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Le turnover des équipes éducatives : encourager

Dans le document les défis du droit à l’éducation (Page 55-59)

E

st entendue par « qualité scolaire », l’ensemble des questions relatives aux conditions de scola-risation et d’enseignement mais également aux enjeux relationnels nécessaire au développement des apprentissages et des pratiques pédagogiques.

Le turnover des équipes éducatives : encourager la stabilité pour favoriser la qualité éducative

La mobilité des professionnels de l’éducation201 est loin d’être un phénomène nouveau en Guyane. Il est même possible de dire que l’histoire scolaire est mar-quée par la recherche constante d’un personnel édu-catif formé et stable. Si la question s’est posée au moment de la laïcisation de l’école entre les années 1880 et 1890 avec le départ des ecclésiastiques, elle était toujours d’actualité lors de la départementalisa-tion en 1945 et dans les années qui suivirent. C’est d’ailleurs pour favoriser l’attractivité du territoire que des primes (d’éloignement ou d’installation) et des mesures incitatives ont été instaurées202.

201 Cette question sera pleinement détaillée dans l’approche 2.2 Grand-Santi.

202 Thèse en cours de rédaction, Alexandra Vié, École et scolarisation en territoire frontière d’Amazonie : le cas de la commune de Maripasoula, Guyane française (titre provisoire), sous la direction d’Aziz Jellab et Maïtena, GHRAPES EA7287, Université Paris Lumières.

Que cela soit à travers les rapports institutionnels décrivant la situation scolaire ou notre connaissance du territoire, il est possible de soulever deux enjeux majeurs liés à la mobilité des équipes. Premièrement, la Guyane connaît une faible attractivité, en externe, vis-à-vis de la métropole. À titre d’exemple, « pour le premier degré, le rectorat de Guyane constate, en moyenne, une demande d’entrée de titulaires pour dix demandes de sorties du territoire203 ». Deuxièmement, en interne, il est également possible de voir certains territoires pâtir d’une faible attractivité à commencer par les communes isolées.

« Tous degrés confondus, alors que la propor-tion d’enseignants ayant 5 ans d’ancienneté ou moins dans une académie est de 18 % en moyenne en France, elle est de 46 % en Guyane et de 74 % à Mayotte. Quand, en moyenne nationale, un quart du corps enseignant d’un établissement a 3 ans ou moins d’ancienneté dans l’établissement, cette proportion est supé-rieure à la moitié en Guyane et aux trois quarts à Mayotte (27 % contre 52 % et 73 %). En pra-tique cela signifie qu’une fraction importante du corps enseignant change chaque année 204 ».

Ainsi, une double mobilité est à l’œuvre : externe et interne à la Guyane. Pour le 1er degré, il a été possible de constater que la mesure de dédoublement des classes de CP puis de CE1 prévue dans les REP+ par

203 Avis sur l’effectivité… (2017)., CNCDH., op. cit., p. 25.

204 Le système éducatif… (2020)., Cour des comptes., op. cit., p. 70.

la loi pour une École de la confiance205 accentuait l’ef-fet « repoussoir » ou « attractif » des territoires. Ouvrant de nouveaux postes sur l’ensemble du territoire et notamment dans la CACL (de par le nombre d’établis-sements), il a été constaté206 un effet de déplacement des titulaires (souvent des néo-titulaires), du fleuve vers le littoral, mais aussi de Saint-Laurent-du-Maroni vers la CACL, et enfin au sein même de la CACL, par exemple de Balata vers des établissements situés à Rémire-Montjoly.

Pour pallier le manque de professionnels et à leur forte mobilité, l’académie doit faire appel à des contractuels, souvent peu préparé à l’enseignement207. Ainsi dans une circonscription de Saint-Laurent-du-Maroni à la rentrée 2019-2020, en classe de CP, il a été recensé 32 enseignants contractuels sur les 53 postes soit plus de 60 %208.

« Dans le second degré, la proportion de contrac-tuels a dépassé 50 % à Mayotte en 2018 et s’est stabilisée autour de 25 % à 30 % en Guyane.

Certaines disciplines (mathématiques, langues ou SVT en Guyane) et certains lieux sont par-ticulièrement concernés. Ainsi, dans plusieurs collèges situés sur les fleuves guyanais visi-tés au cours de l’enquête, plus de la moitié du corps enseignant est constitué de contractuels : le collège Constant Chlore à Saint-Georges de l’Oyapock emploie entre 56 % et 70 % de contrac-tuels selon les années, le collège Ma Aiye à Apa-tou sur le Maroni en recense quant à lui 67 %.

205 Dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire renforcée : Première évaluation. Ministère de l’Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports.

Consulté 4 janvier 2021, à l’adresse www.education.

gouv.fr/dedoublement-des-classes-de-cp-en-education-prioritaire-renforcee-premiere-evaluation-11879 206 Ce constat se matérialise par des entretiens avec des personnels d’encadrement, formateur REP, mais aussi inspecteur de circonscription qui ont « perdu » une partie de leurs personnels titulaires. Un tableau indiquant la part des enseignants contractuels dans une circonscription du 1er degré de Saint-Laurent-du-Maroni est présenté en annexe n°3.

207 Certains enseignants contractuels exercent depuis plusieurs années, mais d’autres sont des néo-enseignants, qui n’ont jamais enseigné.

208 Données compilées par une circonscription, Rectorat, 2019.

Le maximum a été observé dans les collèges les plus éloignés sur le haut Maroni (90 % à Grand-Santi) et à Camopi sur l’Oyapock (88 %)209 ».

Si la mobilité des personnels freine la construction d’un travail en équipe, d’une culture d’établissement, le recours massif à des personnels contractuels non formés vient compliquer le travail pédagogique et édu-catif, d’autant plus fortement que ces derniers, comme en atteste le tableau présenté en annexe210, sont « pro-pulsés » sur des classes dites « stratégiques » tels que la classe de CP. En effet, à Saint-Laurent-du-Ma-roni, faute de places dans les établissements pour permettre un dédoublement des classes de CP et de CE1, ce dispositif est majoritairement organisé de la manière suivante211 : deux enseignants dans une classe de 24 élèves qui doivent coenseigner. Après de nom-breux échanges avec des enseignants titulaires, très peu semblent favorables à la coanimation. Les places sont donc vacantes dans ces classes. Pour combler les « vides », il est demandé à des contractuels d’ap-prendre à enseigner, en coanimation avec un public de CP, qui pour la plupart n’a pas le français comme langue maternelle.

« Cependant, le dédoublement n’a pu être réa-lisé de manière physique que pour 20 % des classes, les 80 % restants donnant lieu à la mise en place d’un coenseignement par deux enseignants, dans une classe à 24 élèves. […]

Certains effets paradoxaux du dédoublement des classes sont à relever, en raison de la situa-tion très singulière de la Guyane. En effet, en accroissant le nombre de postes, il a aggravé la concentration des titulaires sur le littoral, et celle des personnels contractuels dans les communes de l’intérieur.

209 Le système éducatif… (2020)., Cour des comptes., op. cit., p. 73.

210 Cf Annexe 3 p.205

211 Information obtenue par un inspecteur de circonscription du 1er degré dans la commune de Saint-Laurent-du-Maroni.

Cet inconvénient rend d’autant plus urgente la valorisation des années passées dans les zones isolées pour la carrière des personnels titulaires212 ».

Malheureusement, tous ces éléments (la mobilité des équipes et le manque de personnels qualifiés,  etc.) sont corrélés aux conditions d’exercice du métier.

La vétusté des locaux ainsi que leur inadaptation aux nouvelles réalités démographiques entretiennent la mauvaise réputation de certains établissements et rendent difficiles les initiatives pour favoriser un climat favorable aux apprentissages, mais aussi pour mainte-nir les professionnels en poste.

Toutefois, des initiatives sont lancées pour « attirer » les enseignants. Premièrement, la mise en place du système de l’alternance dès la première année de Master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation, et de la Formation (MEEF) en 2016 a permis de for-mer un grand nombre d’étudiants. D’autres initiatives sont plus récentes, telles que le développement de la licence en préprofessionnalisation, à l’instar de la licence de mathématiques (Étudiant Apprenti Profes-seur). Comme l’indique la plaquette de l’université de Guyane : « le dispositif “Étudiant Apprenti professeur”

(EAP) est un dispositif d’aide à l’insertion profession-nelle dans les métiers du professorat213 ». Ce contrat d’apprentissage permet aux étudiants d’entamer une formation « professionnalisante » rémunérée très tôt.

La création d’un concours de professeurs certifiés à affectation locale dans le cadre des concours natio-naux est une autre initiative. Si ce concours maintenait les conditions de recrutement de droit, il assurerait une affectation dans l’académie214. Enfin, le projet « les pirogues du fleuve » initié en 2016 par le rectorat et l’université permet aux jeunes enseignants-étudiants inscrits en deuxième année du Master MEEF de partir une semaine sur les fleuves Oyapock et Maroni pour

212 Rapport d’information… (2020)., Studer, Petit., op. cit., p. 10-11.

213 Licence de Mathématiques (Étudiant Apprenti Professeur). Université de Guyane. Consulté 29 mars 2021, à l’adresse https://www.univ-guyane.fr/formation/

nos-formations/formations-dfr-sciences-technologies/

licence-de-mathematiques-etudiant-apprenti-professeur/

214 Décret n° 2021-93 du 30 janvier 2021 relatif à l’ouverture de concours de recrutement de professeurs certifiés à affectation locale en Guyane

découvrir les conditions de vie et enseigner sur les sites isolés215. Lors de ces séjours, les étudiants sont encadrés par des formateurs et prennent en charge une classe en binôme sur les différents sites pendant que les formateurs proposent un contenu de forma-tion aux enseignants des dites classes. Ils changent de niveau à chaque site ou presque. Ces réponses sont encourageantes, car elles tendent à vouloir ins-taller des professionnels formés qui seront amenés à rester sur le territoire. À ce titre, la question de recru-ter des enseignants originaires de Guyane pour ensei-gner en Guyane semble faire l’unanimité dans les rap-ports et les terrains de recherche. Toutefois, il apparaît essentiel de ne pas, pour autant, abaisser le niveau de qualification attendu216.

Pour interroger la qualité scolaire, il convient éga-lement de prendre en compte le rôle des acteurs non enseignants dans l’équipe éducative. Comme le montre l’avis de la CNCDH en 2017, « le service public de l’éducation manque des compétences indis-pensables à la bonne marche des écoles à tous les niveaux (médecins scolaires, infirmières, conseillers d’orientation, assistantes sociales…)217 ». Par exemple, le recrutement de médecins et de psychologues sco-laires s’avère difficile notamment dans les communes isolées.

« [À Maripasoula] Si l’on s’intéresse aux acteurs éducatifs non enseignants, nous constatons que de nombreux postes sont vacants. Par exemple, l’assistante sociale du collège n’est

215 Cette terminologie est utilisée par le Rectorat, pour tout établissement non relié à la route. Il s’agit donc des écoles de Saül et Kaw, situées sur le Maroni après Apatou et sur l’Oyapock après Saint-Georges.

Cette dénomination permet également aux nouveaux enseignants titulaires de bénéficier d’une prime d’installation.

216 Comme le montre le rapport d’information de la Cour des comptes, des adaptations ont été expérimentées à Mayotte : « Depuis la suppression des concours d’instituteurs de l’État recrutés à Mayotte (IERM), le ministère a admis des aménagements à la fois sur le niveau de diplôme exigé (le niveau de recrutement est la licence pour le concours externe et bac+2 pour le second concours interne) et sur les modalités du stage statutaire », Le système éducatif…

(2020)., Cour des comptes, op. cit., p. 70

217 Avis sur l’effectivité… (2017)., CNCDH., op cit., p.29.

pas installée sur place et vient tous les quinze jours et il n’y avait plus de psychologue scolaire entre 2016 et 2018, alors que les probléma-tiques infantiles sont considérables218 ».

Dès lors, en l’absence de personnels qualifiés, les enseignants se retrouvent seuls à gérer les difficultés sociales des familles. Or, comme le rappelle le rap-port d’information établi par deux députés en 2019 :

« la majorité des élèves est issue de milieux défavori-sés : 44 % de la population se situe en deçà du seuil de pauvreté219 ». À ce titre, l’entretien effectué avec un responsable de la Maison des Adolescents (MDA) de Cayenne nous a ainsi montré que les élèves accueillis dans la structure se révélaient souvent des jeunes en rupture familiale.

D’autre part, et bien que le travail en synergie entre les professionnels des secteurs éducatif, médical et social constitue une difficulté à part entière au niveau natio-nal, cela est exacerbé dans les territoires de Guyane tant les services liés à l’enfance sont sous tension.

Par exemple, à Cayenne, les travailleurs sociaux de la MDA éprouvent certaines difficultés à être associés aux actions de prévention socio-scolaire menées dans les établissements. Selon les entretiens conduits, les interventions seraient cantonnées à des actions de prévention en éducation à la sexualité ou encore des conduites à risque et addictives.

218 Rapport EDUCINCLU… (2019), Armagnague et all., op. cit., p. 204.

219 Rapport d’information… (2020)., Studer, Petit., op. cit., p. 7.

Or, le travail interprofessionnel permettrait une prise en charge globale de l’enfant et permettrait d’ac-compagner les enseignants dans les problématiques socio-économiques des élèves. Face aux enjeux colossaux que constitue la prise en compte de la jeu-nesse et de l’enfance, un député rencontré note que l’Éducation nationale ne peut à elle seule régler tous les problèmes.

En effet, on constate finalement une difficulté structu-relle à penser l’éducation dans sa dimension globale, ce qui en Guyane apparaît fondamental tant les diffi-cultés socio-économiques restent prégnantes dans le quotidien des jeunes. Or, la tendance consiste, à la fois, à faire peser sur l’école toute une série de mis-sions qui doivent être portées par différents acteurs socio-éducatifs, mais il faut également soulever le fait que l’Éducation nationale peine, elle aussi, à s’ouvrir à ces différents acteurs. En effet, l’école doit être inter-connectée aux projets sociaux développés dans son environnement. Or, à l’instar d’un député interrogé, le directeur de l’École de la 2e Chance (E2C) souligne l’absence de politique de la jeunesse en Guyane qui prendrait à bras le corps la question des difficultés matérielles des jeunes.

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