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Chapitre 1 : Faire la diplomatie à Montréal

A. La ville frontière, lieu diplomatique idéal ?

4. Une « capitale » en question

Montréal et ses environs sont donc des lieux de rencontre importants pour des discussions diplomatiques. Néanmoins, on peut s’interroger sur la manière dont le statut de la ville en tant que capitale diplomatique évolue durant la première décennie du XVIIIe siècle, en comparaison avec Québec, qui est la capitale de la colonie, et qui est aussi entourée par diverses nations et missions.

Au contraire des ambassadeurs dépêchés partout en Europe, et pas toujours dans des capitales, le principal négociateur dans l’alliance franco-autochtone est en effet le gouverneur général qui siège majoritairement à Québec. Par ailleurs, la capitale de la colonie laurentienne accueille des discussions diplomatiques, notamment entre Français et Anglais en Amérique du Nord. Ainsi, particulièrement après le massacre de Deerfield (1704), Joseph Dudley, gouverneur de New York, et ses envoyés sont reçus directement à Québec et y mènent leurs négociations81. Mais diverses nations de l’alliance s’y rendent également, à l’occasion. Par exemple, en 1703 dans une lettre commune à Pontchartrain, Vaudreuil et Beauharnois annoncent que les Sonnontouans et Onontagués « viennent d’envoyer de leurs chefs a Quebec »82 pour assurer le gouverneur général de leur neutralité. Cependant, les documents de la correspondance coloniale montrent bien que la majorité des discussions diplomatiques avec les nations amérindiennes se tient à Montréal, la proportion des documents signalant Québec comme centre diplomatique pour les nations amérindiennes étant minime. Le déroulement à Montréal de ces tractations est un arrangement qui convient aux deux parties.

La correspondance coloniale reflète également l’importance des voyages effectués durant cette première décennie par le gouverneur général, le climat canadien et ses autres obligations lui

78 Ministre à Ramezay, 1708, ANOM, B, vol 29, 369-370v. 79 Ministre à Vaudreuil, ANOM, B, vol 29 fol 328-334v.

80 Paroles entre Vaudreuil et les Onontagués et Sonontouans, 1711, ANOM, C11a, vol 32, fol 100-103v. 81 Vaudreuil et Raudot à Pontchartrain, Etat des affaires de la colonie, 1706, ANOM, C11a, vol 24, fol 4. Sur le

massacre de Deerfield, voir notamment Evan Haefeli et Kevin Sweeney, Captors and Captives: The 1704 French and Indian Raid on Deerfield, Amherst, University of Massachusetts Press, 2003.

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permettant tout de même des séjours assez longs, s’étalant le plus souvent entre juin et octobre. Cette montée à Montréal est par ailleurs présentée par l’entourage de Vaudreuil comme étant profitable aux finances du royaume : la marquise de Vaudreuil en assure ainsi à Pontchartrain : « Les differents voyages quil est obligé de faire souvent pour esviter la depense quil causeroit au Roy s’il fesoit venir a Quebec les Iroquois qui viennent en ambassade luy ont cousté jusqu’a present des sommes considerables »83.

Centre de communication et centre de renseignement, Montréal aimante l’information diplomatique coloniale. Au contraire de Québec, la ville est au centre du réseau de communication utilisé par les officiers entre eux. Ainsi les missionnaires du Pays d’en Haut envoient leurs lettres au gouverneur général à Montréal84 : sa présence dans la ville en été en même temps que les Autochtones venus de l’intérieur assurent aux missionnaires que les conflits naissants puissent y être résolus. De même, lorsque Vaudreuil missionne Louvigny ou Joncaire au sein des nations amérindiennes, c’est à Montréal qu’il attend de leurs nouvelles85. Fait significatif, ce sont les nouvelles qui attirent d’abord le gouverneur vers la ville et non l’inverse : comme l’explique Vaudreuil au secrétaire d’Etat à la Marine en 1710, s’il doit descendre à Montréal c’est à la fois pour entendre les Iroquois et pour « estre à portée de scavoir ce qui se passe à Orange et chez les Iroquois », mais aussi dans le reste du Pays d’en Haut, chez les autres nations alliées86.

Montréal se transforme ainsi en centre du renseignement pendant la première décennie du XVIIIe siècle. En effet, les Autochtones glanent des informations de leurs voyages dans les colonies britanniques. Ces renseignements, le plus souvent à caractère militaire, sont particulièrement utiles à la Nouvelle-France lors de la reprise des hostilités de la guerre de succession d’Espagne, qui se transpose en Amérique du Nord. Ainsi, dès 1705, les Domiciliés du Sault Saint Louis rapportent à Vaudreuil l’armement de plusieurs bâtiments depuis Boston « pour venir croiser a lentré de la rivière »87. Les mouvements des troupes britanniques sont également rapportés avant le siège de Port Royal88, ou à la suite de celui-ci, par des colliers amenés spécifiquement de la part du chef onontagué Teganissorens pour signifier que « c’estoit

83 Marquise de Vaudreuil à Pontchartrain, ANOM, C11a, vol 33, fol 253. 84 Vaudreuil à Pontchartrain, 1711, ANOM, C11a, C-2383, vol 32, p. 45. 85 Paroles de Vaudreuil, 1705, ANOM, C11a, vol 22, fol 266.

86 Vaudreuil à Pontchartrain, 1710, ANOM, C11a, C-2383, vol 31, p. 212.

87 Paroles des Indiens du Sault Saint Louis au gouverneur général, 1705, ANOM, C11a, vol 22, fol 264. 88 Vaudreuil à Pontchartrain, 1710, ANOM, C11a, C-2383 vol 31, p. 210.

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veritablement que la flotte anglaise estoit partie de Boston »89. Enfin, Vaudreuil et Raudot expliquent l’arrivée des Autochtones à Montréal, un accueil qui coute à la colonie, par l’importance d’avoir « des nouvelles certaines que les anglois deussent venir attaquer ce pays comme ils le menacent »90. Ces informations récupérées par les nations alliées en territoire britannique sont donc rassemblées à Montréal lors de la présence du gouverneur général et sont perçues comme étant suffisamment exactes et de confiance par Vaudreuil pour être partagées avec Versailles afin de planifier les actions militaires des Français. A la fois frontière et ville centrale de l’alliance, Montréal se distingue donc de Québec pour confirmer son statut de capitale diplomatique.