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Les habitations apparaissent hétérogènes. Elles se louent entre

Dans le document les défis du droit à l’éducation (Page 107-110)

100 euros pour une petite chambre à 1000 euros par mois pour une maison en ciment et en bois.

Notes de terrain, septembre 2020.

Même si le discours semble tourné vers la volonté d’améliorer le quartier et de le rendre plus salubre, on ne peut que se poser la question de la place de ce

« comité » (présenté dans les notes de terrain) dans les transactions courantes du quartier. En effet, ce qui surprend c’est le cloisonnement des habitations.

Quand on se promène dans le quartier, on aperçoit dif-ficilement les habitations, car de grandes palissades en tôle sont érigées. On a l’impression de circuler dans un labyrinthe. En l’absence de services publics, ce sont les réseaux informels qui répondent aux besoins des habitants. Tout se paye : un raccordement illégal, une attestation d’hébergement, le droit d’ouvrir un petit commerce, un transport en scooter, même la photocopie d’une attestation dérogatoire de sortie357. Selon les travaux de Maronilab, le quartier dispose de deux rampes de robinets d’eau potable gratuite situées à 150 m l’une de l’autre. Du fait de leur empla-cement à l’entrée du quartier et de l’expansion vers le nord, 68 % des maisons se trouvent à plus de 200 mètres de ces points d’eau. Les autres sources d’ap-provisionnement en eau sont : la crique, les puits et la récupération d’eau de pluie. Un secteur du quartier est connecté au réseau d’eau potable de la ville. Le confinement et les mesures de restriction des dépla-cements ont aggravé les conditions de vie et les condi-tions sanitaires dans les quartiers.

« Avec une moyenne de 6 personnes par ménage, un espace de vie réduit et pas d’ac-cès à l’eau et à l’électricité (ou de façon spo-radique) au sein du logement il devient difficile de rester confiné chez soi. Des tâches aussi basiques que se laver, faire la vaisselle ou la lessive nécessitent en effet de se rendre à la borne-fontaine du quartier ou jusqu’à la crique et donc de côtoyer d’autres personnes358 ».

357 Selon les informations obtenues sur le terrain de recherche, la photocopie et le remplissage d’une attestation dérogatoire de sortie dans le cadre, la pandémie de la COVID-19 peut coûter jusqu’à 30 euros.

358 Maroni Lab. (2020, avril 3). Coronavirus – Être confiné et vivre dans un quartier d’habitat spontané : La double peine. http://gps.gf/blog/coronavirus-etre- confine-et-vivre-dans-un-quartier-dhabitat-spontane-la-double-peine/

D’autre part, avec le confinement, l’activité écono-mique informelle sous forme de « job359 », parfois seule source de revenus pour certaines familles a été ralen-tie voire même arrêtée pendant l’année 2020. La fer-meture de la frontière a empêché les familles de s’ap-provisionner au Suriname, où les denrées alimentaires restent moins chères que sur la rive française. Comme dans beaucoup de territoires, l’aide alimentaire a été déployée dans l’Ouest guyanais. Faiblement « banca-risées » (c’est-à-dire sans carte bancaire ou chéquier), les familles doivent se rendre au guichet des banques pour retirer de l’argent. Or, pendant le premier confi-nement, l’agence postale située à Bakalycée et la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) ont été fermées.

Relations familiales et place des enfants

Sans prendre en compte les impacts du confinement, les professionnels rencontrés dans l’Éducation natio-nale ou en-dehors ont tous fait état d’une enfance abandonnée, sacrifiée, maltraitée. Ils relatent des situations d’enfants mal nourris, mal soignés, violen-tés, laissés seuls.

Un jeune en Service Civique originaire du quartier d’une école étudiée se confie sur sa vie. Il a une ving-taine d’années et un CAP en poche. Comme il dit, il a fait des « jobs » pour se payer ses fournitures sco-laires. Il était piroguier. Quand il parle de sa mère, il a les larmes aux yeux. « Elle ne m’aime pas. Moi j’au-rais juste voulu qu’elle m’aime. Pourtant je fais tout, je ne suis pas un mauvais garçon ». Ce jeune garçon s’occupe de ses frères et sœurs jour et nuit. Il se lève quand la dernière pleure pendant que sa mère « job » en gardant les enfants d’autres. Il ne comprend pas pourquoi elle ne s’occupe pas de ses enfants. « Pour-quoi m’a-t-elle mis au monde ? ». Il n’en peut plus et le répète sans cesse. Contrairement à ses amis du quartier, il ne fait pas la mule. Il veut s’en sortir, quit-ter ce quartier, même si l’idée d’abandonner sa petite sœur lui déchire le cœur. Ce jeune garçon fait état de ces « mamans multiples » avec sept, huit, dix enfants, de ces jeunes filles devenues mères très jeunes, trop jeunes pour les professionnels de l’éducation. Privées

359 Ces jobs peuvent concerner les métiers du bâtiment, l’abattis, la vente de produits ou de plats préparés, le jardinage ou la garde d’enfants.

d’enfance, car déjà responsabilisées par leurs propres mères pour s’occuper des frères et sœurs, les jeunes femmes attendraient de leurs ainés qu’ils ou elles prennent la relève. C’est une reproduction du schéma dans lequel elles espèrent retrouver une enfance, une insouciance. Être mère confère un statut dans la famille. On reste moins corvéable et en plus on a de l’argent.

Nombreux sont les enfants laissés seuls pendant plu-sieurs jours. De nombreuses discussions avec une jeune femme en fin d’études au lycée à Cayenne abordent le sujet. « Je ne sais pas pourquoi, mais chez nous c’est comme ça. Moi j’ai été laissée seule avec mes petits frères et petites sœurs, j’avais 7, 8 ans et je faisais à manger ». Elle est la première fille de sa mère et la deuxième de la famille. La mère, très souvent unique cheffe de famille, peut s’absenter quelques jours pour rendre visite à de la famille sur le fleuve ou au Suriname, suite à une hospitalisation (lors d’un accouchement par exemple). Les enfants sont confiés à l’aîné ou à un proche. Cette pratique n’est pas nou-velle et de nombreux enseignants font état de la dif-ficulté à joindre les représentants légaux. Toutefois, la croissance du transport de cocaïne par le système des mules a accentué les absences. Une mère peut partir avec son jeune enfant pour un transport en métropole, parfois elle peut être arrêtée. Lors d’observations dans la salle de classe de CM1, il a souvent été entendu que la tante, la mère de tel enfant était en France. C’est par l’intermédiaire des services civiques présents dans l’école que la directrice a compris que ces mères, ces tantes faisaient les mules. Selon les professionnels éducatifs et des jeunes rencontrés, le phénomène des mules touche toutes les tranches d’âge, de la cheffe de famille aux jeunes collégiens de 14-15 ans.

Les professionnels mentionnent également une perte de confiance en l’adulte chez les enfants qui peut se traduire différemment selon l’âge et l’interlocuteur. Il peut s’agir de la violence sur d’autres enfants, d’une colère, de la méfiance, d’une forme de mutisme, d’un sur-attachement, etc. Toutefois, les professionnels ren-contrés installés depuis plusieurs années dans la ville constatent une montée en puissance des faits de vio-lence, notamment juvéniles, d’une certaine fermeture des quartiers et d’un accroissement des inégalités.

Cette violence est ressentie aux abords des établis-sements et dans les structures familiales. Les profes-sionnels qui aimaient ce côté « village » peignent tous le tableau d’une désaffiliation sociale forte. D’abord marquée entre les différentes communautés, elle l’est aussi au sein d’une même communauté. Une direc-trice d’école s’inquiète qu’en l’absence des parents, les enfants ne soient pris en charge par personne. « Il y a quelques années, il y avait toujours quelqu’un dans le quartier pour prendre soin des enfants, leur donner à manger360 ».

Après avoir posé les principaux enjeux scolaires et les conditions de vie des familles, il convient à pré-sent de mettre en lumière la rencontre entre les deux sphères de socialisation : la famille et l’école. En effet, s’il est décidé dans cette troisième partie d’interroger les conditions de vie des enfants et des familles, c’est bien qu’elles impactent l’accès à la scolarisation et la qualité de cette dernière. Selon l’Insee361, en 2008 un enfant vivant dans des conditions de vie insalu-bres voit son risque d’être non-scolarisé multiplié par quatre dans l’Ouest guyanais.

360 Extrait d’entretien 30 janvier 2020.

361 En Guyane, les conditions de vie… (2013)., Gragnic, op. cit.

mairie installe des bennes. Dans ce quartier, il n’y en a pas. Les familles mettent leurs déchets dans les poubelles qu’ils alignent du côté de l’école pour s’assurer qu’elles soient ramassées. Ce n’est pas moins d’une vingtaine de poubelles qui empêchent le bus scolaire de déposer les enfants.

D’ailleurs ce sont des enfants qui

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