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Construction de l’image de la MDD de terroir : marquage terroir et valeur perçue de consommation

Section 1 - Du terroir et produit de terroir à la MDD de terroir : La construction terroir

1.1. Le terroir … porteur de sens et d’actions

Le terroir, malgré une définition complexe et polysémique, est porteur de sens. L’imaginaire du terroir renvoie aux dimensions d’ancrage dans le temps, le lieu et la culture, mais pas seulement. Effet de mode et réalité du monde trop globalisé, le terroir fait l’objet aujourd’hui de nombreuses expériences de terrain et de publications dans différents pays, notamment

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anglo-saxon avec les Etats-Unis qui progressivement se l’apprivoisent (Bowen et Mutersbaugh, 2014).

1.1.1. Le terroir … à la croisée des sciences

Le terroir est en mouvement. Appréhendé par de nombreux chercheurs dans différents champs disciplinaires, le terroir se construit de façon permanente. Mais si les points de vue des académiques et des professionnels se rejoignent, les praticiens et consommateurs semblent avoir une tout autre perception.

Constructions terroir et définitions

Le terme « terroir » semble être ancien, il apparaît dans le traité « Théatre d’agriculture et mesnage des champs »6 (1600, 1024 p.) d’Olivier de Serres (1539-1619), agronome fort apprécié du roi Henri IV (1553-1610). Cette notion de terroir, si elle indiquait que les produits issus de cet espace étaient à l’origine plutôt basiques, a fortement évolué depuis la remise en question du modèle intensif et productiviste des trente glorieuses trop orienté vers les intrants au détriment du naturel. Une agriculture alternative s’est alors développée depuis la fin des années 1980 : agriculteurs, chercheurs dans différentes disciplines mais aussi consommateurs et citoyens ont contribué à ce courant de production-transformation-consommation et de construction locale ou paradoxalement les produits et/ou services de cet espace terroir sont aujourd’hui recherchés et plutôt haut de gamme.

Ainsi au fil du temps, le concept de terroir a évolué, mais si à son origine historique il a une référence forte à la dimension géographique, à la région, à un terrain (la parcelle) normalement limité et selon des conditions de sol, de climat permettant de donner des produits de qualité distinctifs (Barham, 2003), pas toujours à leur avantage gustatif (produits rustiques, goûts très prononcés), à ce jour d’autres dimensions lui sont attribuées. La définition de terroir est polysémique, la revue de la littérature montre que nombre de disciplines et d’auteurs ont cherché à définir et à caractériser ce concept (Ricard, 1995 ; Letablier et Nicolas, 1994 ; Lagrange et al., 1997 ; Bérard et Marchenay, 2004 ; Scheffer, 2002 ; Casabianca et al., 2005 ; et bien d’autres encore). Aujourd’hui, la notion de terroir s’est banalisée à travers l’Europe et devient économiquement importante7 aux Etats-Unis et Canada, en Amérique latine, en Afrique et Asie (Bowen et Mutersbaugh, 2014). L’importance

6 Ouvrage publié dès 1600 (avec 19 éditions jusqu’en 1685), puis trois nouvelles publications entre 1802 et 1807, et enfin nouvelles éditions (22e en 1973) dont la dernière (25e) en 2001, Arles, Actes Sud, 1545 p.

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mondiale croissante du terroir, des indications géographiques (reconnaissance par l’OMC en 1994) et les outils conceptuels associés (tels les Systèmes Agroalimentaires Localisés – SYAL8 – Muchnik et al., 2008) sont devenus plus pertinents pour les chercheurs américains et anglais travaillant sur les réseaux alimentaires notamment alternatifs (Alternative Food Networks ou AFN).

En France et dans les pays francophones, où la notion de terroir est bien établie, la définition a évolué avec le temps. Parmi les nombreuses définitions (annexe 1), nous retiendrons la définition permettant une lecture internationale émanant d’un travail collectif (INRA-INAO-UNESCO) pour qui « un terroir est un espace géographique délimité, défini à partir d'une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs, et de pratiques fondés sur un système d'interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoir

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faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à la seule tradition » (Planète Terroir9, 2005).

Ainsi, cette définition revisitée du terroir de Casabianca et al. (2005) est à même de jouer un rôle central dans les processus socio-économiques et environnementaux (le triptyque du développement durable), capable de répondre aux attentes et conceptions des consommateurs, citoyens et acteurs à la fois de (et dans) leur territoire. Le terroir est vu comme un lien entre les diversités des milieux, des cultures, des agricultures et des alimentations (Rastoin et Ghersi, 2010). Cette vision dynamique du terroir en relation avec sa dimension sociale et culturelle supplante sa représentation passée statique et figée et montre son potentiel pour la construction systémique (interdisciplinaire) d’un lieu de vie (travail, consommation, loisirs).

Le terroir au croisement de nombreux champs disciplinaires

L’approche constructiviste de ce travail met l’accent sur la nécessité de la preuve du lien (Bérard et Marchenay, 1998 ; Barjolle et al., 1998) entre le produit, son terroir (espace délimité, systèmes de production agricole et agroalimentaire), les acteurs (coopération entre acteurs locaux et un système de normes construit et partagé, une communauté humaine avec son histoire et ses intérêts communs, ses traits culturels communs) et leurs pratiques (savoirs,

8 Le concept SYAL permet d’analyser finement la transition terroir/territoire (Pecqueur, 2011) par la compréhension des processus de qualification territoriale des produits que sont la construction, l’appropriation et la gestion collective des ressources locales par des acteurs locaux et leurs dispositifs organisationnels et institutionnels (Prévost et al., 2014). Les travaux sur les SYAL reconnaissent que la coopétition entre acteurs et activités favorise les performances individuelles et collectives (Muchnik et Sainte-Marie, 2010).

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savoir-faire, écosavoirs…métiers) (Prévost et al., 2014). Le terroir rassemble toutes ces composantes pour constituer un système productif et culturel local dont les effets sont pluriels en termes de valeur écologique (ressources territoriales, services), de valeur marchande (typicité des produits d’origine, de stratégies de différenciation par la notoriété, la confiance entre parties prenantes – producteur/consommateur/distributeur – par l’information résumée par l’origine, le partage de la valeur ajoutée entre acteurs) et de valeur culturelle ou identité du lieu (patrimoine paysager, ethnologique, culinaire ; construction identitaire comme l’art de vivre, le sentiment d’appartenance). L’apport des différentes disciplines scientifiques (annexes 2 et 3) met en lumière les dimensions spécifiques du terroir et sa complexité, le rendant in fine plus intelligible et opérant selon l’approche privilégiée.

Cette analyse constructiviste rapproche les points de vue des scientifiques et des professionnels, mais ne facilite pas la lecture de ce concept complexe pour les consommateurs, lesquels ont une lecture « terroir » assez différente de celles des académistes et professionnels. Le terroir est synonyme de qualité(s) et revêt une représentation d’authenticité (pas une copie) que chaque consommateur peut imaginer selon son expérience personnelle et son implication envers la catégorie de produits. Nous y reviendrons dans la section 3.

Cette définition du terroir intègre bien plus que des caractéristiques du milieu naturel (climat, sol, paysage, végétation, etc.), car elle réfère à l’activité humaine (pratiques, savoir-faire, etc.) (Bertrand et al., 2002 ; Deffontaines, 1998 ; Bérard et Marchenay, 1998). Des notions importantes comme l’histoire, l’appropriation collective et les interactions sont également à retenir. On comprend également que la typicité d’un terroir s’exprime dans un produit (Casabianca et al., 2011). La définition de « terroir » n’a de sens qu’en référence à un produit dont on pense que les caractéristiques dépendent de ce terroir. Cette définition renvoie notamment aux appellations d’origine contrôlées, protégées (AOC, AOP) ou le ‘O’ central « l’origine » est bien plus qu’une provenance, elle indique aussi « une qualité, une authenticité, certaines caractéristiques dans les modes de production, de transformation et d’élaboration » (rapport10 ‘Terroirs et Origine’, 2010). L’origine est donc rattachée au concept terroir, comme le sont les liens au local, au goût, à la fraicheur, au naturel (Brodhag, 2004), et d’une manière plus globale à la qualité (Valceschini et Torre, 2002 ; Valceschini, 2003).

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1.1.2. Le terroir : une réalité complexe multidimensionnelle

La revue de la littérature permet de mettre en relation et de synthétiser les apports des travaux réalisés dans différents champs disciplinaires. Elle montre que le terroir multi-référentiel et pluridimensionnel est complexe à conceptualiser, et que sa lecture plurielle théorique et pratique nous permet de l’ériger en concept opératoire pour l’action marketing. Dès lors, nous justifions de l’usage du concept terroir par son association aux produits locaux qu’il porte, les sources terroir définies par Aurier et Fort (2004). Le terroir privilégie l’entrée par le produit, expression de l’activité humaine dans un espace local et dans un temps long (Bérard et Marchenay, 2000). Cette profondeur historique revendiquée – la tradition - est le résultat d’un long processus de construction où les savoir-faire partagés de production/transformation, tout comme ceux relevant de la façon de consommer – us et coutumes alimentaires – engagent la dimension culturelle, autrement dit les pratiques-terroir. Le lien produit-terroir est le résultat d’un processus interactif entre des ressources locales, des conditions naturelles et culturelles où la main de l’homme est prépondérante et déterminante. Le terroir exprime un patrimoine commun dans un processus de valorisation des ressources locales.

Le terroir : un objet en construction permanente … et de construction de l’imaginaire

Le terroir est en construction permanente tout en étant un objet de représentations sociales (associées aux appellations d’origine depuis les années 1930) et symboliques où l’imaginaire alimentaire associe mythe du naturel11 (Fischler, 1990), mythe de l’authentique (Camus, 2003) et culte du passé. Le terroir, objet normé, idéalisé - surévalué et sur-patrimonialisé - permettrait une évasion à la fois dans le réel et l’imaginaire. La réalité terroir renvoie à une offre de produits et services, résultat de l’expression de la diversité des différentes dimensions émanant des composantes du terroir : espaces, acteurs, pratiques et produits. L’ensemble de ces éléments intégrés dans le terroir finalise un système productif et culturel local où chacune des composantes - et sous-composantes - agit en termes d’effets du terroir signant « la trajectoire de développement de valeurs recherchées (écologique, marchande, culturelle) qui, en retour impactent les facteurs terroir » (Prévost et al., 2014). Ainsi, le terroir n’est pas figé malgré des critères fixés par les normes (AOC, AOP, etc.) et les pratiques alimentaires d’un mangeur nostalgique (Tavilla, 2012), il est en mouvement, en construction permanente (Fort et Fort, 2006).

11 Fischler analyse le mythe du naturel comme une contre tendance de l’urbanisation, une aspiration venant compenser et complémenter une vie urbaine agitée et polluée (L’Homnivore, 1990).

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L’imaginaire du terroir : des significations contradictoires …

L’idée du mythe, du naturel a été analysée par Fischler (1990) comme une contre tendance de l’urbanisation. Contre l’idée de la mondialisation et des effets de globalisation se développe l’idée de la nature retrouvée, de la proximité géographique. Cette envie de naturel et du local se conçoit comme une évasion venant compenser et rééquilibrer cette vie urbaine agitée et polluée, mais aussi comme un antidote à la méfiance eu égard aux produits agroalimentaires industrialisés : le mangeur ingère des qualités fortement symboliques telles la naturalité liée au lieu de production (naturel, traditionnel, fermier, marchés locaux, terroir) et va s’approprier des valeurs associées à ces espaces territoriaux, absorbant physiologiquement et psychologiquement les codes identitaires de cet espace (Bessière et Tibère, 2011 ; Bessière et

al., 2013). Le terroir est porteur de sens et de situation d’échange autour de lui et à travers lui dans ce qu’il porte de force symbolique et dans ce qu’il véhicule d’imaginaire chez le consommateur (Tavilla, 2008 ; 2012). En effet, il y a une relation d’interdépendance entre les critères culturels que sont l’origine géographique, la qualité du produit et les savoir-faire humains, lesquels se regroupent sous l’expression « d’imaginaire du terroir » telles les traditions, les logiques identitaires, la nature et la santé. Les produits AOC/AOP qui constituent la base solide des produits de terroir en sont un exemple, puisque l’appellation a une justification culturelle au-delà de la nécessité juridique (Ascher, 2005). Les appellations d’origine, révélant des pratiques anciennes (Appellation Comté date du 13e siècle) et une inscription territoriale, ont joué et jouent un rôle déterminant encore aujourd’hui dans la définition du produit de terroir. Le nom d’un terroir désigne, une réputation, une histoire et un savoir-faire (Ilbert et al., 2005), cet ancrage temps, lieu et culture constitue les fondations même du produit, mais le progrès et les innovations comme les attentes des consommateurs acteurs et citoyens, contribuent à faire évoluer l’image et la valeur de ce produit.

Le terroir et l’authenticité deviennent des arguments incontournables et dopent le caractère « fraicheur », un autre critère d’achat avancé par 69% des personnes12 interrogées (Cadoux, LSA du 7/02/2013). Lidl dans sa dernière campagne publicitaire (mars 2015), pour casser son image low-cost et renforcer celle de détaillant dont l’offre va bien au-delà de simples prix bas, met en avant la fraîcheur et la qualité de ses produits MDD ainsi que les très bonnes conditions de travail au sein même de l’entreprise comme avec ses fournisseurs (PLMA E-Scanner – mars 2015). La priorité est au local, Casino avec ses produits « Le Meilleur d’ici » (circuit court, moins de 80 kms ; plus de 400 produits référencés en 2012) et « Ça vient

12 Etude L’OEuf de nos villages (2012) ; Les autres critères : le prix (48%), le terroir et l’authenticité (41%), le mode d’élevage et/ou de production (40%).

40 d’ici », sa nouvelle signature MDD de terroir 2015 venant combler un vide dans l’assortiment de l’enseigne, affiche clairement son positionnement sur les produits régionaux et locaux, tout comme Lidl et son importante promotion « Made in France ». Pour le consommateur, consommer « terroir et local », au-delà de de la sécurité alimentaire et de l’acte citoyen, renforce son sentiment d’appartenance à un territoire et l’engage dans un processus de transmission (Dedeire, 1997).