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Petit traité de la marche en plaine Gustave Roud

› Didier Dantal

Les Pierres Claudio Morandini

› Bertrand Raison Fabuler la fin du monde.

La puissance critique des fictions d’apocalypse

Jean-Paul Engélibert

› Charles Ficat

Manifeste incertain 8.

Cartographie du souvenir Frédéric Pajak

› Charles Ficat

Nous étions nés pour être heureux Lionel Duroy

› Isabelle Lortholary

Émergence Éric Tourville

› Laurent Gayard

Cahiers de prison. Février-octobre 1946

Louis-Ferdinand Céline

› Olivier Cariguel

L’Île du dernier homme Bruno de Cessole

› Sébastien Lapaque

Dante, une poétique de la conversion

John Freccero

› Sébastien Lapaque

À la demande d’un tiers Mathilde Forget

› Marie-Laure Delorme

Par les routes Sylvain Prudhomme

› Marie-Laure Delorme

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Petit traité de la marche en plaine, de Gustave Roud, postface de James Sacré, Éditions Fario, 108 p., 14

Dès l’incipit, Gustave Roud rejette ce qu’il appelle la « mystique de l’Alpe », visant sans le nommer Charles Ferdinand Ramuz et son école, pour lui préférer l’humanité accueillante et prosaïque de la campagne vallonnée de son Jorat natal, où il se plaît à errer sans but, de village en village, sur ces chemins rilkéens qui ne vont nulle part.

Dans ce pays qu’il connaît littéralement par cœur, le poète vaudois aime se perdre, réinventer le paysage (d’où l’interroga-tion sur les noms de village, sur sa propre identité : paysan ? poète ?). Perdre pied pour mieux reprendre haleine. Une fois perdu, il jubile. Pour arriver à ses fins, il use de subterfuges : « Rien n’empêche de consulter (comme un augure le foie de la victime) d’anciennes cartes, très détaillées.

Le minutieux décalque du réel 1870 que donnent d’antiques vingt-cinq millièmes – à chaque pas démenti par le réel 1932 : sentiers perdus, maisons rasées, forêts qui ont avancé ou reculé comme la vague – permet les plus amusantes surimpres-sions mentales. »

Le long de la route, se multiplient les rencontres insolites, singulières – encore faut-il avoir l’œil au moindre détail :

« une seule corolle au bord du chemin » – qui viennent interrompre la monoto-nie du sermo pedestris. Ainsi l’errance du voyageur est scandée d’instants magiques qui réintroduisent de la verticalité, quelque chose de suprême (superlatif

prisé par Roud). Verticalité qui provoque un sentiment de plénitude – ou plaini-tude, si l’on nous permet ce néologisme.

Moments de communion réciproque, de fusion poétique avec le monde qui semble enfin répondre à nos appels :

« Vous touchez une sorte de miracle : le temps devenu réversible… » On songe ici à la relation de Tolstoï avec la nature, telle qu’elle apparaît notamment dans son magnifique Journal : « Tout m’est donné, le monde dans un éclair »…

L’ultime phrase dévoile un parcours de lecture : « Il fallait se perdre pour vous retrouver. » Lire est ce voyage, ce chemin mystérieux vers l’intérieur. Temps perdu qui se révèle gagnant. Solitude essentielle du lisant : « Je suis seul. Je ne suis pas seul. » Didier Dantal

Les Pierres, de Claudio Morandini, traduit par Laura Brignon,

Anacharsis, 192 p., 17

La montagne décidément n’a rien à voir avec la plaine. Une histoire d’alti-tude peut-être, en tout cas on n’y parle pas la même langue. Sur les hauteurs, c’est toujours un peu l’inconnu qui domine. Claudio Morandini en sait quelque chose, lui qui, en fidèle arpen-teur littéraire du Val d’Aoste, accorde aux personnages de ses récits une étran-geté que l’on peut retrouver de l’autre côté des Alpes chez un Max Frisch ou un Friedrich Dürrenmatt. Il faudrait ajouter à cette comparaison un peu cavalière l’humour car, en montagnard aguerri, l’écrivain italien mélange

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notes de lecture

avec plaisir les registres : l’ironie aime côtoyer le drame, et le fantastique s’in-vite au cœur de la réalité. Son dernier roman dose avec minutie le mélange de ces oppositions. Le dosage requiert un certain doigté puisque le livre com-mence sous les auspices de l’instabilité.

La montagne bouge, elle s’effondre. Ici, il ne pleut pas continuellement comme dans L’homme apparaît au Quaternaire de Frisch, ce sont des cailloux qui s’abattent sur deux villages d’une val-lée non repérée sur les cartes, Testagno et Sostigno, respectivement le hameau du haut et celui du contrebas. Le nar-rateur, sous les traits d’un habitant, raconte cette lente dégringolade dont les villageois hésitants attribuent le déclenchement à l’arrivée d’un couple de retraités venu de la ville vivre au grand air des sommets. C’est dans leur salon progressivement envahi par les pierres que commence le conte. À par-tir de ce moment, elles vont apparaître partout, s’immiscer dans les maisons, les jardins et les granges. Charlatans, touristes et scientifiques se précipitent, attirés par le spectacle. Les explications valsent, les deux retraités servent un temps de boucs émissaires mais face à l’ampleur de la situation, une par-tie des paysans plie bagage. Ceux qui restent s’efforcent de répondre aux questions des géologues, mais les uns comme les autres ne se comprennent pas. On les laisse donc à leur sort, à « ce monde en morceaux » qui est devenu le leur et apparemment le nôtre. Ber-trand Raison

Fabuler la fin du monde.

La puissance critique des fictions d’apocalypse, de Jean-Paul Engélibert, La Découverte, 250 p., 20

Spécialiste bien connu des fictions d’apocalypse à travers son essai Apoca-lypses sans royaume (Classiques Garnier, 2013) et l’ouvrage collectif L’Apoca-lypse  : une imagination politique (XIXe -XXIsiècles) (Presses universitaires de Rennes, 2018), Jean-Paul Engélibert poursuit sa réflexion sur cette littéra-ture singulière qui rencontre un écho toujours croissant. Ces œuvres de fin du monde revêtent différentes formes (romans, essais, films…). À la différence d’Ernesto De Martino dans son livre majeur, La Fin du monde, essai sur les apocalypses culturelles (éditions EHESS, 2016), l’auteur analyse surtout des fic-tions. Il fait remonter leur apparition à l’âge de la révolution industrielle, date à laquelle il situe le début de l’anthro-pocène, sujet sur lequel les spécialistes débattent encore aujourd’hui. Selon lui, les œuvres mettant en scène des catas-trophes sont d’autant plus nécessaires que, loin de peindre ou d’annoncer un état de désolation, elles manifestent une résistance à l’état général du monde dominé par le capital et la technique, celle-ci asservie à ce dernier. Imaginer la fin des temps serait un moyen d’y échapper en libérant la réflexion et la conscience critique du lecteur.

Comme les œuvres abondent en la matière, il a fallu se limiter à quelques-unes d’entre elles, parmi lesquelles Le

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Dernier Homme (1805) de Jean-Bap-tiste Cousin de Grainville, Des anges mineurs (1999) d’Antoine Volodine, Malevil (1972) de Robert Merle, Cos-mopolis (2003) de Don DeLillo, La Route (2006) de Cormac McCarthy ou la trilogie MaddAddam (2003-2013) de Margaret Atwood –  sans oublier quelques films : On the Beach (Stanley Kramer, 1959), Melancholia (Lars von Trier, 2011) et 4:44 Last Day on Earth (Abel Ferrara, 2012).

« Fabuler la fin du monde » permettrait justement de la conjurer et d’offrir une perspective à notre avenir en refusant une évolution subie. Ces fictions ne proposent pas de mode d’emploi : elles déconstruisent une réalité afin de l’ex-poser. Les amateurs d’action concrète n’y trouveront pas leur compte, mais de quoi nourrir leur réflexion. C’est déjà fort précieux. Charles Ficat

Manifeste incertain 8.

Cartographie du souvenir, de Frédéric Pajak, Les Éditions Noir sur Blanc, 256 p., 23

La série du Manifeste incertain pour-suit sa course et ce n’est pas le prix Goncourt de la biographie attribué au printemps dernier à Frédéric Pajak pour le volume  VII qui ralentira son rythme. Tel un rendez-vous annuel, le volume  VIII arrive donc à son heure.

Sous-titré « Cartographie du souve-nir », il se déroule en un cheminement plus labyrinthique que les précédents volumes. C’est le propre de l’entreprise,

jusque dans son titre, que de surprendre et d’étonner alors que la forme du livre dessiné reste immuable au fil des titres.

Des nouvelles d’inspiration suisse ouvrent et ferment le recueil, rappelant le tropisme helvétique de l’auteur : des histoires graves qui par leur ton ne sont pas sans rappeler l’univers de Ramuz.

Par ces fictions entremêlées à des cha-pitres biographiques et des fragments de journal, Frédéric Pajak enracine encore davantage son souvenir dans un proces-sus créatif qui au dessin à l’encre marie une prose ciselée.

Parmi les personnages choisis pour cette saison 8, des écrivains familiers de notre auteur : Ernest Renan et Paul Léautaud, aux œuvres colossales, chacune dans son genre, abordées d’un côté par les Sou-venirs d’enfance et de jeunesse et la crise consécutive à la sortie du séminaire et de l’autre par les humeurs d’un réfractaire enivré de ses partis pris et difficile à por-traiturer. L’actualité la plus récente n’est pas délaissée : figure un dessin de Notre-Dame de Paris enflammée, ainsi que des considérations sur les « gilets jaunes » à l’occasion d’un séjour en Chine qui donne lieu à une série d’œuvres abs-traites (encore une innovation), ou sur l’évolution de la vie dans la capitale française, pas pour le meilleur.

Sans doute éclaté, pluridirectionnel et inattendu, ce Manifeste complète l’introspection pajakienne et démontre une fois de plus la vigueur de son talent : voilà au moins une confirmation dans un océan d’incertitudes. Charles Ficat

notes de lecture

Nous étions nés pour être heureux, de Lionel Duroy, Julliard, 240 p., 20

Ce pourrait être un dimanche à la cam-pagne, comme dans le film de Bertrand Tavernier, mais en plus volubile ; ou bien encore un savant mélange d’un long métrage d’Ingmar Bergman (en moins sombre) et de Claude Sautet (en moins retenu) : en somme, le dernier roman de Lionel Duroy se lit (et s’apprécie) comme un scénario. Dans Nous étions nés pour être heureux, titre magnifique, elle est en effet tout entière réunie, cette famille qui fait la matière des livres de l’auteur depuis trente ans. Ils sont tous là, ceux qui ont connu les désastres de la famille Duroy : les vivants, les absents et les morts, rassemblés, évoqués ou convoqués autour d’un déjeuner récon-ciliateur, chez Paul (double de l’auteur), en un jour d’octobre estival. Dix-neuf personnes présentes après des années de silence et de brouille, c’est dire que le repas (et le récit) va s’étirer, à l’ombre d’une véranda et des arbres du jardin.

Pour qui a lu Le Chagrin et les romans suivants de Duroy, nul besoin de les présenter : Christine, Anne-Cécile, Béa-trice, Adèle, Nicolas, Ludovic, Maxime, Basile, les frères et les sœurs qui ont vécu la même enfance désastreuse, entre une mère déchue de sa baronnie et un père irresponsable, endetté et d’extrême droite de surcroît. Sur la fratrie de dix, neuf ont répondu à l’invitation, manque Frédéric. Mais sont venus également les deux ex-femmes de Paul, ses quatre enfants, ses trois petits-enfants et un

neveu. Ils parlent, se disputent, pleurent et s’embrassent : ils ont connu le même enfer (les huissiers, les relogements, la folie de la mère), ils y ont survécu.

Comprendre comment se construit une vie d’adulte, avec l’enfance qui lui a été donnée, et quelle transmission se fait, ou pas, d’une génération à l’autre, telle est l’entreprise essentielle de Lio-nel Duroy. Se souvenir, détricoter, re-visionner et mettre en mots un passé qui ne passe pas, mais dont l’avenir n’est pas forcément écrit. Question de survie.

Isabelle Lortholary

Émergence, d’Éric Tourville, Slatkine & Cie, 477 p., 22

Selon les plus récentes études, l’huma-nité cohabitera avec 100 à 150 milliards d’objets connectés d’ici 2025. L’énorme masse de données produite par ces ordi-nateurs, voitures, montres et même fri-gos connectés sera elle-même traitée par les algorithmes de plus en plus puissants de l’intelligence artificielle (IA) qui s’im-misce peu à peu dans tous les secteurs de l’économie et de notre vie quotidienne.

Rassurons-nous cependant, les IA d’au-jourd’hui sont faibles. Les machines, qui ne nous gouvernent pas encore, sont capables de s’acquitter avec rapidité et effi-cacité de tâches extrêmement spécifiques mais pas de développer une conscience propre, ce qui caractériserait au contraire l’« IA forte » dont la perspective a effrayé Stephen Hawking ou Elon Musk. C’est l’émergence de ce type d’IA que narre le dernier roman d’Éric Tourville, déjà

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auteur de Chimaeris. Dans Émergence, Éric Tourville prend pour point de départ le postulat de la « singularité technologique » qui suppose que le déve-loppement de l’intelligence artificielle entraînerait des progrès technologiques et des bouleversements économiques tels qu’ils modifieraient en profondeur et de manière imprévisible les sociétés humaines. Le thème de l’intelligence artificielle fascine la littérature depuis longtemps déjà. On peut citer pêle-mêle Philip K. Dick, Frank Herbert ou Isaac Asimov, qui énonça pour la première fois, dans les nouvelles « Menteur ! » et

«  Cercle vicieux  », publiées en 1941 et 1942, les trois lois de la robotique : « 1) un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger, 2) un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi, 3) un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi. » La science-fiction, en France comme à l’étranger, s’applique depuis Asimov à explorer les ambiguïtés de ces trois règles et les rapports que l’être humain pourrait entretenir avec une IA forte. L’ouvrage d’Éric Tourville nous situe dans un futur très proche, presque contemporain, en France, où une start-up réussit à accomplir dans le domaine de l’intelligence artificielle une série de sauts technologiques qui révolutionnent le secteur de la grande distribution avant de bouleverser l’économie tout entière, entraînant une transformation radicale

du marché du travail et de la société.

Dans un roman qui parvient toujours à maintenir le lecteur en haleine, Éric Tourville aborde des thématiques comme l’informatique quantique ou l’apprentis-sage automatique, dont la technicité est rendue avec précision sans jamais nuire à la clarté du propos et à sa dynamique narrative. Si Émergence propose au lec-teur un brillant exercice d’anticipation technologique, c’est aussi une satire, sou-vent très drôle, d’une société française tiraillée entre décomposition sociale et messianisme technologique et entrepre-neurial. Le monde de la recherche fait lui aussi l’objet d’un portrait au vitriol, dépeignant un milieu universitaire étouffé par l’immobilisme, les querelles d’ego et la mesquinerie. La description n’est pas sans rappeler Un tout petit monde de David Lodge. Dans Émergence cependant, la satire devient d’autant plus inquiétante qu’elle met en scène avec beaucoup de réalisme l’inaptitude des décideurs et chercheurs à appréhender la véritable nature des avancées qu’ils suscitent sans vraiment les comprendre.

Laurent Gayard

Cahiers de prison. Février-octobre 1946, de Louis-Ferdinand Céline, édition présentée et annotée par Jean Paul Louis, Gallimard, 240 p., 20

« Le Groenland plus que jamais ! » Après son arrivée à Copenhague en mars 1945, le fugitif Céline fut arrêté à la fin de l’an-née puis incarcéré plusieurs mois. Livré

notes de lecture

dans l’inconfort de sa cellule à la prépara-tion de sa défense, il s’imaginait repous-ser son exil loin vers l’ouest jusqu’aux limites les plus glacées de la Couronne danoise. Céline chez les Esquimaux...

ses biographes auraient adoré. Quand sa solitude n’était pas soulagée par les rares visites de sa femme Lucette, il rem-plissait dix cahiers d’écolier, trois cents pages au total, fournis par l’administra-tion pénitentiaire à condil’administra-tion de ne pas commenter son affaire en cours ni de tenir des propos malséants ou licencieux.

Les voici réunis pour la première fois en édition intégrale. Outre des précisions sur les conditions de sa détention et des souvenirs de France, ces méditations jettent une lumière sur Céline lecteur et sa recherche de frères d’infortune, exilés, emprisonnés, victimes de la férocité fran-çaise. « À moi Descartes ! À moi Voltaire ! À moi Chateaubriand ! À moi Hugo ! », crie-t-il, envahi par les livres, aux ver-tus apaisantes. Son programme de révi-sion des classiques comprend la Revue des Deux Mondes. Il est bienheureux de l’avoir sous la main. Surprise, elle lui donne de grandes joies. Elle le galvanise :

« On se sent Dieu à relire les événements à l’envers, les bafouillages de tous les gens pompeux, augustes, redoutables, allant vers les événements que nous connais-sons ! on prend ainsi de la sérénité de la sagesse aussi. » Toutes les voies mènent à la Revue...

L’autre intérêt des Cahiers de prison, ce sont les versions préparatoires de ses romans en cours. Coup de sonde vers le chantier romanesque de Céline, elles offrent une vue en coupe de la « seconde

révolution narrative et stylistique » de l’auteur, d’après l’éditeur scientifique du volume, Jean Paul Louis. Au-delà des valeurs historique et génétique, ces petits cahiers écrits dans des conditions et sur un support inédits relèvent des manus-crits de l’extrême. Olivier Cariguel

L’Île du dernier homme, de Bruno de Cessole, Albin Michel, 432 p., 21,90

C’est l’histoire d’un homme qui s’éloigne. Habitué aux reportages au Moyen-Orient, au Maghreb, en Afrique de l’Ouest et de l’Est, le journaliste François Saint-Réal ne pleure pas ses liens défaits avec la vie parisienne. En quelques pages où se fait entendre l’écho d’Illusions perdues de Balzac, ce grand reporter à L’Indépendant, un hebdoma-daire qui a ressemblé à feu L’Événement du jeudi, évoque avec drôlerie et férocité ce qu’est devenue la presse française.

Obséquieux avec les puissants, mépri-sant avec les petits, Bernard Kerfiel, le nouveau directeur de la rédaction de son journal, l’énonce sans trembler :

« La déontologie, je m’en fous, je ne suis pas un journaliste, mais un petit épicier au service de l’actionnaire [...] Tu es rin-gard avec tes principes à la con, tu n’as pas compris que la presse aujourd’hui, c’est du marketing éditorial. » L’enquête que mène Saint-Réal sur l’islamisation de la jeunesse s’apparente ainsi à un voyage sans espoir de retour. Le troi-sième roman de Bruno de Cessole, qui a dirigé la Revue des Deux Mondes, est une

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manière d’inventaire avant liquidation.

Son héros est parti en Mauritanie à la poursuite de son destin. En « mâle blanc agnostique et désabusé », il a observé avec sympathie la promesse d’un monde

« affranchi des tares du libéralisme sau-vage et d’un matérialisme obscène. » Inquiets de sa fascination pour les fous d’Allah, des membres du service de ren-seignement britannique s’intéressent de près à ce zèbre. Agent du MI6, Deborah McRuiari, qui travaille sur la radicalisa-tion des femmes en Grande-Bretagne, a pour mission de ne pas le lâcher. Sur-tout après son bref séjour sur le champ de bataille d’Alep. Saint-Réal surprend les British en prenant l’avion pour Glas-gow et en s’établissant dans un refuge de chasse de l’île de Jura. Ils ignorent sa passion pour George Orwell, le roman-cier qui a écrit dans cette île un roman intitulé Le Dernier Homme en Europe, devenu 1984. À l’école de Vladimir Volkoff et de John le Carré, Bruno de Cessole mène son récit sans temps mort et nous fait voir du pays. Une excellente surprise.  Sébastien Lapaque

Dante. Une poétique de la conversion, de John Freccero, traduit par Laurent Cantagrel, Desclée de Brouwer, 552 p. 26 Jorge Louis Borges répétait que la

Dante. Une poétique de la conversion, de John Freccero, traduit par Laurent Cantagrel, Desclée de Brouwer, 552 p. 26 Jorge Louis Borges répétait que la