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Chapitre 2 : Les enjeux de la diplomatie montréalaise

A. Être garant de la paix inter nations

3. Une alliance instable

La question de la médiation se pose d’autant plus que la Grande Paix propose une paix globale entre les nations autochtones. Cela remet en question l’organisation politique des nations amérindiennes qui forment habituellement leurs alliances par l’incitation à la violence contre des ennemis communs.

En effet, tout comme les sociétés européennes ont progressé et se sont structurées par les conflits, la culture autochtone repose également sur la guerre et la violence. Brett Rushforth présente ainsi l’ensemble des procédés diplomatiques sous cet angle ; le rituel diplomatique du calumet, par exemple, partagé et rythmé par des danses figurant la violence guerrière est moins un rituel de paix qu’une injonction à la violence contre des ennemis communs354. Selon lui, s’il existe une diplomatie réciproque, celle-ci est forcément contrebalancée par une violence réciproque355.

Cette violence continue d’ailleurs à s’exprimer pendant tout le début du XVIIIe siècle, et ce malgré le traité de 1701 qui devait mettre un terme aux différends entre les diverses nations. En effet, si les Autochtones sont si demandeurs de la médiation des gouverneurs généraux à Montréal, c’est avant tout parce qu’ils continuent à se tuer les uns et les autres, ce qui nécessite une réparation. Si au début de la décennie les députés ont tendance à présenter les meurtres comme étant des accidents356, afin de préserver l’esprit paisible de la Grande Paix, les nations nomment ensuite leurs agresseurs.

Le recours à la violence et à la guerre de partis au sein de l’alliance est donc une réalité avec laquelle les Français doivent composer. Alors que l’alliance était polarisée entre nations alliées traditionnelles et nations iroquoises au début de la décennie, la violence finit par s’institutionnaliser à la fin des années 1700, et on voit émerger un ennemi commun à toutes les nations : les Renards. Cette inimitié se forme principalement à Détroit alors que plusieurs nations différentes y vivent et se transforme en conflit global au sein de l’alliance, comme le montrent les paroles de Makisabé à Vaudreuil en 1712 : les Illinois leur ont apporté un collier

354 Brett Rushforth, Bonds of Alliance, p. 19-20. 355 Ibid, p. 129.

356 Comme dans les Paroles des Hurons à Vaudreuil, 1704, ANOM, C11a vol 22, fol 51-51v ou Paroles et

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rouge, significateur de guerre, pour « détruire l’Otagamis » avec d’autres nations357. La situation s’envenime tant que Vaudreuil et Bégon eux-mêmes doivent reconnaitre les Renards comme étant « les ennemis communs de toutes les nations d’en haut, il est absolument nécessaire de prendre toutes les mesures praticables pour les détruire »358. La médiation prend ici son rôle final : la riposte face à une nation qui n’a pas su réparer ses crimes, dans le respect des conditions de la Grande Paix.

Les rivalités entre les nations et les conflits ouverts continuent donc après la Grande Paix. Ces tensions et violences sont rapportées chaque été par les orateurs des nations amérindiennes lorsqu’ils viennent retrouver Vaudreuil à Montréal. C’est par exemple le cas de Makisabé qui expose en détail à Vaudreuil les troubles causés par les Outagamis (ou Renards), et les multiples réactions que ceux-ci entrainent afin de venger les morts359. Le caractère incessant et instable de ces conflits est mis en valeur dans la correspondance coloniale par la régularité des mentions des guerres entre les nations d’une part, et par l’incertitude des officiers eux-mêmes quant à la situation360.

Or ces tensions ne peuvent être contrôlées par les autorités françaises comme on l’a vu précédemment. Les gouverneurs doivent donc mettre en place une politique de laisser-faire au sein de l’alliance. Ainsi, si la Grande Paix prévoyait que les Amérindiens se réfèrent à la médiation d’Onontio avant de tenter de se venger, pour limiter les guerres intestines, Vaudreuil octroie aux nations le droit de se venger, tant qu’ils ont été attaqués en premier. Le gouverneur général reconnait son impuissance dans la correspondance coloniale, soulignant « la difficulté qu’il y a de contenir tant de différentes nations en paix »361, mais aussi qu’il se voit « obligé de leur donner la liberté de faire la guerre »362. Les conflits entre les nations sont donc acceptés et entérinés par le pouvoir royal, d’autant qu’ils peuvent être encadrés par le gouverneur général comme le montre cette missive à Pontchartrain :

357 Makisabé chef Poutouatamis à Vaudreuil, 1712, ANOM, C11a, vol 33, fol. 85-90v.

358 Lettre commune de Vaudreuil et Bégon à Pontchartrain, 1713, ANOM, C11a, vol 34, C-2383, p. 10. 359 Paroles de Makisabé chef Poutouatamis, 1712, ANOM, C11a, vol 33, fol 85-90v.

360 Ainsi, Vaudreuil et Raudot affirment à Pontchartrain qu’« il n’y a point de guerre » entre les nations en 1709,

mais leur lettre de l’année suivante met en lumière le renouveau des tensions. Voir Vaudreuil et Raudot à Pontchartrain, 1709, ANOM, C11a, vol 30, C-2382, p. 5 et Vaudreuil et Raudot à Pontchartrain, 1710, ANOM, C11a, vol 31, C-2383, p. 32.

361 Vaudreuil à Pontchartrain, 1705, ANOM, C11a, vol 22, C-2381, p. 233. 362 Ibid.

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J’ay esté obligé de leur laisser la liberté de faire la guerre aux scioux afin de leur donner de l’occupation et de détourner par ce moyen les nations d’en hault de faire la guerre à l’iroquois.363

Cet encadrement permet de protéger l’alliance avec les Iroquois qui demeurent les alliés les plus importants pour Versailles. Dans l’incapacité de contrôler les rivalités et les conflits, les Français laissent donc les Amérindiens faire la guerre, sous forme de raids et de petites expéditions, afin de conserver la paix.