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Les éléments techniques constitutifs du télescope

Analyse mécanologique des télescopes optiques

1. Analyse structurale

1.1. Les éléments techniques constitutifs du télescope

Les télescopes réfracteurs, tout comme les télescopes réflecteurs, sont nés de la rencontre entre trois éléments techniques : un objectif, un oculaire et un tube optique. Pour tout système optique, l’objectif est défini comme l’élément en entrée, chargé de collecter la lumière et de la focaliser. Dans le cas du télescope, les rayons lumineux étant en provenance de l’infini, cette focalisation se fait au point foyer image et tout se passe comme si les rayons collectés par l’objectif, d’un certain diamètre, étaient concentrés en un unique point. C’est le rôle de l’oculaire que d’agrandir l’image produite au plan focal de l’objectif. Un oculaire est en fait une loupe perfectionnée, chargée de fournir une image à l’infini en sortie du système optique. Le tube optique, quant à lui, permet de maintenir l’alignement de l’objectif et de l’oculaire tout en exerçant une certaine sélection sur la direction des rayons collectés. Si l’oculaire est nécessairement une lentille, l’objectif, porteur de l’opération de focalisation, peut indifféremment être un miroir ou une lentille. Les tubes d’observation sont l’ancêtre structurel du tube optique. Quant aux miroirs et lentilles, leurs propriétés de focalisation sont connues depuis l’Antiquité, notamment dans le but de concentrer les rayons du soleil afin d’enflammer un objet. Par la combinaison ingénieuse de ces trois éléments, une essence technique a été inventée, donnant naissance à une lignée technique. Si le principe technique mis en œuvre par l’objectif est la réfraction (par une lentille), le télescope sera qualifié de réfracteur, et si le principe retenu est la réflexion (sur un miroir), il s’agira d’un télescope réflecteur.

Nous souhaitons insister sur cette notion d’invention. En effet, un large courant en histoire des techniques tend à affirmer que le télescope n’a pas été inventé « in the sense that it was not invented in a single place by one single inventor464 ». Albert Van Helden ajoute d’ailleurs : « The telescope was not invented, so to speak, ex nihilo465 ». Mais le fait que des éléments constitutifs aient préexisté n’infirme pas, à nos yeux, l’invention que constitue leur association au sein d’un même dispositif, quand bien même celui-ci aurait été inventé par plusieurs personnes. En effet, même pour un objet technique aussi novateur que le télescope :

463 Pour plus de détails concernant les télescopes, notamment réflecteurs, nous renvoyons à Jingquan Cheng, The

Principles of Astronomical Telescope Design, New York, Springer, 2009.

464 Albert Van Helden, Sven Dupré, Rob Van Gent et Huib Zuidervaart (éd.), op. cit., p. 5.

465 Albert Van Helden, The Invention of the Telescope, Transactions of the American Philosophical Society, vol. LXVII, partie 4, 1977, p. 24.

Les techniques anciennes, réactivées, ont ainsi toujours une résonance ; elles conservent leur capacité d’appui pour de nouvelles inventions. Nous sommes donc loin de la table rase… L’invention est nourrie d’héritages constamment relus et réinterprétés466.

De même que les très nombreux cas de découvertes scientifiques simultanées n’invalident pas la catégorie de découverte, la multiplicité des inventeurs comme des lieux d’émergence ne disqualifie pas la notion d’invention. L’apparition d’une nouvelle essence technique correspond ici à la première réalisation d’une intention technique originale qui met en relation un fonctionnement, basé sur des principes physiques connus depuis longtemps, et une fonction, elle aussi connue depuis des siècles. La préexistence du principe de fonctionnement et de l’utilité reconnue de la fonction n’enlève rien à l’originalité de l’invention. Nous affirmons même que l’invention du télescope est une triple invention : invention structurelle par la combinaison d’éléments techniques, invention opératoire par l’association des principes de focalisation et de sélection, et invention fonctionnelle par l’usage qui en sera fait en astronomie.

Historiquement, les télescopes sont apparus dans le contexte de la préexistence de la pratique de l’observation à l’œil nu. Cela implique une double contrainte, à la fois sur le genre du télescope (visible) et sur sa fonction (former une image réelle). C’est cette dernière qui impose le recours à un oculaire, afin de rendre l’image formée en sortie de l’objectif propice à son étude par l’œil humain. Dans les grands observatoires modernes, le plan focal image de l’objectif n’est plus occupé par l’oculaire mais par les différents instruments de l’observatoire : spectroscopes, imageurs, photomètres. L’oculaire, qui n’apparaît plus que comme un dispositif annexe dans la phénoménotechnique contemporaine, fait partie de l’essence technique historique du télescope bien que sa présence se soit effacée à mesure de l’évolution des lignées. Les oculaires sont interchangeables, ce qui permet de modifier les caractéristiques de l’instrument, et surtout nous fait dire qu’il s’agit sans aucun doute d’éléments techniques, au sens simondonien du terme. Ils peuvent subsister comme éléments au sein de certains télescopes amateurs (ceux dont le but premier reste l’observation directe) et servent à la mise au point, qui se fait en réglant la distance entre l’objectif et l’oculaire. En faisant coïncider le foyer image du miroir primaire avec le foyer objet de l’oculaire, on obtient un télescope afocal permettant une observation sans accommodation.

466 Guillaume Carnino et Jérôme Lamy, « “L’histoire des techniques a longtemps été la discipline la plus simplificatrice.” Entretien avec Liliane Hilaire-Pérez », Zilsel, no 5, 2019, p. 258.

Les télescopes réflecteurs sont historiquement apparus constitués de deux miroirs. Au cours de leur évolution, ce nombre est passé à trois puis quatre, et aujourd’hui, certains grands observatoires en possèdent même cinq. Par « objectif » nous entendons l’ensemble de ces N miroirs. En effet, si la collecte est assurée uniquement par le miroir primaire (M1), c’est l’ensemble des miroirs qui est chargé de la focalisation. Nous aurons l’occasion d’en reparler, mais l’accroissement du nombre de miroirs ne résulte pas d’une nécessité d’ordre mécanologique ; il répond davantage à des problématiques d’encombrement. En effet, afin d’augmenter les performances d’un télescope, il est souhaitable d’augmenter la taille de M1. Mais, ce faisant, on augmente aussi sa distance focale. Augmenter le nombre de miroirs permet de réduire d’autant la taille du télescope en multipliant le nombre de réflexions intermédiaires et en repliant le trajet de la lumière incidente. Ainsi, plus le nombre de miroirs est important, plus le télescope est compact.

Dernier élément constitutif du télescope, le tube a lui aussi connu un certain nombre d’évolutions. Chargé de maintenir un alignement entre les différents sous-systèmes optiques, sa taille, de l’ordre de la focale du télescope, et donc son poids, en font un élément critique, du point de vue de la maniabilité et du maintien de la forme optimale. C’est pourquoi les tubes actuels adoptent une structure en treillis, permettant une diminution de la masse au détriment de la fonction de sélection, désormais externalisée au profit de la coupole (ou dôme). Cette coupole, caractéristique des grands télescopes optiques (réfracteurs comme réflecteurs), permet en outre à l’objet technique d’augmenter son insertion au sein du milieu associé, en ajoutant à l’élimination des lumières parasites un meilleur contrôle des conditions météorologiques locales.

Un autre élément dont il nous faut parler est la monture du télescope. Si, historiquement, les instruments étaient tenus à la main, il est très vite apparu qu’assurer la stabilité du dispositif améliorait de beaucoup la précision des mesures. Avec le développement de l’astrophotographie, un nouveau besoin est apparu : celui de pouvoir suivre les étoiles dans leur trajectoire nocturne. En effet, à cause de la rotation de la Terre sur elle-même, les étoiles semblent tourner autour de l’axe de rotation de la Terre. Ainsi, les montures ont vocation à compenser, ou tout au moins gérer, ce mouvement diurne. On distingue trois types de montures (le premier étant davantage un ancêtre qu’une monture dans l’acception actuelle du terme) :

- Les trépieds, simples dispositifs statiques permettant de poser l’instrument et donc de s’affranchir des mouvements de l’opérateur.

- Les montures azimutales, ou altazimutales, permettant de mouvoir le télescope selon deux axes perpendiculaires, l’un vertical et l’autre horizontal. La rotation autour de l’axe

vertical varie l’azimut de la direction de pointage du télescope tandis que la rotation autour de l’axe horizontal fait varier l’altitude.

- La monture équatoriale, qui possède un axe de rotation parallèle à l’axe de rotation terrestre (axe polaire) permettant une partie du mouvement diurne. L’opérateur ne manipule le télescope qu’autour d’un axe unique, dit « de déclinaison ».

La monture, comme un certain nombre d’autres éléments apparus au cours de l’évolution des télescopes, ne fait pas partie de l’essence de l’objet technique dans la mesure où elle n’est apparue qu’après l’invention et l’apparition des lignées en question. Historiquement, les montures altaz sont apparues les premières, avant d’être supplantées par les montures équatoriales, plus simples à manipuler. Mais les progrès de l’informatique, qui permet de piloter automatiquement le déplacement du télescope, ont entraîné un phénomène de régression technique et le réemploi préférentiel des montures « altaz », moins volumineuses que leurs homologues équatoriales.