérante dans l’alliance, en accord avec le pouvoir de médiation des chefs amérindiens338. Ceux-ci respectent par ailleurs ce nouveau statut du gouverneur français et le signifient dès la Grande Paix. Le chef des Kiskakons offre par exemple un calumet aux Iroquois par Callières qu’il faudra fumer lorsqu’ils se rencontreront339 : il reconnait donc Callières comme intermédiaire entre les deux nations. Les Iroquois affirment également leur attachement à l’arbre de paix planté, et assurent à Callières qu’ils « [suivront] tout ce que vous avez reglé »340. Le nouveau statut de Callières est également mis en avant dans la correspondance dans les interventions des autres nations qui le rendent maître des prisonniers qu’ils ont ramenés à Montréal : c’est à lui de faire l’intermédiaire entre les nations à arranger341.

Enfin, au-delà de ce traité, la situation médiatrice du gouverneur général est pérennisée durant la décennie. Le secrétaire d’état à la marine approuve par exemple le rôle médiateur de Vaudreuil lorsqu’il interrompt un conflit entre nations du Pays d’en Haut, en lui rappelant qu’il

336 Ratification de la paix conclue entre les Français, leurs alliés et les Iroquois, 1701, ANOM, C11a, vol 19, fol

41.

337 Ibid, fol. 41v.

338 G. Havard, The Great Peace of Montreal, p. 137.

339 Ratification de la paix, 1701, ANOM, C11a, vol 19, fol. 41v. 340 Ibid fol. 42.

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doit « tousjours avoir la mesme attentions pour conserver l’union et la paix entre les nations sauvages »342. De plus, les paroles données par les Amérindiens aux gouverneurs généraux traduisent également un respect de la médiation : les Goyogouans viennent à Montréal en 1704 pour se faire rendre justice, ajoutant qu’ils n’ont pas « voulu [se] vanger [se] souvenant de la parolle qui nous a esté donné par Onontio »343, une situation qui se répète plusieurs fois au début des années 1700344.

Cette situation de médiateur s’illustre notamment par l’enjeu des captifs et des prisonniers amérindiens qu’il s’agit de rendre à leurs nations d’origine afin de respecter les accords de la Grande Paix de Montréal. Leur traitement est l’un des enjeux diplomatiques centraux du début du XVIIIe siècle pour l’alliance. En effet, la prise de captifs est commune dans le Pays d’en Haut, les conflits autochtones se basant notamment sur des raids ayant pour but de faire des prisonniers de la nation visée. L’idéal guerrier amérindien est centré autour des notions d’honneur et de vengeance, qui impliquent donc de venger les membres de sa parenté qui ont été tués, et de les remplacer, au moins temporairement, par des prisonniers dont le sort final sera décidé par les anciens et les femmes influentes345. Cette pratique continue d’exister au début du XVIIIe siècle et est normalisée dans la correspondance coloniale346. C’est même une coutume encadrée par le gouverneur général, qui est félicité par Pontchartrain en 1712 :

[Sa Majesté] a esté contente aussy des mesures que vous avez prises avec les Onontagnés et les sonontouans qui estoient à Montréal au sujet des prisonniers que vous vouliez faire sur les terres d’Orange.347

Ainsi, pour éviter les conflits entre les nations, mais aussi avec les colonies britanniques, le gouverneur Vaudreuil essaie d’encadrer les dispositions de capture des nations iroquoises autour de la frontière.

Les prisonniers deviennent cependant un enjeu majeur de la relation franco-amérindienne après la Grande Paix de Montréal, qui tente de restituer tous les prisonniers à leurs nations d’origine afin de faire table rase des conflits préexistants et limiter les conflits entre les nations de

342 Pontchartrain à Vaudreuil, 1711, ANOM, B, vol 33, fol 90.

343 Parole des Goyogouans au gouverneur général, 1704, ANOM, C11a, vol 22, C-2381, p. 86.

344 C’est le cas par exemple des Sonnontouans en 1703 (Parolles d’Orongatek à Vaudreuil, 1703, ANOM, C11a,

vol 21, fol 60-61), des Miamis la même année (Paroles des Miamis et la réponse du Gouverneur, 1703, ANOM, C11a, vol 21, fol 285v), des Hurons (Paroles des Hurons à Vaudreuil, 1704, ANOM, C11a, vol 22, fol 51-51v) etc.

345 J-M. Therrien, Parole et pouvoir, p. 255-271. Les femmes ont ici toute leur place car on remplace les morts

de la lignée matrilinéaire.

346 Paroles et réponses des Iroquois 1705, ANOM, C11a, vol 22, fol 276v. 347 Pontchartrain à Vaudreuil, 28 juin 1712, ANOM, B, vol 34, fol 85v.

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l’alliance. Cette tentative a été préparée par le gouverneur Callières l’année précédente lors de ses discussions avec les Iroquois :

Il est arrivé en cette ville des députez de toutes les nations d’en haut nos alliez et de celles des iroquois suivant la demande que je leur en avois faite pour ratifier la paix que je conclus avec eux l’année dernière et ramener les prisonniers pour en faire l’échange en ma présence.348

La demande du gouverneur général est suivie de manière mesurée : certains ne viennent avec aucun prisonnier, mais la plupart des nations font preuve de bonne volonté en ramenant avec eux au moins un prisonnier349. Néanmoins, les nations traditionnellement alliées des Français ne viennent qu’avec les prisonniers des nations iroquoises, les autres sont rarement inclus dans ce rituel de restitution350. Les nations autochtones conservent de plus certains prisonniers comme en témoignent les paroles des Goyogouans au Gouverneur Vaudreuil, qui se plaignent que certains des leurs « manquent encore »351. La Grande Paix ne permet donc pas de réinstaller un statu quo entre les nations, et entretient au contraire une démarcation entre les Iroquois et le reste des alliés.

Enfin, cet enjeu concernant les prisonniers s’inscrit également pleinement à Montréal, puisque c’est là que les échanges et les restitutions de prisonniers ont lieu. Alors que les officiers sont envoyés dans le Pays d’en Haut pour récupérer les prisonniers des nations récalcitrantes, ils se soumettent à une volonté centralisatrice en ramenant ces prisonniers à Montréal352. Les nations sont également encouragées à descendre dans la ville afin de récupérer leurs prisonniers comme le gouverneur Vaudreuil l’explique au secrétaire d’Etat :

Le Sr de Louvigny Monseigneur estant revenu de Missilimackina avec les prisonniers Iroquois qu’il avoit retiré des mains de ces sauvages je me suis cru obligé pour le bien du service de Sa Majesté non seullement de donner avis de leur arrivée aux villages iroquois mais encore d’en faire descendre à Montréal une partye des principaux chefs afin de leurs remettre moy mesme.353

348 Callières au à Pontchartrain, 1701, ANOM, C11a, vol 19, C-2381, p. 87.

349 Ratification de la paix conclue entre les Français, leurs alliés et les Iroquois, 1701, ANOM, C11a, vol 19, fol

41-44v.

350 Ibid.

351 Paroles des Goyogouans, 2 juillet 1704, ANOM, C11a, vol 22, fol 56.

352 Parole des Sonontouans par un collier donné au Seigneur Dubuisson, 10 septembre 1712, ANOM, C11a, vol

33, C-2383, p. 160. Sur la question des prisonniers et esclaves à Montréal, voir l’ouvrage de Brett Rushforth, Bonds of Alliance: Indigenous and Atlantic Slaveries in New France, Chapel Hill, UNCP, 2012, et Marcel Trudel, L'esclavage au Canada français : histoire et conditions de l'esclavage, Québec, Presses Universitaires Laval, 1960.

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Le gouverneur général, en tant qu’Onontio, est donc le seul à pouvoir garantir les principes de la Grande Paix de Montréal, et la ville de Montréal est un point central de cet entretien de la paix puisque c’est là que la parole d’Onontio s’inscrit.